En Égypte, la répression ne faiblit pas. Le 5 juillet dernier, Ramy Shaath, est arrêté à son domicile au Caire par des policiers lourdement armés. Cet éminent défenseur des droits du peuple palestinien, figure de la révolution égyptienne de 2011, est poursuivi sans aucun fondement pour « assistance à un groupe terroriste », dans le cadre de l’affaire dite du « Plan Espoir ».
Le 5 juillet, sa femme, Céline Lebrun-Shaath, était expulsée sans raison vers la France. Depuis la France, elle se démène pour obtenir sa libération. Alors que toute communication directe leur est aujourd’hui interdite, elle lui écrit cette lettre ouverte pour leur premier anniversaire de mariage, dans l’espoir que ses mots lui parviendront derrière les barreaux de la prison de Tora, au Caire.
Ramy, mon amour,
Aujourd’hui nous devrions être ensemble et célébrer notre premier anniversaire de mariage. Mais cela fait presque deux mois que des hommes de la Sûreté d’Etat égyptienne, vêtus de noir, cagoulés et armés t’ont arraché à moi, au beau milieu de la nuit. Deux mois que tu dors dans une cellule étroite et étouffante.
Nous avons tout fait pour pouvoir nous parler, nous écrire, mais cela nous a été refusé alors j’espère que cette lettre te parviendra.
Je sais que tu t’en veux de ne pas pouvoir être là, que tu aurais voulu tout faire pour rendre cet anniversaire inoubliable comme notre mariage l’a été et comme tu sais si bien le faire avec toute chose. Je voudrais te serrer contre moi et te dire de ne pas t’en vouloir.
Ils t’ont arrêté parce que tu as osé. Oser être fièrement Égyptien et Palestinien. Oser résister à la chape de plomb qui s’est rabattue sur l’Egypte volant les aspirations d’une jeunesse révolutionnaire désabusée. Oser t’opposer à la participation égyptienne à la conférence israélo-américaine de Manama. Oser résister à la liquidation du droit à l’autodétermination de ton peuple. Mais je suis tombée amoureuse du résistant que tu es. Vulnérable et inébranlable à la fois. Je suis tombée amoureuse de ta droiture, dérangeante parfois par sa logique et sa franchise imparables qui ne font pas de compromis. Je sais la vie que tu as choisi, pour la défense des droits de ton peuple, égyptien ou palestinien, à vivre dans la liberté, la justice et la dignité, et les sacrifices que cela pouvait impliquer. Cette vie, j’ai choisi de la partager avec toi en t’épousant et je ne regrette rien.
Certes, depuis notre séparation, cela n’a pas été facile tous les jours. Te dire au revoir, sans savoir quand je te reverrai, a été la chose la plus dure que je n’ai jamais faite. “Allez! Allez!” nous pressent-ils. Avant que tu ne disparaisses dans la nuit dans ce fourgon, je fais un dernier instantané de toi, ton visage. Puis c’est moi qu’ils font monter dans un fourgon. Alors qu’ils me conduisent vers l’aéroport, je regarde une dernière fois défiler cette ville du Caire qui a vu grandir et s’épanouir notre amour. Cette ville que j’aime tant malgré tous ses défauts, elle aussi je ne sais pas quand je la reverrai.
Arrivée à Paris, s’ensuivent plus de 6 longues semaines de silence et d’attente dans l’espoir d’une issue rapide et diplomatique à cette situation. Déambulant dans les rues de la ville, je n’aurais jamais cru que l’on puisse se sentir en exil dans son propre pays. Perdant la notion du temps, ma vie n’est plus rythmée que par les jours de comparution et de visite, seules occasions pour moi d’entendre de tes nouvelles et de te donner un peu des miennes. Toujours très rationnel et protecteur, même depuis ta cellule, chaque message que tu envoies s’accompagne d’une liste de choses à faire pour être sûr que ta famille ne manque de rien.
Il y a deux jours pourtant, j’ai reçu une petite enveloppe. A l’intérieur un bracelet et un petit mot de ta fille m’expliquant que ce bracelet t’avait été offert par de jeunes co-détenus et que tu l’avais porté avant de le lui donner pour qu’elle puisse me l’offrir. Tu avais fabriqué des fleurs de papier mais ils ne t’ont pas autorisé à les lui donner. Je souris. C’est que tu es romantique aussi. Puis en parcourant sa lettre, ce bracelet à la main, les larmes se sont mises à couler jusqu’à brouiller ma vue. C’était la première fois que je pleurais. Depuis cette nuit où nous avons été séparés, je fais tout pour être forte et à la hauteur de ton combat mais dans cette chambre seule, à des milliers de kilomètres, cette lettre et ce bracelet me désarment. Je repense alors à ta voix, à tes mots et à tes regards, sereins et rassurants au milieu de la tempête tandis que les agents de la Sûreté d’Etat mettaient notre monde sans dessus dessous.
“Tout ira bien, nous serons bientôt réunis”.
Je ne peux rien t’offrir pour notre anniversaire mais je te fais la promesse de me battre pour que tu puisses retrouver ce qui t’a été volé injustement, ta liberté.
Joyeux anniversaire mon amour.
Céline
Complément d’information
Coordinateur du mouvement Boycott, Désinvestissement, Sanctions (BDS) en Egypte, Ramy Shaath oeuvre au respect des droits humains et des droits des Palestiniens. Il est également le fils de M. Nabil Shaath, ancien vice-premier ministre palestinien et actuel conseiller aux affaires étrangères du président Mahmoud Abbas en Palestine.
Amnesty International et la FIDH sont vivement préoccupées par l’arrestation de Ramy Shaath. Amnesty International considère Ramy Shaath comme un prisonnier d’opinion, son arrestation découlant uniquement de l’exercice pacifique de son droit à la liberté d’expression et son droit de participer aux affaires publiques. Sa famille a lancé une campagne le 21 août 2019 demandant sa libération.
Communiqué de presse d’Amnesty International :
https://www.amnesty.fr/presse/
Communiqué de presse de la FIDH :
https://www.fidh.org/fr/
Page de la campagne FREE RAMY :