De gauche à droite : Pascal Bamouni, membre du Conseil consultatif de l’Union africaine sur la corruption ; Georges Nakseu Nguefang, directeur Affaires politiques et gouvernance démocratique à l’OIF ; Delphine Couveinhes Matsumoto, spécialiste de programme Droits de l’homme à l’OIF ; et Virginia de Abajo Marques, conseillère anti-corruption pour l’Afrique de l’Ouest et du centre et cheffe de l’unité anticorruption à Dakar de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), réunis le 12 juin 2019 à Paris, au siège de l’OIF, lors d’un séminaire intitulé « Prévention et lutte contre la corruption et droits de l’homme ». Antoine Jamonneau / OIF
La corruption est une atteinte directe aux droits humains. Ce qui pourrait ressembler à un sujet de dissertation a été au menu d’une longue réflexion menée cette semaine à Paris au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Selon les estimations, quelque 150 milliards de dollars (plus de 130 milliards d’euros) sortent chaque année du continent africain sous diverses formes de corruption, soit un quart de son produit intérieur brut (PIB). Et ce fléau touche d’abord les zones susceptibles de se développer le plus rapidement, puisque « dans les pays où il y a énormément de richesses naturelles, la corruption est plus importante », remarque Catherine Pierce, vice-présidente de Transparency International France.
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Or, cet enrichissement de quelques-uns se fait au détriment de l’ensemble des populations, et c’est en cela que « par l’effet de la corruption, il y a violation des droits humains », insiste Pascal Bamouni, du conseil consultatif de l’Union africaine (UA) sur la corruption. Sur le continent, ces détournements ont lieu à tous les niveaux : du policier qui demande bakchich pour laisser passer aux plus hautes sphères de l’État. L’attribution opaque des concessions minières ou des marchés a été maintes fois citée en exemple typique d’une spoliation, comme le fait que les sociétés étrangères bénéficient de l’exonération sur les taxes dont elles devraient normalement s’acquitter. Dans tous ces cas de figure, les ressources qui se glissent dans les poches des particuliers « auraient pu être utilisées à construire des écoles, des centres de santé, des logements… Donc des droits garantis par les Constitutions, dont les populations devraient bénéficier », poursuit Pascal Bamouni.
L’un des grands enjeux du continent
Chercheuse associée auprès de l’Institut Raoul Wallenberg pour les droits humains et le droit humanitaire, en Suède, Elaine Ryan a réalisé une étude en 2018 sur le lien entre la lutte contre la corruption et les droits de l’homme. Pour ne citer qu’un exemple sur lequel elle a travaillé : le Kenya « où des élus rachètent des terrains à des prix très bas dans leurs districts, pour ensuite gagner de l’argent à la revente » en expropriant les populations autochtones des terrains concernés. Contre cet opportunisme lié au pouvoir politique, il n’est pas simple d’intervenir. La chercheuse observe également que « beaucoup d’ONG travaillent sur la corruption et la violation des droits à l’éducation », notamment en Afrique du Sud où des écoles mal construites entraînent la mort d’enfants « parce que l’argent qui avait été alloué pour construire le bâtiment en respect de certaines normes a été détourné ». Un cas parmi tant d’autres…
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Si le lien entre corruption et violation des droits humains est bien établi, la lutte contre ce fléau reste l’un des grands enjeux du continent africain. L’OIF, dont la présidence est assurée par la Rwandaise Louise Mushikiwabo depuis le début de l’année, a décidé de s’engager sur le sujet. Mercredi et jeudi, l’organisation a réuni à Paris des Institutions nationales des droits de l’homme (INDH), des agences nationales de lutte contre la corruption, ainsi que des organisations internationales, telles que le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) ou encore l’UA.
Travailler conjointement
Une rencontre d’autant plus riche que les acteurs de l’anticorruption et ceux œuvrant pour le respect des droits humains n’ont pas pour habitude de travailler conjointement – du moins pas dans l’espace francophone. « En pratique, c’est assez nouveau, admet Elaine Ryan. Il y a la lutte contre la corruption d’un côté, et la promotion des droits de l’homme de l’autre. On n’a pas les mêmes interlocuteurs. C’est un peu comme deux mondes séparés. »
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Ainsi, l’Académie internationale de lutte contre la corruption (IACA), qui contribue à la mise en œuvre de la Convention des Nations unies pour la corruption, siège à Vienne, tandis que le HCDH réside, lui, à Genève. « Si on fait mieux travailler ces deux univers ensemble, ils seront plus au fait de ce qu’ils peuvent entreprendre pour lutter contre la corruption, à Genève et à Vienne », souligne Delphine Couveinhes Matsumoto, spécialiste du programme Droits de l’homme à l’OIF. D’où la tenue de ce séminaire, qui a vu le jour suite aux nombreuses interpellations de la part d’acteurs des droits humains quant aux effets de la corruption sur le droit à l’éducation. Notamment au Sénégal, où « des maîtres demandent à des jeunes filles de se prostituer pour avoir leurs diplômes ».