Après le drame du village de Sobane dans le centre du Mali, plusieurs organisations, dont la Minusma, appellent l’État à mettre fin à l’impunité pour les auteurs de ces attaques. Maître Mamadou Ismaïla Konaté, ancien ministre de la Justice au Mali et auteur du livre « Justice en Afrique : ce grand corps malade, le cas du Mali » paru en 2018, met en cause le gouvernement. « Il faut passer de la parole à la réalité » dit il, car sans justice, il ne peut y avoir de pardon et de résolution des crises que traverse le pays.
La Mission de l’ONU au Mali (Minusma), mais aussi Amnesty International, notamment, interpellent le gouvernement malien et dénoncent l’impunité qu’il règne au Mali ?
Mamadou Ismaïla Konaté : Bien sûr qu’il a un problème d’impunité. Depuis 1992, notre pays est confronté à différentes crises de différentes natures. Toutes ces crises aujourd’hui impliquent la justice au premier niveau, que ce soit des crises dans lesquelles il y a des tueries de personnes, que ce soit des crises dans lesquelles il y a des violations de droit, que ce soit des crises dans lesquelles les populations se sont érigées en puissance en lieu et place de l’État, aucun crime n’a fait l’objet de poursuites, aucune justice ne s’est véritablement installée pour appréhender les crimes aujourd’hui, et aucune situation de difficulté qu’ont connue les populations et les communautés n’a pu être totalement démêlée par application de la justice.
Et le risque, c’est que la population cherche à se venger en se faisant justice elle-même ?
Oui. Lorsque les populations ont subi des exactions, supportent des préjudices et souvent des préjudices graves qui sont récents dans leur corps, dans leur âme et dans leur esprit, quand une communauté se sent meurtrie et qu’elle met en cause une autre communauté en attendant une justice qui n’arrive pas, en attendant une réparation qui n’arrive pas, elle est dans une situation presque légitime de son point de vue d’attaquer l’autre communauté. Et ce cycle infernal de violences aujourd’hui nous a menés à des situations qui sont très graves. Et c’est pour cela que cela ne sert à rien aujourd’hui de mettre des centaines de milliers de dollars dans les armements si la justice n’est pas un accompagnement de la sécurité. Justice et sécurité sont constitutives justement de l’État de droit et de l’État de démocratie.
Et c’est ce à quoi on assiste avec la milice Dan Na Amassagou qui se dit prête à reprendre les armes, car elle dénonce l’absence de soutien de l’État depuis cinq ans ?
C’est exactement cette situation que j’étais en train de vous décrire aujourd’hui. Si vous lisez la teneur du communiqué qu’a publié cette milice aujourd’hui, vous vous rendez compte qu’on n’est pas loin du cycle infernal de la violence, dans un face-à-face terrible où deux communautés décident de se faire la guerre. Dans un pays, ça s’appelle la guerre civile. Et l’État qui est en recul par rapport à ça, l’État qui ne met pas le système de justice en marche pour appréhender cela, pour juguler cela, pour corriger cela ! On n’est pas dans un État de droit. Je pense que les autorités maliennes aujourd’hui sont interpellées dans leurs responsabilités directes et entières.
Alors que cette milice Dan Na Amassagou est censée être dissoute. Qu’en est-il dans les faits ?
C’est ça le ridicule. L’autorité de l’État est totalement bafouée. La justice étatique n’est pas reconnue, la force publique n’est plus du fait de l’État, mais elle du fait de personnes privées organisées sous forme de milices. C’est pour cela que l’ensemble des Maliens doivent se reprendre aujourd’hui pour exiger de l’État du Mali qu’il assume la plénitude de sa responsabilité. Cela veut dire qu’aujourd’hui, tous les crimes impunis doivent être poursuivis, aujourd’hui les situations de détournement de biens, les situations de tuerie, les situations de violation absolue des droits doivent permettre à la justice aujourd’hui de sévir. Et nous demandons aujourd’hui à l’État de se soumettre lui-même à la justice pour que ces scènes de violence, qui sont insupportables, puissent s’arrêter sur le territoire malien.
Le ministre de la Communication, Yaya Sangaré, promettait sur notre antenne que justice serait faite. Est-ce qu’on peut accorder du crédit à ses annonces ?
Lorsqu’il y a des situations de crises qui surviennent, ce sont les mêmes personnages, ce sont les mêmes mots, ce sont les mêmes discours, ce sont les mêmes scènes auxquelles nous assistons. Ce que nous demandons aujourd’hui, c’est que l’on passe de la parole à la réalité. Cette situation ne peut pas continuer. Le gouvernement a besoin de donner des assurances assez fortes à ce peuple, à ce pays, à cette nation qui ne seront plus attendre pendant très longtemps.
Quelles solutions concrètes apporter ?
La première des solutions aujourd’hui, c’est qu’il faut que l’armée donne la sécurité absolue aux gens de justice pour qu’ils agissent. Leur sécurité physique. C’est-à-dire qu’en même temps que les forces de défense interviennent, il faut mettre le juge dans le lot, de manière qu’il puisse faire la collecte des preuves. Quand aujourd’hui, vous mettez la justice dans une situation [où il lui est] impossible de fonctionner, une justice qui manque de matériels, de juges motivés, de bâtiments indispensables pour rendre la justice, cette désorganisation de la justice incombe ni plus ni moins qu’à l’État du Mali.
Par Jeanne Richard