La France a apporté son soutien à Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères de Paul Kagamé, proche de celui-ci. Une candidature qui divise en raison de l’autoritarisme de son gouvernement.
La Francophonie occupe rarement l’espace médiatique. L’élection de la prochaine secrétaire générale lors du sommet de l’OIF (Organisation internationale de la Francophonie), à Erevan (Arménie), jeudi et vendredi, a pourtant braqué les projecteurs sur cette institution aux contours flous et dont on dit souvent qu’elle est un vestige du passé colonial. Deux femmes s’affrontent pour en prendre la tête : la Canadienne Michaëlle Jean, secrétaire générale sortante, qui s’est maintenue dans la course après que le Canada et le Québec ont annoncé qu’ils ne la soutenaient plus, et la Rwandaise Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères. Celle-ci a reçu l’onction de Paris, dont le poids est déterminant pour se faire élire à la tête de l’organisme, déclenchant de nombreuses oppositions.
Dans une tribune publiée dans “le Monde”, quatre anciens ministres français chargés de la Francophonie ont dénoncé une “atteinte à l’image même de notre pays”. Ils estiment tout d’abord que la décision de soutenir la candidature de Louise Mushikiwabo n’a pas été concertée avec les principaux partenaires de l’OIF. Ils regrettent le choix d’un pays qui “n’a cessé de prendre ses distances avec notre langue” au profit de l’anglais. Le français a été remplacé par l’anglais comme langue d’enseignement en 2008. C’est d’ailleurs en anglais que le président du Rwanda, Paul Kagamé, avait annoncé la candidature de sa ministre. Enfin, et surtout, ils accusent Paris d’avoir coopté la ministre des Affaires étrangères d’un pays qui est loin d’avoir fait ses preuves en matière de démocratie et de droits de l’homme.
A l’Elysée, on justifie :
“C’est une candidature portée par l’Union africaine, une candidate de l’Afrique. Il nous semble cohérent de remettre ce continent au centre de la Francophonie.”
Contrairement à la précédente élection pour laquelle les pays africains n’avaient pas réussi à se mettre d’accord, l’Union africaine, lors de son sommet à Nouakchott, le 2 juillet, avait annoncé son soutien collectif en faveur de Louise Mushikiwabo. “Cette candidature a rassemblé un consensus africain en quelques semaines. Nous avons pris en compte la rapidité et la solidité de ce consensus. C’est une bonne nouvelle”, s’est félicité l’entourage d’Emmanuel Macron qui souligne que le plurilinguisme au Rwanda [le français, langue du colonisateur belge, reste une des trois langues officielles du pays, aux côtés du kinyarwanda et du kiswahili, mais n’est parlé que par 5,6% de la population, NDLR], loin d’être un handicap, “illustre parfaitement” la politique inclusive du président français.
“La France dicte”
Hélène Conway-Mouret, ancienne ministre déléguée aux Affaires étrangères, chargée des Français établis hors de France entre 2012 et 2014, est l’une des signataires de la tribune. “Nous avons souhaité exprimer notre agacement vis-à-vis de l’attitude de la France, très péremptoire, qui a décidé de façon unilatérale de soutenir la candidature rwandaise sans en discuter avec ses partenaires africains”, assure-t-elle précisant qu’elle n’est pas opposée à la personnalité de Louise Mushikiwabo.
Selon elle, contrairement aux affirmations de l’Elysée, la pilule passe mal auprès de certains gouvernements de pays d’Afrique de l’Ouest. “On a l’impression d’un retour en arrière dans la façon dont se comporte Paris avec l’Afrique. On semble passer d’une relation basée sur un partenariat à ‘la France dicte'”, souligne-t-elle. Elle dit avoir reçu de nombreux courriers “d’amis africains” qui s’irritent de ce patronage. “La France a décidé que c’était notre candidate. Tous pensaient que Michaëlle Jean, qui n’avait pas démérité, allait faire un second mandat, comme ses prédécesseurs. Les chefs d’Etat africains n’ont même pas eu le temps de se retourner ! Il n’y a pas eu de débat. Ça aurait été compliqué pour eux de refuser cette candidature : le Rwanda est un pays qui compte sur le continent.”
L’opacité des nominations des secrétaires généraux de l’OIF aux termes de négociations de couloirs n’est pas inédite. Le soutien de la France à telle ou telle candidature a parfois suivi un agenda qui dépassait le cadre de la Francophonie. En 2014, alors que la fronde populaire se faisait de plus en plus forte contre le président burkinabé Blaise Compaoré, l’Elysée lui avait proposé le poste comme porte de sortie. Kako Nubukpo, ancien directeur de la Francophonie numérique et économique à l’OIF, rappelle :
“Emmanuel Macron s’inscrit dans cette longue tradition de choix des secrétaires généraux effectué par le président français.”
Il poursuit :
“Je ne comprends pas l’indignation de ces anciens ministres qui ne se sont pas plaints à l’époque où ils étaient en fonction. Mais je comprendrais qu’on souhaite réformer la nomination des secrétaires généraux pour plus de transparence.”
Dans une note publiée par la Fondation Jean-Jaurès, l’économiste et Caroline Roussy, docteure en histoire de l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, proposent que les candidats soient auditionnés, comme il est d’usage dans le cadre des Nations unies, et qu’un débat projet contre projet ait lieu, “condition d’une élection démocratique”.
Libération de prisonniers
Outre le rôle de la France dans l’organisation de la Francophonie, Hélène Conway-Mouret, tout comme de nombreuses ONG, juge que la candidature rwandaise sacrifie la charte de l’OIF, qui a inscrit “le soutien aux droits de l’homme” parmi ses missions premières, sur l’autel d’une réconciliation entre Paris et Kigali, qui accuse la France d’avoir joué un rôle dans le génocide rwandais. “Paul Kagamé met en prison ses opposants. Il est tout sauf un démocrate !”, dénonce-t-elle. “Nous serons attentifs”, répond l’Elysée voyant comme un signe positif la libération opportune de 2.140 prisonniers début septembre.
“Les récentes remises en liberté de prisonniers pourraient être le signe que le Rwanda est en train de tourner la page du passé et d’ouvrir l’espace politique. Mais il faudra plus qu’un geste discrétionnaire spectaculaire pour convaincre le monde qu’il s’agit bien du début d’un changement systémique et réel”, met en garde Human Rights Watch, qui appelle le gouvernement rwandais à mettre fin aux exécutions sommaires, aux disparitions forcées, aux arrestations, aux détentions illégales et aux actes de tortures.
Caroline Roussy estime :
“Je comprends les inquiétudes. Mais une démocratie par le bas est en train de se mettre en place au Rwanda. Le pays investit dans l’éducation et la santé. Louise Mushikiwabo est chef de la diplomatie rwandaise depuis dix ans, interprète de formation, à l’aise aussi bien en français qu’en anglais. On peut espérer qu’elle fasse bouger davantage les lignes au Rwanda.”
Elle reconnaît cependant : “Il sera compliqué pour elle de demander à être respectueux des processus démocratiques et des droits de l’homme, compte tenu de sa position. Cela étant dit, la secrétaire générale sortante, Michaëlle Jean, n’a jamais rappelé ces principes en quatre ans…”
Sarah Diffalah
L’OIF, une institution pour les 274 millions de francophones dans le monde
L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), qui réunit 84 Etats et gouvernements, forme la représentation politique des quelque 274 millions de francophones dans le monde. Cette instance est née du besoin d’anciennes colonies françaises, devenues indépendantes, de pouvoir se réunir dans une organisation ayant “le français en partage”, comme le dit la charte de l’OIF. Les Sommets se réunissent tous les deux ans depuis lors.
Très vite, l’OIF s’est ouverte aux pays qui n’étaient pas d’anciennes colonies, à la différence du Commonwealth, qui rassemble largement d’anciens territoires britanniques. L’OIF, qui siège à Paris, s’est dotée d’un secrétaire général dès 1997, avec la nomination de l’Egytien Boutros Boutros-Ghali, qui venait alors de quitter la tête de l’ONU. Il sera remplacé, en 2002, par l’ancien président sénégalais Abdou Diouf, réélu deux fois, avant de céder la place en 2014 à la Québécoise Michaëlle Jean, ancienne gouverneure générale du Canada (représentante de la reine d’Angleterre dans cette ancienne colonie).
L’OIF s’est fixée comme “domaines prioritaires” la langue française et la diversité culturelle et linguistique ; la paix, la démocratie et les droits de l’homme ; l’éducation et la formation et, enfin, le développement durable, l’économie et la solidarité.
Par Sarah Diffalah – Journaliste
[spacer style="1"]
Francophonie : Emmanuel Macron et Michaëlle Jean prononcent deux discours antagonistes
Deux visions divergentes se sont exprimées lors de la cérémonie d’ouverture du XVIIe sommet de la Francophonie. Le Français Emmanuel Macron veut un espace où « personne n’a de leçon à donner ». La secrétaire générale sortante, Michaëlle Jean, a pour sa part estimé « qu’une organisation qui ruse avec ses valeurs et ses principes est déjà moribonde ».
C’est par discours interposés que se sont affrontés, parfois avec véhémence, le président français Emmanuel Macron et la secrétaire générale sortante Michaëlle Jean, dès l’ouverture du XVIIe sommet de la Francophonie, à Erevan, le 11 octobre.
Le président français, dont c’était la première participation à un sommet de la Francophonie, a prononcé le plus long discours (près de 40 minutes). Il a d’abord souhaité que l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) se recentre autour de quelques priorités : la jeunesse et l’éducation (« Tous les jeunes enfants et en particulier les jeunes filles » doivent pourvoir « aller à l’école »), le numérique (il appuie le projet canadien de développement « d’une plateforme numérique francophone (…) à partir de TV5 Monde », pour renforcer la place du français sur Internet) ou encore la culture (il a proposé la mise en place « d’un congrès des écrivains de langue française », projet qu’il a notamment confié à sa représentante personnelle, Leïla Slimani, et à sa ministre de la Culture, Françoise Nyssen).
Valeurs et démocratie
Mais c’est sur les « valeurs » que son discours a été le plus remarqué. Il a en effet exprimé une grande ambition pour la Francophonie (résister « aux mensonges », aux « discours de haine », à la « remise en cause de l’indépendance de la justice » et « des droits des femmes » sur « tous les continents »), tout en insistant sur le fait que l’OIF n’était pas un espace où l’on « donne des leçons ». « Personne n’a de leçon à donner à qui que ce soit, mais chacun a une exigence contemporaine à porter », a-t-il dit. Ou encore : « Nous n’avons aucune leçon à nous donner, mais des combats à mener ensemble ».
Cela ne veut pas dire que le président se désintéresse des valeurs et de la démocratie
Ce discours a notamment donné l’impression qu’il prenait le contre-pied de son prédécesseur, François Hollande, qui avait plusieurs fois prononcé des discours sur la démocratie – et notamment sur le respect de la limitation constitutionnelle des mandats.
« Cela ne veut pas dire que le président se désintéresse des valeurs et de la démocratie, nuance un membre de la délégation française. Il y est sensible et l’a rappelé dans le discours. Simplement, il faut peut-être changer de méthode. »
Le message a été plutôt apprécié par les délégations africaines présentes à Erevan. « Cela va dans le bon sens, commentait un chef de délégation d’Afrique centrale. Nous sommes pour les valeurs francophones mais nous n’aimons pas la condescendance. » « Macron a dit ce qu’il fallait », abondait un membre d’une autre délégation de cette région. Tandis que le chef d’une délégation ouest-africaine se montrait tout aussi satisfait : « Je crois qu’Emmanuel Macron entend ce qui se dit. Ne pas donner de leçon, c’est ce qui fait le succès des Asiatiques sur notre continent. »
« Petits arrangements entre États »
La secrétaire générale sortante, Michaëlle Jean, a semblé sur une toute autre longueur d’ondes. Dans son discours – le dernier de la cérémonie d’ouverture, comme le veut le protocole -, elle s’est opposée, parfois assez directement, à cette vision.
Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés ne soient plus que des mots ?
« C’est sous votre impulsion que la Francophonie a élargi ses missions, qu’elle s’est affirmée comme une Francophonie politique et diplomatique », a-t-elle lancé à l’adresse des chefs d’État présents. « Les valeurs valent pour tous les temps, pour tous les peuples et toutes les nations », mais « nous voyons métastaser le désenchantement de la démocratie », s’est-elle inquiétée.
« Sommes-nous prêts à accepter que la démocratie, les droits et les libertés ne soient plus que des mots ? » s’est-elle interrogée, avant de fustiger « les petits arrangements entre États ». Une allusion transparente aux discussions entre la France, l’Union africaine et son propre pays, le Canada, qui ont fini par se rallier à sa rivale, la ministre rwandaise Louise Mushikiwabo. « Une organisation qui ruse avec les valeurs et les principes est déjà une organisation moribonde », a-t-elle encore ajouté.
>>> À LIRE – Francophonie : le Canada et le Québec retirent leur soutien à Michaëlle Jean
Ce n’était pas un discours très amical
À cet instant, Emmanuel Macron avait déjà quitté l’assistance au profit de son programme bilatéral en Arménie – à commencer par un déjeuner avec la famille du défunt chanteur franco-arménien Charles Aznavour. Mais dans la délégation française, on a bien compris à qui ces mots étaient destinés. « Ce n’était pas un discours très amical », euphémisait un de ses membres.