Crédit Photo : Le président burundais Pierre Nkurunziza. © AFP PHOTO / LANDRY NSHIMIYE
En cette année 2016, il y a les peuples heureux, dont toutes les énergies et tous les talents sont libérés au profit d’une cause commune, la nation, et les autres…
Une année nouvelle démarre, avec le rituel des vœux. Qui pourraient avoir, pour dénominateur commun, les mots : bonheur, santé et prospérité. Mais il ne s’agit, là, que de ce que se souhaitent mutuellement les gens. Qu’en est-il alors des États, des peuples, des nations ? Peut-on leur souhaiter le bonheur ? A quoi voit-on qu’un peuple est heureux ou malheureux ?
C’est à un plaisant exercice que vous nous invitez. Une première réponse : oui, l’on peut souhaiter le bonheur à des peuples, à des nations. C’est un peu plus complexe pour les États. Mais aux peuples et aux nations, oui, et l’on pourrait même ajouter que c’est le devoir des dirigeants que de rendre leurs peuples heureux. A quoi reconnaît-on qu’un peuple est heureux ? Dans une société, les citoyens montrent facilement un certain enthousiasme, lorsqu’ils se plaisent dans leurs activités quotidiennes, lorsqu’ils aiment leur vie. La plupart se surpassent alors dans le travail, et cela se lit dans les regards, parce que chacun a la certitude que ses efforts sont reconnus et appréciés à leur juste valeur. En général, ils se plaisent tout autant dans leurs distractions, d’ordre culturel ou autre…
N’est-ce pas une utopie que de penser que dans le monde actuel, tous les habitants d’un pays peuvent avoir du travail et des loisirs pour se distraire ou se cultiver ?
Sans doute ! Mais lorsque le plus grand nombre d’une population connaît ce privilège, cela se perçoit, se sent et se voit. Passant d’un pays à un autre, le journaliste perspicace sait, par exemple, distinguer un peuple plein de vitalité d’un autre stagnant dans une évidente apathie. Outre la conjoncture économique, cet état de bonheur est presque toujours lié aux libertés dont jouissent les citoyens et, plus généralement, à la nature du régime politique qu’ils ont choisi, ou qu’ils subissent.
Les femmes et les hommes ne peuvent pas être resplendissants et débordants d’énergie, tandis que le système politique les brime et les écrase. Évidemment, à chaque situation, il existe des exceptions, mais, comme le souligne un dicton ouest-africain, une seule panse repue ne peut suffire pour conclure qu’un peuple est heureux, et le pays, très beau.
Vous savez, pourtant, qu’il y a aussi des peuples réputés naturellement dynamiques, quel que soit le régime…
L’éclat du dynamisme est alors plus ou moins terni, lorsque le leadership est défaillant ou oppressif. Et dans ces cas, même dans les pays où les dancings sont ouverts 24 heures par jour, les pas, sur le rythme de la musique, deviennent hésitants, et la bière coule à un débit amoindri. Il manque toujours quelque chose d’essentiel, lorsque le pays va mal, selon l’expression du chansonnier.
Qu’en est-il, alors, lorsque c’est un régime en place depuis déjà longtemps, et que celui-ci refuse l’alternance ?
Ce qui est triste, et encore plus déprimant, avec les pouvoirs sans fin, c’est que ceux qui les exercent en viennent à ne même plus mesurer les signes de leurs fiascos et de leurs échecs. Ils ne réalisent même pas que leur peuple peut être triste, tout comme ils sont indifférents aux signes de leurs autres fiascos et échecs.
Comment reconnaît-on les signes d’un fiasco, d’un échec, pour ces régimes ?
Lorsque, chef d’État, l’on en est encore, après trente ans, et plus, de pouvoir, à inaugurer de petits tronçons de route, en se vantant, presque, d’avoir réalisé un exploit, c’est un fiasco. Lorsque la construction du moindre petit hôpital est présentée comme un événement majeur, pour lequel la télévision nationale est réquisitionnée des heures durant, l’on n’est pas loin du ridicule, surtout lorsque le président et sa famille continuent de se faire soigner à l’étranger. Oui, c’est un signe d’un lamentable fiasco, lorsque, en plusieurs décennies au pouvoir, un chef d’État n’est pas parvenu à construire un seul hôpital qui lui inspire suffisamment confiance pour s’y soigner, et que, en dépit de tous ces signes, il continue de considérer qu’il n’y a que lui pour diriger ce pays.
La présidence à vie. C’est donc l’un des enjeux de cette année 2016 ?…
En tout cas, tout dirigeant valable devrait être capable, en dix années de pouvoir, en quinze ou, à plus forte raison, en trente et plus, de préparer, sinon de former – en dehors de sa propre progéniture –, deux ou trois personnes susceptibles de lui succéder, et de poursuivre ce qu’il pourrait considérer comme son œuvre. Quant à l’entourage qui, partout, proclame que ledit dirigeant est irremplaçable, il est coupable, dans sa soumission déshonorante, d’un crime contre l’intelligence, au minimum.