Sans nous ériger en quelconque défenseur de la France, à l’égard de laquelle nous avons avec un certain nombre d’organisations des droits humains toujours exigé une transparence totale sur le génocide au Rwanda, nous remarquons néanmoins que ce courageux ancien officier français peut faire de telles révélations sur un sujet aussi sensible que celui-ci…Là où ailleurs (suivez notre regard) il aurait déjà subi toutes sortes de menaces, vu la parution de son ouvrage interdite, voire pourrait même perdre sa vie dans ces assassinats ciblés dans lesquels ont succombé nombre d’anciens camarades de lutte de M. Kagame à l’étranger.
Le dernier en date, son ancien garde du corps, s’est vu récemment accordé une protection renforcée par la Grande Bretagne.(http://www.rfi.fr/
Je n’ai sur ce plan aucun doute, que sous la pression de la société civile, la France livrera inévitablement tous les détails sur les raisons et le rôle de l’intervention de son armée lors du Génocide au Rwanda.
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France-Rwanda : un ancien officier brise l’omerta malgré « des menaces émanant de services de l’État »
Dans « Rwanda, la fin du silence », qui sort en librairie le 16 mars, l’ancien officier français Guillaume Ancel lève le voile sur l’une des interventions les plus controversées conduites par la France en Afrique au cours des dernières décennies : l’opération Turquoise menée en plein génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994.
« C’est se moquer des Français que de leur mentir sur la nature d’une opération qui a été menée en leur nom. Et c’est tout aussi indécent, vis-à-vis du million de victimes du génocide, d’occulter le rôle inquiétant que la France y a joué. En taisant cette réalité, on s’autorise à ce qu’une telle horreur puisse se répéter. » Longtemps, Guillaume Ancel fut un spécialiste du guidage au sol des frappes aériennes. Ancien TACP (prononcer : « TacPi », pour Tactical Air Control Party Specialist), ce lieutenant-colonel diplômé de Saint-Cyr guidait les avions de chasse de l’armée française vers leur cible, sur différents terrains d’opération.
Depuis quelques années, revenu à la vie civile, il est passé aux « frappes littéraires ». Dans Rwanda, la fin du silence (Les Belles Lettres), qui sort en librairie le 16 mars, cet ancien artilleur lève le voile sur l’une des interventions les plus controversées conduites par la France en Afrique au cours des dernières décennies. En mai 2017, déjà, il décryptait, chez le même éditeur, les manquements de la politique française durant le conflit en ex-Yougoslavie, à travers un récit décapant : Vent glacial sur Sarajevo.
A la veille de la sortie de son ouvrage sur l’opération Turquoise, basé sur un témoignage dont Jeune Afrique a rendu compte dès 2014, Guillaume Ancel revient sur la culture du secret au sein de la Grande Muette, et sur le paravent humanitaire déployé autour d’une intervention militaire politiquement sensible.
>>> A LIRE – Guillaume Ancel : « L’histoire mythique de l’opération Turquoise ne correspond pas à la réalité »
Jeune Afrique : À quel moment avez-vous pris conscience des dissonances entre la version officielle française sur l’opération Turquoise et votre propre expérience sur le terrain ?
Guillaume Ancel : Comme je le raconte dans mon livre, l’ordre d’opération préparatoire que j’ai reçu dès mon arrivée sur place ne correspondait pas à l’opération humanitaire que les médias présentaient vers la fin juin 1994. Il s’agissait en réalité d’une opération de guerre classique, visant à remettre au pouvoir le gouvernement rwandais, alors en difficulté. Quand on déploie sur le terrain des avions de chasse et les meilleures unités de la Force d’action rapide, c’est rarement pour une mission humanitaire.
Les forces gouvernementales ne se cachaient pas une seconde d’être les auteurs des massacres
Ce que j’ai trouvé le plus gênant, c’est de constater que les forces gouvernementales – les militaires des ex-Forces armées rwandaises [FAR], les gendarmes, les miliciens hutus – ne se cachaient pas une seconde d’être les auteurs des massacres. Bien sûr, ils s’abstenaient de les commettre sous nos yeux, mais à aucun moment ils ne niaient avoir exterminé les Tutsis.
Comment l’armée française s’est-elle comportée vis-à-vis des forces gouvernementales ?
Avec une certaine bienveillance. Lorsque nous avons été amenés à créer une zone humanitaire sûre [ZHS], son effet consistait clairement à protéger leur fuite devant l’avancée du FPR [Front patriotique rwandais, la rébellion essentiellement tutsie commandée par Paul Kagame]. Au passage, on les a laissées organiser l’exode de la population vers l’ex-Zaïre, ce qui s’est traduit par une crise humanitaire dont le bilan s’est chiffré à près de 100 000 morts.
Durant la seconde quinzaine de juillet, dans un camp de réfugiés au Zaïre, j’ai par ailleurs assisté à une livraison d’armes par la France à ces mêmes forces gouvernementales, alors qu’on savait pertinemment qu’elles avaient commis le génocide.
Dès le début de l’opération Turquoise, on assistait à un véritable déni de réalité
Comment vos compagnons d’armes ressentaient-ils cette situation ? En parliez-vous entre vous ?
J’ai ressenti chez eux un profond malaise. Mais comme souvent dans l’armée, quand on est gêné par un sujet on s’abstient d’en parler. Je relate par exemple une discussion que j’ai eue avec un officier français qui avait été, par le passé, le conseiller militaire du gouvernement rwandais. Quand je lui ai demandé ce qu’il avait perçu des signes préparatoires du génocide, il s’est fermé comme une huître. J’ai bien senti qu’il ne fallait pas mettre ce sujet sur la table. Dès le début de l’opération Turquoise, on assistait à un véritable déni de réalité.
>>> A LIRE – France – Rwanda : des officiers français soupçonnés de complicité de génocide
De nombreux militaires de Turquoise n’avaient jamais servi au Rwanda entre 1990 et 1993. Se sentaient-ils plus libres d’exprimer leur malaise ?
J’ai perçu une différence d’approche entre, d’un côté, certains camarades qui avaient soutenu les forces armées rwandaises durant cette période et qui ne comprenaient pas pourquoi on ne recommençait pas ; et, de l’autre, des militaires qui faisaient preuve de plus de discernement et qui leur rétorquaient que les choses avaient changé. Car entre-temps, l’armée rwandaise avait directement participé à un génocide.
Avez-vous un exemple précis d’une confrontation entre ces deux camps ?
Cela s’est manifesté, par exemple, quand nous avons dû parler du désarmement des forces hutues. Nous avions installé une zone humanitaire sûre, donc la question se posait avec acuité. Or, on sentait bien qu’une décision avait été prise en haut lieu et qu’il ne fallait surtout par désarmer les FAR.
Il y avait une ambiguïté permanente entre notre mission officielle et une mission occulte, non assumée
Nos supérieurs nous expliquaient alors que cela serait pris par les militaires rwandais – qui étaient beaucoup plus nombreux que nous – comme une forme de défiance. Donc il ne fallait pas prendre le risque de les contrarier. Comme si un soldat armé était moins dangereux qu’un soldat désarmé !
Des tensions se sont manifestées du fait de cette ambiguïté permanente entre notre mission officielle – protéger les personnes menacées – et une mission occulte, non assumée, visant à soutenir jusqu’au bout les forces gouvernementales à l’origine du génocide.
Après le Rwanda, il vous faudra vingt ans avant de vous exprimer publiquement. Votre expérience à Sarajevo semble avoir représenté un premier déclic…
Là aussi, en ex-Yougoslavie, nous étions censés intervenir dans le cadre d’une mission humanitaire pour empêcher les canons serbes de tirer sur la ville. Mais la réalité, c’est que notre commandement nous a empêchés de nous en prendre aux agresseurs. Nous avons donc assisté au massacre de Srebrenica avec l’interdiction de nous interposer.
Avec les légionnaires qui m’entouraient, dont certains avaient, eux aussi, fait le Rwanda, nous en ressentions de la colère : accepter, au nom de la France, de mener des missions qui s’avèrent indécentes.
En 1998, vous envisagez de témoigner devant la Mission parlementaire d’information sur le rôle de la France au Rwanda…
Naïvement, j’ai alors fait savoir à mon commandement que je voulais expliquer aux parlementaires le malaise que nous avions ressenti pendant Turquoise. Le cabinet du ministre de la Défense de l’époque m’a alors envoyé une émissaire qui m’a dit, en substance : « D’abord, ce n’est pas à vous de décider si vous témoignerez devant les parlementaires. Et même si le ministre devait donner son accord, c’est lui qui déciderait de ce que vous devez leur dire. » On m’a donc clairement fait comprendre que les militaires français n’avaient pas à raconter la vérité devant les élus de la nation…
A quel moment avez-vous décidé de passer outre ?
En 2012, sept ans après avoir quitté l’armée, je me suis trouvé en phase de transition professionnelle, ce qui m’a laissé le temps d’écrire un roman tiré de mon expérience au Rwanda. Début 2014, à quelques semaines de la 20e commémoration du génocide, j’ai été invité à un colloque destiné à faire le point sur le rôle de la France au Rwanda, réunissant diplomates, historiens, hommes politiques, juristes… Il était organisé par un grand parti français et présidé par un homme politique qui avait participé très activement à la Mission parlementaire d’information, en 1998 – je ne peux donner davantage de précisions car cet événement faisait l’objet de règles de confidentialité. [Organisé par le parti socialiste, le colloque était présidé par un ancien ministre de la Défense de François Mitterrand, Paul Quilès, par ailleurs ancien président de la Mission parlementaire sur le Rwanda.]
Lorsque j’ai livré mon témoignage, j’ai vu, aux quarante mâchoires qui se décrochaient autour de la table, que mon témoignage n’arrangeait pas du tout la plupart des participants.
Comment ont-ils réagi ?
Le président du colloque s’est levé, il a pointé son index dans ma direction et m’a dit d’un ton comminatoire : « Je vous demande de ne pas témoigner sur ce sujet car vous risqueriez de créer de la confusion quant à l’image que se font les Français du rôle qu’a joué leur pays dans le génocide du Rwanda ! » C’est à ce moment-là que j’ai compris que j’avais bien trop attendu et que mon témoignage aurait dû être mis sur la place publique depuis longtemps.
Les décideurs politiques de l’époque, qui sont toujours dans le déni, font de leur mieux pour m’empêcher de témoigner
À partir d’avril 2014, vous allez donc témoigner dans plusieurs médias ou lors de conférences. Pourquoi ce livre, quatre ans plus tard ?
Parce que j’ai constaté que ces témoignages oraux n’étaient pas suffisants. Avec Rwanda, la fin du silence, je voulais être sûr que mon témoignage serait intégralement retranscrit et qu’il ne serait plus jamais effaçable.
>>> A LIRE – Génocide au Rwanda : comment la justice française a enterré un dossier gênant pour l’armée
En agissant ainsi, vous avez rompu l’omerta qu’on vous intimait l’ordre de respecter. À quelles réactions avez-vous été confronté ?
Du côté de mes compagnons d’armes, la plupart restent emmurés dans la culture du silence propre à l’armée française. Ils n’ont donc réagi ni positivement ni négativement, mais j’imagine que beaucoup ont été choqués que je rompe cette servitude institutionnalisée qui est pourtant, selon moi, en totale contradiction avec l’exigence démocratique d’une société comme la nôtre.
D’autres militaires, qui ont quitté l’armée, ont répandu publiquement, notamment dans des livres, la fable officielle d’une opération Turquoise humanitaire. Lorsque j’ai livré ma version, ils se sont retrouvés en porte-à-faux et ont cherché à me discréditer. Enfin, les décideurs politiques de l’époque, qui sont toujours dans le déni, font de leur mieux pour m’empêcher de témoigner.
Y compris en vous menaçant ?
Ils ont exercé sur moi, via des intermédiaires, des pressions d’un autre âge. J’ai, par exemple, été menacé dans mon boulot en des termes qui rappelaient étrangement ceux prononcés par le président du colloque que j’évoquais précédemment. Si je n’avais pas bénéficié du soutien de réseaux soucieux de la transparence démocratique, il est clair que j’aurais alors perdu mon emploi.
J’ai aussi été menacé par quelqu’un qui m’a été envoyé par un ancien lieutenant-colonel de la Légion étrangère, qui est intervenu au Rwanda – l’un des défenseurs du “village Potemkine” que je viens de mentionner. Cette fois, il s’agissait de menaces physiques. Enfin, j’ai reçu des menaces très claires émanant de services de l’État, que je préfère ne pas détailler.
>>> A LIRE – Génocide au Rwanda : devant un juge, le chef de Turquoise défend l’armée française
Le silence devient amnésie
Avez-vous violé l’obligation de réserve ou le secret-défense en livrant ainsi votre récit ?
Lorsqu’on a eu accès à des informations ou qu’on a participé à des interventions classifiées, le fait de quitter l’armée ne change rien à l’obligation de confidentialité, qui continue de s’exercer. Ce qui veut dire que si l’opération Turquoise avait été classifiée « secret défense » ou « très secret défense », je ne pourrais pas en parler aujourd’hui sous peine de commettre un délit, voire un crime.
Le problème, c’est qu’en alimentant cette fable d’une opération humanitaire, les autorités de l’époque ont oublié de classifier toute une partie de cette opération. C’est ce qui me donne la possibilité légale d’en parler sans trahir un secret.
Pourquoi, dans ce cas, êtes-vous le seul à oser le faire ?
L’un de mes camarades, qui appartenait à l’armée de l’air, a voulu s’exprimer, en appui de mon témoignage, sur les opérations qu’il a menées en coordination avec moi durant Turquoise. Mais il a été rattrapé par l’armée de l’air. On lui a assuré que toutes les opérations aériennes étaient désormais classifiées confidentiel défense, y compris rétroactivement, et que par conséquent il ne pouvait en parler sans une autorisation du ministre de la Défense. Y compris quand un juge français l’a convoqué pour l’auditionner dans une procédure relative à l’opération Turquoise. En contrepartie, il a été assuré de périodes de réserve dont il avait financièrement besoin. C’est en procédant ainsi que le silence devient amnésie…
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« La France a formé les troupes d’élite rwandaises en sachant qu’elles avaient déjà participé à des massacres de Tutsi »
“Il faut regretter que la France n’ait toujours pas tiré toutes les leçons du Génocide Rwandais, puisque certaines troupes d’élite des régimes controversés et infréquentables d’Afrique noire francophone continuent de bénéficier de l’appui d’instructeurs français.” (CL2P)
Christophe Ayad, chef du service international du « Monde », a répondu à des questions d’internautes sur l’engagement français au moment du génocide au Rwanda en 1994.
Maxime : Dans votre premier article, vous mentionnez plusieurs fois une enquête judiciaire française menée pour motif de « complicité de génocide » ou encore « complicité de crime contre l’humanité ». Savez-vous qui la mène et où en est-elle dans son avancement ?
Christophe Ayad : Ce sont les magistrats du pôle génocide du parquet de Paris, spécialement créé pour traiter des questions de crimes contre l’humanité et de torture. L’instruction est toujours en cours pour le moment, sans qu’on sache ni quand ni si elle aboutira un jour à un procès.
Yohann : Les documents français classés « secret défense » ont-ils été déclassifiés comme promis par François Hollande puis par Emmanuel Macron ?
Christophe Ayad : Nous publierons dans le journal de samedi un long article sur la question. Certains de ces documents sont accessibles, d’autres pas. Par exemple, concernant le fonds Mitterrand, qui regroupe les papiers de François Mitterrand lors de sa présidence, toute demande de consultation est soumise à l’accord de la personne chargée de gérer ce fonds, Dominique Bertinotti, ancienne ministre socialiste.
Meryl : Quels étaient les liens entre la France et le Rwanda avant le génocide ? Le Rwanda était-il un pays stratégique pour la France ?
Christophe Ayad : Le Rwanda n’était pas un pays stratégique essentiel, c’était plutôt le Zaïre de Mobutu. Mais c’était un allié fidèle et discipliné. La France estimait que si elle laissait une rébellion anglophone s’emparer du pouvoir dans un pays de son pré carré, le message serait désastreux pour tous ses alliés en Afrique. A l’époque, la guerre froide est finie, et la France a peur de perdre de son influence en Afrique au profit des Américains et des Anglais.
Fitz : Peut-on accuser la France d’avoir armé les Hutu alors que la majorité des meurtres a eu lieu a l’arme blanche ? Vous donnez un chiffre de 35 % de meurtres « seulement » à la machette mais est-il fiable ? D’autres sources (Unesco) citent 85 % de meurtres a l’arme blanche.
Christophe Ayad : Je n’ai pas connaissance de ce chiffre de l’Unesco. Les plus grands massacres ont eu lieu dans des lieux clos (églises, stades, etc.) à la grenade et à l’arme automatique. La France n’a pas forcément armé les Hutu comme vous dites, même si elle a vendu des armes au régime, comme d’autres pays (l’Egypte notamment), lorsque c’était légal. Elle ne pouvait pas savoir que cela allait servir à tuer des civils, d’autant qu’une guerre était en cours contre le FPR depuis 1990.
En revanche, elle a formé ses troupes d’élite en sachant quelle était l’ambiance dans le pays et sachant qu’elles avaient déjà participé à des massacres ponctuels de Tutsi (1990, 1992). C’est plus gênant à mon avis.
Sébastien : Connaissait-on précisément l’ampleur des massacres au moment du lancement de « Turquoise » ?
Christophe Ayad : Au chiffre près, non. Mais on savait que cela se montait en centaines de milliers. Au moment du lancement de « Turquoise », cela fait plus d’un mois que le mot « génocide » a été prononcé dans le débat public.
GVD : Il semble évident que les puissances occidentales avaient connaissance du massacre à grande échelle. Pourquoi ne se décidaient-elles pas à intervenir ?
Christophe Ayad : Parce que le génocide au Rwanda a eu lieu peu après le fiasco de l’opération militaro-humanitaire américaine « Restore Hope », en Somalie, en 1993. Plus personne n’a voulu risquer ses soldats, d’autant que la Belgique a perdu dix casques bleus dès la nuit du 6 avril 1994 et a retiré immédiatement ses autres hommes. Le contingent de l’ONU restant, sous-équipé, mal commandé, n’a rien su ou pu faire.
Enfin, le Rwanda ne présentait pas d’intérêt stratégique ou de richesse particulière : c’est un petit pays, pauvre et enclavé, au centre de l’Afrique.
David : On parle du rôle de la France, mais de qui parle-t-on exactement ? Du président, du ministre, des militaires ? Quel était l’intérêt de la France de fermer les yeux à l’époque ?
Christophe Ayad : Les militaires disent avoir exécuté les ordres. Quant à la politique de la France au Rwanda, elle était plus décidée à l’Elysée qu’au Quai d’Orsay. Donc on parle principalement de l’Elysée et de l’entourage très proche de François Mitterrand, qui a géré certains aspects de ce dossier en direct.
Lozloz : Est-ce que certains génocidaires ou proches de génocidaires ont pu trouver refuge en France après 1994 ?
Christophe Ayad : Oui, plusieurs génocidaires ont été arrêtés en France, parfois au bout d’un temps assez long. Certains ont été jugés et condamnés, d’autres ont bénéficié d’un non-lieu, comme le père Wenceslas. La famille du président Habyarimana a trouvé refuge en France aussi. Sa femme est accusée par certains d’être une des instigatrices du génocide, mais cela n’a pas été vraiment prouvé jusqu’à présent.
SD : Qu’en est-il de la position française de refus d’extradition des Hutu « réfugiés » en France ? Les choses pourraient-elles évoluer ?
Christophe Ayad : La France n’extrade pas les personnes qui risquent la peine de mort dans le pays où elles seront jugées, que ce soit au Rwanda ou ailleurs. Or le Rwanda a dit qu’il suspendait les exécutions, mais la peine de mort y reste en vigueur.
Anna : Les faits reprochés à la France sont-ils tous prescrits ou pourrait-il y avoir des retombées judiciaires pour l’Etat français et/ou pour les individus (hommes politiques et militaires) impliqués ?
Christophe Ayad : Les faits de crimes contre l’humanité ou de génocide, ou encore de complicité de ces deux crimes, ne connaissent pas de prescription en France. Il y a donc des menaces judiciaires bien réelles sur ceux qui s’en seraient rendus coupables. Par exemple en livrant des armes à des génocidaires.
Michelle : Quelles pourraient être les conséquences pour la France si elle était reconnue complice du génocide ?
Christophe Ayad : La France, en tant qu’Etat, ne peut pas être reconnue complice de génocide. Et d’ailleurs quelle instance la jugerait ? On juge des individus, pas des Etats. Il faut attendre les éventuels procès de ces individus (sur les faits précis qui leur sont reprochés), s’ils se tiennent un jour et si le parquet ne décide pas d’un non-lieu.
HV : Quelle est l’attente du peuple rwandais (pas les autorités) concernant la reconnaissance d’un rôle de la France dans le génocide ?
Christophe Ayad : Il est difficile de savoir ce que le « peuple » rwandais pense. Ce n’est pas un pays où l’on peut dire ce que l’on veut. Ce que je sais, c’est que les autorités souhaitent des « excuses » et une « reconnaissance » par la France de son rôle dans le génocide. Nicolas Sarkozy a reconnu des « erreurs », mais il n’a pas souhaité aller plus loin. Emmanuel Macron le fera-t-il ? C’est tout l’enjeu de son voyage à Kigali, s’il y va un jour. Par ailleurs, les militaires, dont certains sont poursuivis en France devant la justice par des rescapés rwandais, pourraient vivre une reconnaissance du rôle de la France comme un lâchage par les politiques.