Beaucoup de camerounais ont la mémoire très courte. Y compris ceux qui se définissent comme intellectuels. En 2012-2013, au moment où Boko Haram est en pleine insurrection armée au Nigeria , nous étions peu de journalistes, d’universitaires et analystes politiques à mettre en garde le régime de Yaoundé sur les menaces que faisaient peser cette situation sur la sécurité nationale. Les sbires de Biya à cette époque ont tôt fait de nous qualifier de théoriciens du chaos. Ce jusqu’à ce que Paul Biya déclare lui-même la guerre contre Boko Haram à la suite faut-il le rappeler non pas prioritairement des camerounais qui étaient enlevés et égorgés depuis des années, mais principalement du fait de la multiplication des enlèvements d’étrangers sur le sol camerounais.
Mais, au même moment que le régime déploie l’armée à l’Extrême Nord, il met sur pieds une task force constituée de membres de son gouvernement, journalistes, leaders d’opinion et acteurs de la société civile qui déversent au sein de l’opinion leur venin contre les ressortissants du grand Nord. Souvenez-vous bien c’est à cette époque que l’on a vu émerger les théories du complot. La plus en vue est celle qui stipulait que c’est la France qui se cachait derrière les terroristes pour déstabiliser Paul Biya. D’autres ont accusé Marafa Hamidou Yaya d’avoir fomenté une rébellion pour renverser Biya. Certains disaient qu’il s’agissait d’une stratégie des élites du grand –Nord pour que la succession les reviennent. Souvenez-vous du discours de la Lékié.
Ces circonstances ont entraîne une forte stigmatisation par les populations du grand Sud des ressortissants du grand-nord. Certains ressortissants étaient clairement qualifiés de Boko Haram lorsqu’ils tentaient de s’exprimer. Des enfants étaient chahutés dans les écoles du fait de leur appartenance religieuse et régionale. Les habitants de la briqueterie étaient perçus comme de potentielles recrues de la secte islamiste. Aujourd’hui avec l’intervention de la force multinationale qui a permis de balayer toutes ces théories, cette partie de l’histoire récente des faits politiques au Cameroun semble être renvoyée aux oubliettes pourtant elle est caractéristique de la manière dont un État produit le crime et fracture sa société.
Cette même situation se produit actuellement chez les anglophones. Dès octobre 2016, nous avons tiré la sonnette d’alarme sur les revendications corporatistes des avocats et enseignants anglophones. Nous avons mis en garde ce régime qu’il s’agissait de revendications à prendre très au sérieux mais qui cachaient en fait un malaise très profond au sein des populations anglophones. Car, toutes les discussions, informations, analyses que nous disposions, nous amenaient à penser qu’il s’agissait d’une crise inédite dans l’histoire des revendications anglophones et que ce gouvernement devait très rapidement négocier, et afficher son sérieux. Car, il bénéficie contrairement à 1985, 1992, 1993, 1997 et 2001 ( vagues de contestations sporadiques) d’un très fort ancrage populaire sur le terrain, sans compter que la diaspora anglophone est peut-être la diaspora la plus puissante du Cameroun. Mais dans sa nature barbare, Paul Biya a envoyé son armée tabasser les avocats, les étudiants, tirer sur la population. Autant d’éléments qui ont radicalisé le mouvement et élargi sa base.
Mais le régime de Biya ne s’est pas arrêté là. Dans un premier temps, ses sbires comme à l’accoutumée ont affirmé qu’il n’y avait pas de problème anglophone. Lorsque leur patron a donné l’ordre pour des négociations, ils ont utilisé les revendications d’une minorité d’extrémistes anglophones pour parler de la sécession. Pourtant cette revendication n’a jamais été posé par négociateurs. Les sécessionnistes sont d’autant plus minoritaires que leur mouvement remonte à 1985. L’objectif était de monter les francophones contre les anglophones. Comme ils avaient monté le grand-Sud contre le Grand –Nord sur Boko Haram. Le but étant de légitimer une intervention militaire violente qui serait étouffée. Mais cette stratégie n’a pas fonctionné et les négociations ont du se poursuivre. Aujourd’hui face au blocus et à la témérité des anglophones, les sécurocates fabriquent des vidéos où des hommes en tenue sont brutalisés pour justifier l’intervention de l’armée.
Voilà comment un État criminalise les luttes politiques et revendication sociales et devient lui-même criminel en commettant des crimes dont il a pleinement conscience qu’ils seront justifiés et légitimés par une opinion publique qu’il a lui-même pris soin de manipuler. C’est pourquoi à ce rythme l’État du Cameroun est un État criminel. Le crime ici ne se situe pas seulement au niveau de l’acte, mais également de l’intention sous-adjacente.
Par Boris Bertolt, Journaliste d’investigation