Gare à celles et ceux qui la soutiennent, notamment en Afrique, au nom de la logique des rapports de forces sur la scène internationale…
L’intégralité territoriale des États souverains est inviolable et ne peut pas en permanence être remise en question, puis placée sous la menace d’une annexion militaire au nom d’une grandeur imaginaire prétendument historique.
Il faut tout faire pour contenir les manœuvres de déstabilisation de M. Poutine en Ukraine.
JDE
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En Ukraine, après des mois de tensions diplomatiques, Vladimir Poutine choisit de passer à l’offensive
Le président russe a signé, lundi, l’acte de reconnaissance des deux républiques séparatistes du Donbass et a annoncé qu’il envoyait son armée en appui. L’initiative met fin à la séquence diplomatique ouverte il y a huit ans par les accords de Minsk.
Par Benoît Vitkine(Moscou, correspondant), Le Monde
D’abord un long discours, deux décennies de rancœurs et de griefs concentrées en une adresse télévisée impromptue et pleine de colère froide, de soupirs et de menaces à peine voilées adressées à l’Occident et à l’Ukraine, obsession du président russe, Vladimir Poutine. Puis, quelques heures après, tard dans la soirée de lundi 21 février, les premières colonnes de blindés qui faisaient leur entrée dans le Donbass, timidement filmées par des habitants postés à leurs fenêtres.
Entre les deux, une décision que le chef du Kremlin a présentée comme « nécessaire et mûrie depuis longtemps », mais qui plonge l’Ukraine et l’Europe entière dans une zone d’incertitudes et de turbulences : la reconnaissance « immédiate » par la Russie de l’indépendance des deux entités séparatistes du Donbass ukrainien, les républiques autoproclamées de Donetsk et de Louhansk. Mesure suivie de l’envoi quasi immédiat de troupes pour les soutenir.
Dans la confrontation ouverte depuis plusieurs mois avec l’Occident, cette annonce constitue une escalade majeure. Jusqu’à présent, Vladimir Poutine avait pris soin d’apparaître en deuxième ligne, laissant l’initiative formelle à ses obligés du Donbass ou encore de Biélorussie. Lui-même s’était contenté de promettre, de manière vague, une réponse « militaro-technique » après le refus des Occidentaux d’accorder à la Russie les « garanties de sécurité » qu’elle réclame depuis l’automne 2021.
M. Poutine a établi un lien entre ces deux sujets – le conflit dans le Donbass et la question plus large du rôle de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) en Europe – en faisant de l’Ukraine « une colonie avec un régime fantoche » transformée en un instrument de lutte, y compris militaire, contre la Russie. Il a notamment évoqué la possibilité « sérieuse » que l’Ukraine acquière des armes nucléaires.
Dans ce même discours, il est aussi revenu sur son thème de prédilection, la « folie » qu’aurait constituée la « création » de l’Ukraine moderne par l’Union soviétique. Le président russe a poursuivi son long développement historique jusqu’à évoquer la « corruption » à Kiev, la trahison par l’Ukraine « de [leurs] valeurs communes » ou la transformation de la Crimée en un « foyer terroriste ». Depuis, la péninsule ukrainienne a été annexée par la Russie en 2014.
S’agissant du conflit dans le Donbass, l’initiative prise par Vladimir Poutine met définitivement fin à la séquence diplomatique ouverte il y a huit ans par les accords de Minsk, et donc à l’espoir d’un règlement pacifique et politique de ce conflit. Fait paradoxal, la Russie perd d’ailleurs là l’un de ses leviers de pression favoris contre Kiev, qu’il s’agisse de la dénonciation des manquements de l’Ukraine ou de la limitation de sa souveraineté qu’aurait impliquée pour ce pays la mise en œuvre des accords – signés successivement en septembre 2014 et février 2015 après des interventions directes de l’armée régulière russe.
Lundi soir, le président russe a une nouvelle fois accusé Kiev et les Occidentaux de l’échec du processus, allant même jusqu’à affirmer : « Nous avons tout fait pour sauvegarder l’intégrité territoriale de l’Ukraine. » C’est en tout cas à Moscou, désormais, qu’échoit la responsabilité de ces territoires ruinés, détruits et peuplés en majorité de retraités.
Avant cette reconnaissance aux allures d’annexion, le terrain avait été préparé avec la distribution, ces dernières années, de passeports russes à plusieurs centaines de milliers d’habitants du Donbass. Il incombait dès lors à Moscou de protéger ces nouveaux citoyens d’un « génocide », mot une nouvelle fois utilisé par M. Poutine lundi soir, et des velléités de « guerre éclair » de Kiev.
Cette méthode, la distribution de passeports, a déjà été utilisée en Abkhazie et en Ossétie du Sud, deux territoires géorgiens dont Moscou reconnaît également l’indépendance, depuis 2008. Sauf que le cas du Donbass présente une différence de taille : les frontières des deux républiques séparatistes ne sont pas clairement définies. S’arrêtent-elles à la ligne de front actuelle ? Ou bien faut-il aller jusqu’à leurs limites maximales, atteintes en 2014, voire englober les deux régions administratives de Donetsk et de Louhansk ? Dans cette hypothèse, une guerre de haute intensité serait inévitable.
Vladimir Poutine n’a pas répondu à cette question, mais l’oukase signé lundi soir comprend un ordre adressé à l’armée russe de « maintenir la paix » dans le Donbass. Il a été immédiatement suivi par l’envoi d’une partie des troupes stationnées aux portes de l’Ukraine. Dans la foulée, les télévisions ont aussi montré le président en train de signer des traités « d’amitié et de soutien » avec les dirigeants des deux républiques séparatistes, transportés à Moscou pour l’occasion.
Des militants prorusses manifestent leur joie après que Vladimir Poutine a signé un décret reconnaissant l’indépendance des deux régions séparatistes du Donbass ukrainien, à Donetsk, en Ukraine, le 21 février 2022.
Il est difficile de dire si ce tournant a été décidé depuis plusieurs mois, au moment où le bras de fer était engagé avec l’Occident. La mise en scène, elle, a bien été préparée à l’avance, et l’ensemble de la manœuvre mené tambour battant, à l’image de ces opérations spéciales qu’affectionne le Kremlin.
Une opération préparée soigneusement sur le terrain
Quelques heures auparavant, lundi, les membres du conseil de sécurité du président russe avaient été convoqués pour un « échange de vues » diffusé à la télévision et présenté par M. Poutine comme « spontané ». Le dirigeant a demandé à chacun – ministres, chefs des services de sécurité, diplomates… – de donner son opinion sur une éventuelle reconnaissance des entités séparatistes. Tous les participants ont soutenu, parfois en bégayant, cette initiative que l’un d’eux, le ministre des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qualifiait encore de « pure spéculation » un mois auparavant.
De son premier ministre, Mikhaïl Michoustine, qui tentait de conserver une position prudente, Vladimir Poutine a exigé une réponse tranchée, comme s’il était vital d’emmener avec lui chacun des présents. Puis, fort de cet appui « unanime », il s’est ensuite adressé à la nation, lui demandant à elle aussi son soutien.
L’opération a aussi été préparée soigneusement sur le terrain. Ces derniers jours, médias et responsables russes n’ont cessé de faire état, contre toute évidence, d’attaques ukrainiennes et de « combats acharnés » dans l’Est. Si les bombardements de part et d’autre ont augmenté, ils sont toutefois loin d’évoquer une quelconque offensive. Les médias ont aussi donné un fort écho aux diverses annonces séparatistes allant dans le sens d’une escalade : arrestations d’espions ukrainiens portant des plans d’invasion, explosions de voitures piégées et, surtout, l’évacuation de milliers de civils vers la Russie, ordonnée pour la toute première fois, avant même le déclenchement de combats.
La tension est ensuite encore montée avec la dénonciation d’incidents survenus cette fois en territoire russe, comme des explosions d’obus ukrainiens. Point d’orgue, lundi matin : la prétendue incursion de blindés et de membres des forces spéciales ukrainiennes, dont cinq auraient été tués, sans qu’aucun corps ne soit montré. Cet épisode, théoriquement grave, a été commenté quelques heures puis oublié.
Dans son intervention de lundi soir, Vladimir Poutine a reproché aux Occidentaux de n’avoir jamais poussé Kiev à appliquer les accords de Minsk et d’avoir seulement cherché à « geler le conflit ». Cette perspective est désormais la seule évolution positive à espérer sur le théâtre du Donbass. C’est peut-être d’ailleurs le pari fait par les capitales occidentales, qui annonçaient, lundi soir, des sanctions encore limitées.
Remarques acrimonieuses sur les relations avec l’Ouest
Au-delà de la question des frontières mouvantes des républiques séparatistes, la situation reste éminemment volatile. Dans un avertissement aux allures de menace, M. Poutine a intimé à l’Ukraine de cesser « ses opérations militaires », au risque d’assumer « la responsabilité de l’effusion de sang ». En clair, des échanges de tirs comme il s’en produit en permanence sur la ligne de front pourraient désormais être interprétés comme une attaque contre la Russie, sachant que celle-ci continue de masser ses troupes aux frontières ukrainiennes.
Reste aussi à savoir si le président russe considère, avec cette initiative subite, que les compteurs ont été remis à zéro dans sa confrontation avec Washington et les Occidentaux, ou si le climat de tension doit être maintenu à tout prix, sur des fronts multiples. Par exemple en Biélorussie, où les troupes russes sont toujours présentes malgré la fin de leurs exercices, le 20 février, et de nombreuses promesses de retrait.
Lundi soir, donnant un début de réponse, Vladimir Poutine s’est à nouveau plaint que les demandes russes en matière de sécurité aient été « ignorées » et les promesses de l’Alliance atlantique « trahies ». Le chef du Kremlin a multiplié les remarques acrimonieuses sur les relations de Moscou avec l’Ouest. Ce dernier, a-t-il expliqué à ses concitoyens, « a pour seul but d’empêcher le développement de la Russie. Sans même de raison, juste parce que nous existons ». Difficile, au vu de ce discours apocalyptique, perçu par nombre de Russes comme une déclaration de guerre à l’Ukraine, d’imaginer que le président russe se limite à cette seule manœuvre dans le Donbass. Les actions des grandes entreprises russes, elles, se sont effondrées tout au long de la journée de lundi.
Benoît Vitkine(Moscou, correspondant)