Nour-al Houda Dahmani, une étudiante en droit détenue depuis le 17 septembre, est devenue le symbole de la répression de la contestation en Algérie.
Poster de « solidarité avec l’étudiante emprisonnée Nour al-Houda Yasmine Dahmani »
Le chef d’état-major algérien, le général Ahmed Gaïd Salah, a décidé d’imposer coûte que coûte la tenue d’un scrutin présidentiel le 12 décembre prochain. Il entend ainsi briser le formidable mouvement de contestation populaire qui, sous le nom de Hirak, traverse le pays depuis février dernier. Les manifestants pacifiques ont déjà obtenu la démission du président Bouteflika, en avril, puis l’annulation de l’élection présidentielle prévue en juillet, et ils s’opposent catégoriquement à un vote organisé par la « bande » (en arabe issaba), ainsi qu’ils désignent la clique au pouvoir depuis des décennies en Algérie. Le régime multiplie en retour les restrictions aux libertés d’expression, de réunion et de manifestation, avec une centaine de mises en détention provisoire pour différents « crimes » depuis l’été.
LE SYMBOLE DE NOUR AL-HOUDA
C’est dans ce contexte de plus en plus tendu que Nour al-Houda Dahmani, une étudiante en droit de 22 ans, a été arrêtée à Alger, le 17 septembre. Elle participait à un des défilés estudiantins qui, comme tous les mardis depuis huit mois, se déroule en écho des grandes marches populaires du vendredi. Elle n’aurait commis d’autre « crime » que de brandir une pancarte dénonçant la « corruption » de la « bande/issaba ». Elle est depuis lors incarcérée à la prison d’El-Harrach, dans la banlieue d’Alger, là même où sont détenues les principales personnalités ciblées par Gaïd Salah dans le cadre de sa purge anti-corruption, à commencer par les deux anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Adelmalek Sellal. On ne saurait mieux symboliser la contradiction entre la protestation populaire, qui exige une authentique réforme du régime pour mettre enfin un terme à la corruption endémique, et le chef d’état-major, qui espère endiguer la dynamique du Hirak en livrant à la justice des piliers du système Bouteflika.
Les manifestants du mardi et du vendredi mettent pourtant en garde contre « l’alternance clanique » qui résulterait de simples règlements de compte au sommet du pouvoir, sans changer en rien sa nature autoritaire et répressive. Certains contestataires ont même scandé « Ya menach, ya menach, Gaïd Salah fil-Harrach » (Qui vivra verra/Gaïd Salah à El-Harrach). Ce n’était pas le cas de Nour al-Houda Dahmani, qui a pourtant été un des deux étudiants arrêtés lors du défilé pacifique du 17 septembre. Le régime voulait à l’évidence afficher sa détermination, quelques jours après que Gaïd Salah ait brutalement imposé son propre calendrier électoral et fait entériner, par des responsables civils aux ordres, la date du 12 décembre pour le prochain scrutin présidentiel. La pression policière n’a cessé depuis de s’accroître, jusqu’à la tentative de disperser par la violence le cortège estudiantin du 8 octobre, marqué par une douzaine d’arrestations.
Mur de portraits de prisonniers sur la page Facebook du CNLD (Comité national pour la libération des détenus)
L’ENJEU DES DETENUS POLITIQUES
Nour al-Houda Dahmani, elle-même étudiante en droit, est devenue le symbole d’une répression qui frappe la jeunesse et sa revendication de justice. Une campagne de solidarité, où des militantes posent avec la pancarte « Je suis Nour al-Houda Dahmani », s’est diffusée en arabe sur les réseaux sociaux. L’avocat de l’étudiante a contribué à cette mobilisation en publiant une lettre ouverte à sa jeune cliente: « Le corps chétif, l’humeur sombre, les gestes lourds, les yeux tristes, l’esprit distrait. Elle ne lève presque pas le visage du sol et ne répond que par un oui ou un non. Tu n’es pas une criminelle, ma soeur. Baisser la tête ne te sied pas. Tu n’es pas une criminelle, ma soeur. Et toute cette tristesse ne te sied pas. Tu n’es pas une criminelle, ma soeur, cela ne te sied pas, car tu es à la fleur de l’âge. Tu n’es pas une criminelle, ma soeur. Tu n’as pas à avoir honte, tu es pour nous le sens même de l’honneur. Tu es la dignité et la patrie ».
Depuis, des portraits de la jeune Dahmani sont brandis, dans les cortèges du mardi et du vendredi, pour exiger sa libération. Mais son cas a beau être emblématique, il est loin d’être isolé, au point qu’un Comité national de libération des détenus (CNLD) s’est constitué et met régulièrement à jour la liste des victimes de la répression. L’octogénaire Lakhdar Bouregaa, vétéran de la guerre de libération, incarcéré en juin dernier pour « atteinte au moral de l’armée », a déjà fait savoir qu’il n’accepterait d’être libéré qu’en même temps que les autres contestataires incarcérés. Et la liste de ceux-ci ne cesse de s’allonger, avec, entre autres, Karim Tabbou, un des animateurs du Hirak, le 12 septembre, et Abdelwahab Fersaoui, président du Rassemblement action jeunesse (RAJ), le 10 octobre.
Gaïd Salah et son régime semblent bel et bien engagés dans une fuite en avant répressive afin d’imposer, dans moins de deux mois, un scrutin présidentiel de plus en plus fortement désavoué par la population.