Comme le révèle L’Obs, la formation musicale dirigée par Anne Gravoin, épouse du premier ministre, est financée par un homme d’affaires naviguant entre la France et le Koweït, aux revenus à l’origine mystérieuse. Et l’Alma Chamber Orchestra est également étroitement lié à plusieurs figures de la Françafrique, notamment dans l’entourage du despote Denis Sassou-Nguesso.
De l’art du mélange des genres. L’orchestre dont Anne Gravoin, la femme du premier ministre Manuel Valls, est la directrice artistique, l’Alma Chamber Orchestra, cultive de très curieuses fréquentations. L’Obs révèle jeudi que le mécène et associé de la violoniste est un richissime homme d’affaires d’origine algérienne naviguant entre la France et le Koweït, dont l’origine des revenus reste inconnue. Les bureaux de l’orchestre sont sous-loués à un vendeur de tenues militaires en Afrique, plusieurs fois condamné. La formation musicale est par ailleurs étroitement liée à plusieurs figures de la Françafrique elles-mêmes liées au président congolais Denis Sassou-Nguesso.
Le mécène de l’Alma Chamber Orchestra, dont Anne Gravoin est à la fois le premier violon et la directrice artistique, s’appelle Zouhir Boudemagh, présenté sur le site de l’orchestre comme un « homme d’affaires passionné de musique classique ». Sauf que ces affaires sont bien mystérieuses. « De Zouhir Boudemagh, on sait juste qu’il est un ancien pilote d’avion et un vrai mélomane. (…) Sa seule activité répertoriée par l’agence financière Bloomberg – une référence – est un mandat de PDG d’un petit constructeur automobile basé à Alès, PGO, spécialisé dans les répliques de voitures de luxe. En 2014, ce constructeur a vendu… huit véhicules ! Sur les cinq derniers exercices, ses pertes sont en moyenne six fois plus élevées que ses revenus », écrit L’Obs.
L’homme d’affaires, d’origine algérienne, est aussi le représentant en France du groupe Al Sayer, un conglomérat koweïtien. Selon L’Obs, il a noué de solides relations avec deux hommes proches du groupe Dassault, dont Yazid Sabeg, président du groupe CS, très actif dans le monde de la défense.
Plus troublant encore, Zouhir Boudemagh se présente comme le président de l’Alma Nostra Foundation – par exemple sur la vidéo ci-dessus. Mais, comme le relève L’Obs, aucune fondation n’est enregistrée sous ce nom en France, et les deux sociétés productrices de l’Alma Chamber Orchestra, Over the Rainbow (détenue par Zouhir Boudemagh) et AG Productions (détenue par Anne Gravoin), ne déposent pas leurs comptes au tribunal de commerce.
« Il y a deux ans et demi, un ami m’a proposé de rencontrer Zouhir Boudemagh, un monsieur qui souhaitait monter un orchestre. Il ne savait pas qui j’étais, ni ce que je faisais. J’ai tout de suite senti son attachement à la musique, et son idée de monter un orchestre pour la paix m’a immédiatement convaincue », a simplement expliqué Gravoin à L’Obs. Quant à Boudemagh, son avocat a demandé à la direction de l’hebdomadaire de « contrôler ce que votre journaliste envisage d’écrire », avant la publication de l’enquête…
Mais les bizarreries ne s’arrêtent pas là : la société d’Anne Gravoin, AG Productions, est actuellement hébergée dans un quartier chic de Paris par une société, Eaux et Électricité de Madagascar (EEM), présidée par l’homme d’affaires François Gontier. L’Obs déroule le CV de celui-ci : il a été deux fois condamné au pénal pour diffusion d’informations privilégiées et fraude fiscale ; plusieurs fois sanctionné par l’Autorité des marchés financiers et mis en examen pour exercice illégal de la profession de banquier. Selon l’hebdo, il est également le président de Magforce International, une entreprise qui fournit des tenues militaires aux armées africaines, qui « vient d’être mise en examen pour “corruption d’agents publics étrangers” dans une affaire touchant le président du Mali », Ibrahim Boubacar Keïta.
En janvier dernier, Mediapart avait déjà raconté que l’Alma Chamber Orchestra était partenaire de la Fondation de Brazzaville, présidée par une des figures les plus connues de la Françafrique, Jean-Yves Ollivier. L’homme est un intime du président du Congo-Brazzaville Denis Sassou-Nguesso, mis en examen en France dans l’affaire des biens mal acquis. Très connu des réseaux africains depuis la fin des années 1980, Jean-Yves Ollivier a officié comme envoyé spécial très discret de Jacques Chirac, notamment lorsqu’il était maire de Paris et premier ministre, avant de se révéler au grand public avec la sortie en 2013 du documentaire Plot for Peace, financé par les fondations de son ami Ivor Ichikowitz, milliardaire sud-africain à la tête de la plus grosse société d’armement d’Afrique.
Capture d’écran de la Fondation Brazzaville Capture d’écran de la Fondation Brazzaville
La Fondation Ichikowitz figure d’ailleurs elle aussi parmi les partenaires de la Fondation de Brazzaville. Et, comme l’avait révélé Mediapart en janvier dernier, lorsqu’elle a organisé fin avril 2015 une tournée de concerts en Afrique du Sud, c’est l’Alma Chamber Orchestra qui a été choisi. D’après plusieurs sources, Anne Gravoin serait amie avec Jean-Yves Ollivier. Son premier ministre de mari, Manuel Valls, l’avait d’ailleurs décoré de la Légion d’honneur deux mois après la tournée de sa femme en Afrique du Sud. La cérémonie, révélée par La Lettre du continent, est fièrement mise en avant sur le site de la Fondation Brazzaville, nouvel organe d’influence qui a pour objectif officiel de rappeler l’héritage du protocole de Brazzaville de 1988 – accord d’échange d’otages entre l’Angola et l’Afrique du Sud.
« J’ai rencontré Jean-Yves Ollivier trois ou quatre fois. M. Ollivier n’est pas un ami », a répondu à L’Obs Anne Gravoin. Quant au cabinet de Manuel Valls, qui avait refusé de répondre aux questions de Mediapart, il justifie auprès de l’hebdomadaire la remise des insignes à Jean-Yves Ollivier par le rôle qu’il a joué en Afrique du Sud. « Ils ne s’étaient jamais rencontrés auparavant », a certifié Matignon.
Soit. Mais les relations du couple Valls-Gravoin avec Jean-Yves Ollivier, homme de confiance du despote Denis Sassou-NGuesso, inquiètent les organisations de défense des droits de l’homme et de la démocratie en Afrique, qui rappellent les engagements de François Hollande à rompre avec les intermédiaires douteux. Le premier ministre Manuel Valls n’a pas les mêmes préventions.
En juillet dernier, il a d’ailleurs rendu visite à Sassou-Nguesso dans l’hôtel de luxe parisien, près de la place d’Iéna, où il était descendu. Une visite très surprenante, pour un premier ministre, dans un cadre privé, en dehors de tout agenda officiel, alors que le président congolais préparait déjà son référendum pour se maintenir au pouvoir et qu’il est poursuivi en France dans l’affaire des biens mal acquis.
En janvier, Mediapart racontait aussi comment l’ancien député et maire d’Évry était perçu comme un interlocuteur fiable et plus accommodant par les réseaux de la Françafrique que l’Élysée. « Valls a plein de tuyaux différents, c’est ce qui compte en Afrique et ça n’est pas passé inaperçu », confiait alors un opposant congolais. Un proche de François Hollande confirmait : « Il est clanique. Et c’est important en Afrique. »
Certains de ses proches connaissent bien le continent, comme le communicant Stéphane Fouks, qui a notamment travaillé pour Laurent Gbagbo en Côte d’Ivoire, Ali Bongo (Gabon) et Paul Biya (Cameroun), ou Alain Bauer. Parrain d’un des fils du premier ministre, ce dernier, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, a été grand maître du Grand Orient (GO), obédience maçonnique très présente en Afrique.
Sur le continent, Manuel Valls bénéficie également des réseaux d’un de ses plus proches conseillers, Ibrahima Diawadoh N’Jim. À Matignon, ce professeur d’arabe reçoit des personnalités proches du pouvoir mauritanien – Diawadoh est né en Mauritanie – et affirme auprès de Mediapart avoir des membres de sa famille élargie au gouvernement à Nouakchott. En Côte d’Ivoire, Diawadoh connaît le puissant et très connecté ministre de l’intérieur ivoirien Hamed Bakayoko, « par un cousin avec qui il a fait du business », explique-t-il, mais aussi les présidents Macky Sall (Sénégal) et Ibrahim Boubacar Keita (Mali). Un réseau forgé en grande partie à Évry, la ville dont Valls fut le maire et où les deux hommes se sont rencontrés.
Ibrahima Diawadoh N’Jim connaît aussi Maixent Accrombessi, le puissant directeur de cabinet du président gabonais Ali Bongo, ou encore l’homme d’affaires malien Seydou Kane, tous deux arrêtés récemment par les autorités françaises dans le cadre d’une enquête sur une affaire de corruption. « Je ne les ai vus qu’une seule fois chacun, tempère Ibrahima Diawadoh joint par Mediapart, dans des cadres tout à fait officiels. » Dans tous les cas, si un jour, Manuel Valls est candidat à la présidentielle, tous ces réseaux pourraient révéler leur utilité.