Huit jours après l’interpellation d’un opposant biélorusse à bord d’un avion détourné par Minsk pour le récupérer, un activiste russe a été arrêté sur le tarmac de l’aéroport de Poulkovo, à Saint-Pétersbourg, alors que l’appareil de la compagnie LOT Polish Airlines, à bord duquel il avait pris place, s’apprêtait à décoller en direction de Varsovie, lundi 31 mai. « J’allais prendre l’avion pour aller me reposer, j’ai passé la douane, on ne m’a posé aucune question. L’avion avait déjà commencé à bouger quand, soudain, il s’est arrêté. Les flics sont montés à bord et m’ont fait sortir », a raconté Andreï Pivovarov sur Twitter, avant d’être emmené par le FSB, les services russes de sécurité.
Le symbole est déjà important, car c’est sur ce même aéroport que doivent arriver, le 2 juin, les invités du Forum économique de Saint-Pétersbourg, événement majeur en Russie, au cours duquel les autorités s’efforcent de choyer les investisseurs étrangers et de les rassurer quant au climat dans le pays. Après l’arrestation de l’opposant biélorusse Roman Protassevitch, consécutive au détournement du vol Ryanair Athènes-Vilnius, le 23 mai – dossier dans lequel la Russie a apporté un soutien sans faille à la Biélorussie –, l’incident n’apparaît pas non plus anodin, sans qu’il faille forcément y voir un signal envoyé par Moscou. Les arrestations de voix dissidentes sont quasi quotidiennes en Russie.
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Reste que l’avion qui devait emmener Andreï Pivovarov à Varsovie appartient lui aussi à une compagnie européenne. Cet homme politique, directeur de l’organisation Open Russia, fondée par l’oligarque en exil et détracteur du Kremlin, Mikhaïl Khodorkovski, a été arrêté à bord d’un appareil de la LOT, la compagnie nationale polonaise. M. Pivovarov, 39 ans, était sur le point de partir en vacances en Pologne, et il ignorait être recherché.
Des perquisitions dans la nuit
« Nous sommes en train d’analyser les informations détaillées de la compagnie LOT ainsi que de l’Autorité de l’aviation civile, qui obtient toujours les rapports de vols », a réagi le vice-ministre polonais des affaires étrangères, Marcin Przydacz, en indiquant que les autorités allaient analyser cette situation sous l’angle du respect du droit international. « Connaissant l’activité de nos voisins russes, il est probable qu’il s’agisse d’une certaine forme de provocation », a-t-il déclaré.
D’autres perquisitions ont été menées au même moment au domicile de plusieurs anciens collaborateurs d’Open Russia, pour des raisons inconnues
« A l’approche du décollage de l’avion, les contrôleurs aériens ont demandé au pilote de revenir à la position de stationnement, a indiqué de son côté la compagnie aérienne LOT Polish Airlines. Le commandant de bord devait se conformer à cette demande, car il était sous juridiction russe. » L’avion a finalement atteint Varsovie avec une heure et demie de retard.
Des perquisitions ont également eu lieu dans la nuit dans l’appartement de l’opposant russe, et les enquêteurs ont finalement ouvert une affaire contre lui pour « collaboration avec une organisation indésirable », accusation passible de six ans de prison. Il devait désormais être transféré à Krasnodar, à plus de 1 700 kilomètres au sud de Saint-Pétersbourg, où l’enquête le visant a été diligentée. Selon le service russophone de la BBC, l’accusation s’appuierait sur une publication Facebook d’août 2020, dans laquelle l’opposant soutenait un activiste local de cette ville du sud de la Russie.
D’autres perquisitions ont été menées au même moment au domicile de plusieurs anciens collaborateurs d’Open Russia, pour des raisons inconnues. Dans au moins un de ces cas, celui d’Alexandre Soloviev, il s’est avéré qu’il s’agissait d’affaires distinctes, en l’occurrence une affaire de loyer impayé dans laquelle il apparaît comme simple témoin.
« Chasse aux sorcières »
S’agissant d’Andreï Pivovarov, les poursuites contre lui ont été déclenchées le 29 mai, soit deux jours après qu’Open Russia eut annoncé sa dissolution. L’organisation, financée par Mikhaïl Khodorkovski depuis 2001, qui défend un programme prodémocratie, avait indiqué craindre pour la sécurité de ses membres.
Le 27 mai, c’est M. Pivovarov lui-même qui avait annoncé la cessation des activités de l’organisation, mettant en avant de nouveaux projets législatifs durcissant les peines encourues par les collaborateurs d’organisations « indésirables ». La partie britannique de l’organisation avait reçu ce statut en 2017, en vertu d’une loi de 2015 qui permet de fermer ses émanations sur le sol russe et de poursuivre ceux qui y sont associés. La branche russe d’Open Russia, au statut juridique distinct, n’avait toutefois pas été formellement interdite. Plusieurs de ses membres ont néanmoins déjà fait l’objet de poursuites et ses réunions sont fréquemment empêchées.
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« L’organisation n’existe plus et ses membres n’en sont plus, avait indiqué Andreï Pivovarov. Nous ne voulons pas d’amendes ni de nouvelles poursuites pénales. Les élections [législatives, prévues en septembre] approchent et le pouvoir est prêt à faire n’importe quoi pour empêcher les voix indépendantes de participer. »
« Malgré sa récente autodissolution pour empêcher les autorités de cibler ses membres, la chasse aux sorcières contre Russie ouverte se poursuit », a pour sa part réagi, dans un communiqué, mardi, Natalia Zviaguina, responsable du bureau d’Amnesty International à Moscou, en appelant « les autorités russes [à] mettre fin aux représailles contre leurs opposants politiques et autres voix critiques dans le pays ».
De fait, la pression n’a cessé de s’accroître ces dernières semaines sur les partisans de l’opposition prodémocratie. La répression frappe le plus durement le camp Navalny : ses structures ont été interdites et plusieurs de ses cadres emprisonnés, dont Alexeï Navalny lui-même, mais les responsables politiques indépendants sont aussi visés, de même que plusieurs médias. Le 1er juin, plusieurs membres de la famille de Dmitri Goudkov, un ancien député du camp libéral, ont annoncé avoir subi des perquisitions – « une vengeance », selon ce dernier.