Tikpi Atchadam. Voilà le nom de celui qui redonne de l’espoir au peuple togolais écrasé par cinquante années du règne d’une dynastie, les Gnassingbé père et fils. Depuis cinq décennies, le Togo est dirigé par le père, Eyadéma (1967-2005) puis le fils, Faure, depuis 2005. Les élections organisées dans ce pays relèvent plus de la farce électorale que d’une consultation du peuple, la dernière élection présidentielle en 2015 officiellement remportée par le président sortant, Faure Gnassingbé illustre à elle seule la mascarade : les résultats sont proclamés alors que le dépouillement est effectué à 40 %.
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Qu’à cela ne tienne, la communauté internationale, France en tête, félicite le vainqueur. Circulez, y a rien à voir. Mais, depuis le mois d’août, le Parti national Panafricain (PNP) de Tikpi Atchadam a réveillé l’opposition lors de manifestations violemment réprimées provoquant la mort de plusieurs personnes (le bilan demeure contesté, il y a eu au moins deux morts). Depuis lors, l’opposition réunifiée manifeste dans tout le pays pour demander le retour à la Constitution de 1992, qui limite notamment le nombre de mandats présidentiels à deux, et le départ du président Faure Gnassingbé.
Déclic psychologique
Ces manifestations ont rassemblé plusieurs dizaines de milliers de personnes, une première dans l’histoire du Togo. Rien ne sera plus comme avant. Les Togolais n’ont désormais plus peur de descendre dans la rue pour demander le départ de celui qui les dirige depuis plus de douze ans déjà. Longtemps, la répression meurtrière de 2005 (le bilan établi par la Fédération internationale des droits de l’homme est de 811 morts) a été un frein à une contestation populaire d’envergure. Ce n’est plus le cas. Les Togolais n’ont plus peur car le ras le bol est à son comble. Cinquante ans d’un régime meurtrier et prédateur, cela fait long, très long.
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Il s’est produit un déclic psychologique comparable à celui que les Burkinabés ont connu avec les mutineries de 2011. Le pouvoir de Blaise Compaoré montrait soudainement toute sa fragilité et le chasser devenait enfin envisageable. Depuis les manifestations d’août, les Togolais eux aussi envisagent le départ de Faure Gnassingbé.
Emmuré dans sa tour d’ivoire, le président, conseillé par des courtisans qui ne veulent pas perdre leur position de prédateurs, n’entend rien. Le peuple exige son départ et quelle est sa réponse ? « Je vous ai entendu, je vous propose une réforme constitutionnelle qui vous garantira deux mandats supplémentaires de la dynastie Gnassingbé. »
Car c’est bien de cela dont il s’agit. Il propose la limitation à deux mandats présidentiels… mais seulement à partir de la prochaine élection ! Les députés de l’opposition ont rejeté, le 19 septembre, cette proposition au Parlement qui n’est rien d’autre qu’une provocation, voire une insulte. Cet échec doit donc théoriquement donné lieu à une consultation.
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Le pire, c’est que la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) soutient cette idée de référendum. Quant au Quai d’Orsay, son porte-parole déclarait une semaine plus tôt : « La France appelle à un esprit de responsabilité et de consensus pour mettre en œuvre la révision constitutionnelle dont le principe est agréé tant par le gouvernement que par l’opposition, en cohérence avec l’accord politique global de 2006. »
« Réconcilier les Togolais… »
Est-ce la réponse qu’attend un peuple exaspéré par cinquante ans de dictature ? De quel côté se situent la Cédéao et la France ? Pas du côté du peuple, assurément. Déjà, en octobre 2016, Manuel Valls, premier ministre, ne tarissait pas d’éloges pour le régime togolais lors de son déplacement à Lomé : « Monsieur le Président, vous faites avancer ce pays avec patience, avec détermination (…) Vous avez eu à cœur, et c’est comme ça que l’on reconnaît les grands dirigeants, de favoriser la réconciliation des Togolais entre eux et avec leur peuple [sic] ».
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Tout comme le député socialiste François Loncle, qui a signé dans les colonnes de Jeune Afrique, en décembre 2016, ce morceau de propagande pure et simple : « Le président Faure est conscient des problèmes auxquels son pays est confronté. Il a compris les aspirations du peuple togolais. Il mène une dynamique politique de développement qui vise à relever les grands défis (…) auxquels le Togo doit faire face. Sous sa direction le Togo évolue dans le bon sens. » La question que je pose à notre ancien premier ministre et à cet ancien député : pourquoi se livrer à de tels exercices de griots ? Je ne suis pas convaincu que ce soit la meilleure des manières pour promouvoir l’influence française.
Et le président Macron, qu’en pense-t-il ? Bonne question. Je n’ai rien lu de lui sur le sujet alors je me réfère à son discours à la tribune des Nations unies de septembre, lors de l’Assemblée générale. Il y déclarait (ou déclamait plutôt) ceci : « Si mon pays aujourd’hui possède, dans l’ordre des Nations, cette place un peu singulière, cela lui confère une dette, une dette à l’égard de tous ceux qu’on a privés de leur voix. Et je sais que le devoir de la France est de parler pour ceux qu’on n’entend pas. Car parler pour eux, c’est aussi parler pour nous, aujourd’hui ou demain. Et en ce jour, ce sont ces voix oubliées que je veux porter. » Monsieur le Président, le peuple togolais sera encore dans la rue cette semaine. Il vous offre une formidable occasion de passer des paroles aux actes. Portez donc sa voix oubliée !
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Au Togo, l’arrestation d’un imam proche de l’opposition met le feu aux poudres
L’opposition dénonce « l’enlèvement » d’Alpha Alassane, voix contestataire reconnue, alors que les manifestations reprennent pour exiger le départ du président Gnassingbé.
De violents heurts ont éclaté à Sokodé après l’arrestation, lundi 16 octobre, d’un imam proche des opposants du Parti national panafricain (PNP). Selon le gouvernement togolais, qui a dénoncé mardi des « actes à visée terroriste », les violences dans la deuxième ville du pays ont fait trois morts dont « deux militaires en faction » devant le domicile du ministre de l’agriculture « lynchés et exécutés » avant que leurs armes ne soient emportées. Selon le communiqué des autorités, « un jeune a également trouvé la mort et une vingtaine de blessés [a été] enregistrée parmi les civils et les forces de sécurité. » Cette dernière victime est, selon le directeur d’Amnesty International au Togo, un apprenti tapissier qui aurait reçu de « petites balles de plomb dans le corps ».
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Les violences qui se sont propagées dans la nuit dans plusieurs villes du pays ont éclaté lundi soir. « L’électricité a été coupée vers 19 heures, après la prière et cinq véhicules de la gendarmerie sont arrivés pour enlever Alpha Alassane, un imam très reconnu dans la ville », a raconté à l’AFP Ouro Akpo Tchagnaou, le coordinateur de l’Alliance nationale pour le changement, un parti d’opposition. « La population s’est sentie visée et est sortie dans les rues », a-t-il ajouté en indiquant que les échauffourées ont duré toute la nuit. Selon des sources concordantes, des domiciles de cadres du pouvoir, un bureau de banque, la poste et un bâtiment de la compagnie de téléphonie TogoCell ont été incendiés ou saccagés.
Le calme était revenu mardi matin, mais la population a menacé de ressortir dans la rue si l’imam n’était pas libéré.
Limitation du nombre de mandats présidentiels
A Agoé, le fief des partisans du PNP dans la capitale togolaise, où réside son leader Tikpi Atchadam, deux bureaux des douanes ont été incendiés et des pneus brûlés étaient encore visibles mardi matin aux abords des voies quadrillées par les forces de l’ordre. Le siège du PNP à Agoé est lui aussi parti en flammes.
Le ministre de la sécurité, le colonel Yark Damehame, a justifié sur les ondes de Radio Victoire l’arrestation de l’imam en affirmant que « dans ses prêches, il appelle ses fidèles à la violence et à la haine (…) Le comble, vendredi dernier, il a au cours de ses prêches appelé ses fidèles à tuer des militaires ».
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L’imam Alassane a toujours été une voix contestataire au Togo, mais dans un contexte de tensions politiques accrues, il s’est rapproché du PNP dirigé par Tikpi Atchadam, la figure de proue de la contestation de ces derniers mois.
Le PNP s’est allié à treize autres partis de l’opposition pour demander le retour à la Constitution de 1992 qui limite à deux du nombre de mandats présidentiels, et la démission du président Faure Gnassingbé, élu en 2005 dans la violence.
Ce regain de tension intervient alors que de nouvelles marches de l’opposition sont prévues le 18 octobre sur l’Assemblée nationale et le lendemain sur le siège de la Communauté économique des états d’Afrique de l’ouest (Cédéao). Des débordements sont à craindre, le gouvernement ayant interdit les manifestations les jours de semaine.
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Depuis le mois d’août, le pays est agité par une contestation qui se remobilise régulièrement, comme les 6 et 7 septembre, où plusieurs dizaines de milliers de personnes étaient descendues dans la rue dans tout le pays pour exiger la fin du règne de la dynastie Gnassingbé, au pouvoir depuis cinquante ans.
Le Monde.fr avec AFP