Quand je vois certains manifester notamment à Paris en chantant les louanges de ce colonel Malien, le comparant parfois à Jerry Rawlings ou Thomas Sankara, je me dis qu’un certain “sentiment anti-français” pourrait aussi empêcher de garder toute la lucidité nécessaire pour savoir identifier le projet sous-jacent d’une conservation du pouvoir pour le pouvoir derrière la revendication légitime et populaire d’une plus grande souveraineté du Mali.
Soyons donc très vigilants et redoublons d’exigence, y compris vis-à-vis des juntes militaires!
En effet tout en déplorant le fait qu’un embargo international finisse par punir tout un peuple à cause de la dérive pouvoiriste d’une junte militaire, militons pour des sanctions ciblées contre les principaux membres de celle-ci en nous montrant inflexibles avec le nécessaire rétablissement de l’ordre constitutionnel et le retour d’un pouvoir civil légitime au Mali, comme dans tous ces pays africains actuellement sous le contrôle des régimes militaires.
Sinon nous entérinons la régression des processus démocratiques et la mort programmée des cultures d’alternances sur le continent, pour lesquels les peuples d’Afrique se sont petit à petit imprégnés malgré les fraudes électorales retentissantes dans certains pays sous la relative complaisance voire complicité de la supposée communauté internationale, notamment de la France.
JDE
[spacer style="1"]
Mali : la situation sécuritaire s’améliore, mais la bombe sociale couve
RAPPORT. Situation sécuritaire, droits humains, démocratie : Alioune Tine, expert indépendant de l’ONU pour les droits humains dresse un bilan de sa visite au Mali.
Par Le Point Afrique
Expert indépendant des Nations unies pour les droits de l’homme au Mali, le Sénégalais Alioune Tine a dressé ce mardi 22 février le bilan d’une mission de près de 10 jours dans le pays d’Afrique de l’Ouest. Tout au long de son séjour, il a rencontré les autorités de la transition, la classe politique malienne, la société civile, et d’autres, se rendant sur le terrain à Tombouctou ou Mopti. Au terme de sa visite, l’expert onusien dresse un bilan très nuancé de l’état du pays. Il affirme d’une part que le Mali connaît une « amélioration tangible dans le domaine sécuritaire » mais, de l’autre, il y règne un « climat délétère » de recul de la liberté d’expression.
Malgré des progrès tangibles, poursuite des exactions des groupes extrémistes
« Pour la première fois » depuis 2018, analyse Alioune Tine lors d’une visioconférence depuis Dakar, « j’ai noté une amélioration tangible de la situation sécuritaire, de la situation des personnes déplacées internes, de la situation des droits de l’homme ainsi que des dynamiques de paix endogènes, notamment dans le Centre du Mali ». Il a étayé ses propos en arguant d’une baisse du nombre de personnes déplacées (d’environ 400 000 en septembre à 350 000 en décembre, selon l’ONU) et d’une baisse des violations recensées par l’ONU des droits humains sur le dernier semestre 2021. Toujours d’après l’ONU, dans la région de Gao, le nombre de personnes déplacées a diminué de près de la moitié (49 %) entre septembre et décembre 2021. Cette diminution s’expliquerait notamment par la pacification progressive de certaines localités dans les régions du centre et du nord du pays
Pour le fondateur du think thank Afrikajom Center, ces « améliorations tangibles » ne doivent « pas occulter les défis sérieux », notamment avec une présence de groupes djihadistes « qui continuent d’attaquer, de tuer et d’enlever des civils ». Selon des sources locales, une quarantaine de civils ont été tués mi-février par le groupe État islamique dans le Grand Sahara (EIGS, affilié à l’organisation État islamique) dans la région de Tessit, dans la partie malienne de la zone dite des trois frontières, aux confins du Mali, du Burkina Faso et du Niger. Huit militaires maliens et « une soixantaine » de djihadistes sont décédés lors de combats dans la même zone vendredi, selon Bamako. « Pour assurer leur durabilité, les succès engrangés sur le plan militaire devraient s’accompagner immédiatement du retour effectif de l’autorité de l’État et des services sociaux de base sur toute l’étendue du territoire malien », préconise Alioune Tine dans sa déclaration finale.
Davantage d’écoles fermées !
Observateur averti du Sahel, Alioune Tine met en garde contre une « bombe sociale » qui « se profile à l’horizon » avec la fermeture par les mêmes groupes radicaux d’écoles. Le nombre d’élèves affectés a augmenté en 2021, a-t-il rappelé : de 400 000 à 500 000 entre janvier et décembre, selon l’ONU. « En outre, les fermetures d’écoles auraient contribué à l’augmentation des mariages précoces et à l’exode rural des filles, un phénomène qui a augmenté le risque d’exploitation et d’abus sexuels contre ces filles. L’insécurité continue d’avoir un impact considérable sur la situation des droits fondamentaux des femmes, avec la récurrence inquiétante de cas de violence basée sur le genre », a déclaré l’expert des droits de l’homme des Nations unies.
Rétrécissement de l’espace civique et du débat démocratique
Autre observation, Alioune Tine a expliqué s’être rendu du 7 au 18 février à Mopti et Tombouctou et avoir rencontré une large part des acteurs sociopolitiques maliens à Bamako. « Tous sont unanimes, il est de plus en plus difficile d’exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonné ou lynché sur les réseaux sociaux », a-t-il estimé en exprimant sa « profonde préoccupation par rapport au rétrécissement de l’espace civique ». Annonçant faire de la lutte contre la corruption une priorité, les militaires ont arrêté plusieurs hommes et femmes politiques, dont l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga. Transféré en décembre de la prison vers une clinique bamakoise en raison de son état de santé, il a perdu 20 kilos et nécessite une évacuation, selon Tine.
Ce « climat délétère a mené plusieurs acteurs à l’autocensure par crainte de représailles des autorités maliennes de transition et/ou de leurs sympathisants », a-t-il encore déclaré, estimant que des « menaces réelles pèsent (notamment) sur l’activité des défenseurs des droits de l’homme ». Les enquêtes sur les présumées violations des droits humains par des acteurs du conflit au Mali, notamment l’armée malienne, sont de plus en plus rares. « Quand vous sortez quelque chose (une enquête, NDLR), vous êtes assaillis puis lynchés par les médias, surtout les médias sociaux », a encore dénoncé l’ancien directeur régional d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre.
Le Mali est dirigé par des militaires depuis qu’ils ont renversé en août 2020 le président Ibrahim Boubacar Keïta. Sous embargo de ses voisins ouest-africains pour ne pas avoir respecté son engagement d’organiser des élections fin février, le Mali est en négociations avec la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest sur la durée de la « transition ». Alioune Tine s’est exprimé en faveur d’une levée des sanctions de la Cedeao, imposées depuis janvier, « tout en invitant les autorités maliennes à dialoguer avec l’organisation sous-régionale pour trouver un accord permettant le retour à l’ordre constitutionnel dans des délais raisonnables. » L’expert onusien se trouvait sur place au moment où les partenaires européens, dont la France, ont annoncé se retirer du Mali. À ce propos, il invite « la communauté internationale et africaine » à « reconnaître la nécessité de repenser les réponses sécuritaires au Sahel ». Il en appelle « au développement de stratégies de sécurité plus intégrées, axées sur la protection des populations civiles et de leurs droits humains fondamentaux », a-t-il déclaré. D’après Alioune Tine, l’un des éléments déclencheurs de la crise de confiance entre le Mali et la communauté internationale est la présence supposée de la milice Wagner dans le pays. Sur cet élément, il ne s’est pas directement exprimé dans sa déclaration, mais a répondu à des questions de journalistes, affirmant n’avoir vu « aucun soldat russe ni Wagner lors de toute ma tournée », a-t-il confié dans un entretien à TV5 Monde Afrique. « Pour l’instant, et jusqu’à preuve du contraire, je m’en tiens à la thèse officielle du gouvernement, comme quoi il s’agit d’une coopération d’État à État. » Alioune Tine soumettra son rapport annuel au Conseil des droits de l’homme en mars 2022, à Genève.
[spacer style="1"]
Au Mali, le raidissement de la junte militaire : « Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous »
Arrestations, condamnations et lynchages sur les réseaux sociaux inquiètent opposants politiques, journalistes et universitaires.
Silence au bout du fil. Depuis le second coup d’Etat qui a conforté, le 24 mai 2021, la prise de contrôle des militaires sur la transition politique au Mali, de plus en plus de téléphones sonnent dans le vide à Bamako. Hommes politiques, intellectuels ou relais d’opinion en désaccord avec la ligne du gouvernement se font discrets. « Je ne peux plus prendre le risque de parler. Comprenez-moi », s’excuse, après une énième relance, un universitaire en poste dans la capitale malienne.
« Tous sont unanimes : il est de plus en plus difficile d’exprimer une opinion dissidente sans courir le risque d’être emprisonné ou lynché sur les réseaux sociaux, déplorait, mardi 22 février, l’expert indépendant des Nations unies pour les droits humains au Mali, le Sénégalais Alioune Tine, de retour d’une mission de douze jours dans le pays. Ce climat délétère a conduit plusieurs acteurs à l’autocensure par crainte de représailles des autorités maliennes de la transition et/ou de leurs sympathisants. »
De plus en plus tangible ces derniers mois, le « rétrécissement de l’espace civique », évoqué par l’émissaire des Nations unies, s’est imposé progressivement. Au nom de la lutte contre la corruption et d’une certaine moralisation de la vie politique d’abord, pour préserver l’unité et la souveraineté nationales ensuite. La junte malienne, enferrée dans une crise multiforme nourrie par les tensions avec la France et les sanctions imposées par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao), fédère désormais autour d’un récit unique : celui d’un régime œuvrant, envers et contre tout, à la refondation du Mali. Un chantier titanesque qui nécessiterait son maintien aux affaires au-delà de l’échéance initialement fixée au 27 février.
Coudées franches
Signe que les putschistes ont maintenant les coudées franches, le report des élections censées permettre le retour au pouvoir des civils a finalement été entériné le 21 février par le Conseil national de transition, l’assemblée tenant lieu d’organe législatif depuis le coup d’Etat. Cette révision permet aux militaires menés par Assimi Goïta de rester au pouvoir jusqu’en 2027. Elle a été adoptée à l’unanimité.
Mardi, une coalition de huit partis opposés à la junte a tenté de riposter depuis Abidjan, en Côte d’Ivoire, en annonçant vouloir former un gouvernement civil de transition le 27 février pour organiser des élections dans « un délai de six mois ». Mais il est peu probable que ces voix portent jusqu’à la capitale malienne, où l’opposition craint de subir la colère des autorités et des représailles judiciaires.
Un premier signal de ce raidissement avait été envoyé dès la fin août 2021 avec l’inculpation de Soumeylou Boubèye Maïga. L’ex-patron des services de renseignement et ancien chef du gouvernement du président déchu Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) est poursuivi pour des malversations financières présumées dans une affaire portant sur l’achat d’équipements militaires et d’un avion présidentiel.
Ministre de la défense à l’époque des faits, il est toujours détenu à Bamako, malgré des demandes d’évacuation médicale introduites par plusieurs médecins. « Tout en le mettant hors d’état de nuire, la junte a voulu créer un exemple pour intimider d’éventuels présidentiables et leur faire comprendre qu’ils feraient mieux de se montrer conciliants s’ils ne veulent pas que les casseroles qu’ils traînent soient déballées devant la justice », estime un proche de l’ancien premier ministre.
Car même les personnalités réputées proches de la junte sont sous pression. Fin octobre 2021, Issa Kaou N’Djim, pourtant quatrième vice-président du Conseil national de transition, a été écroué et démis de ses fonctions pour « troubles à l’ordre public et atteinte au crédit de l’Etat ». Il avait qualifié le premier ministre, Choguel Maïga, de « démagogue et de populiste qui n’a pas de solution », fustigeant le caractère selon lui « irresponsable » de son discours à la tribune des Nations unies, le 25 septembre 2021, dans lequel le très volubile chef du gouvernement avait dénoncé un « abandon en plein vol » du Mali par la France dans la lutte contre le terrorisme.
Depuis sa condamnation à six mois de prison avec sursis, Issa Kaou N’Djim garde ses critiques pour lui. « Si on parle, on peut être enfermé », s’est-il plaint dans une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux mi-février, en refusant de répondre à une question.
L’inculpation, fin novembre 2021, d’un autre ancien premier ministre d’IBK, Moussa Moura, dans une affaire de malversation foncière datant de 2013, suivie de celle de l’opposant Oumar Mariko pour « injures », « diffusion d’injures » et « menaces » contre de Choguel Maïga ont achevé de convaincre les plus récalcitrants.
« Chasse aux sorcières »
Mais les responsables politiques ne sont pas les seuls visés par ces intimidations. Après la mise en place des sanctions décidées par la Cedeao le 9 janvier, l’économiste Etienne Fakaba Sissoko a eu le malheur d’intervenir dans plusieurs médias maliens et internationaux pour alerter sur les « conséquences incommensurables » de l’embargo. Il avait également « dénoncé la chasse aux sorcières » en cours et « demandé le remplacement du premier ministre ». Accusé de « propos subversifs et démoralisants », il a été arrêté et entendu par la police, avant d’être inculpé et écroué quelques jours plus tard dans deux autres affaires, pour incitation « à la discrimination ethnique ou religieuse » et « usage de faux » concernant ses titres universitaires.
A Bamako, son cas a fait souffler un vent de panique sur les milieux intellectuels et médiatiques. « A partir de là, nous avons compris que celui qui osait nager à contre-courant risquait d’être pris pour cible. J’ai commencé à être menacé sur les réseaux sociaux, on m’a traité de pestiféré, d’apatride, d’affidé de la France. Certains confrères ont même été payés pour se taire », affirme le rédacteur en chef d’un journal malien qui a requis l’anonymat.
« Certains commentent nos articles en disant qu’après avoir chassé les Blancs du Mali, ils vont nous bannir à notre tour. Les personnes soutenant la communauté internationale ou critiquant le délai de la transition sont désormais considérées comme des ennemis à abattre », déplore Abdoulaye Guindo, coordinateur du site d’informations Benbere. Des inquiétudes renforcées par l’appel à « plus de responsabilité, de professionnalisme et surtout de patriotisme dans le traitement de l’information », lancé le 10 janvier par le président de la Maison de la presse du Mali, une organisation qui chapeaute une cinquantaine d’associations de médias locaux.
« Père fouettard »
« Si vous n’êtes pas avec nous, vous êtes contre nous », résument à mots couverts plusieurs observateurs à propos de la junte. « Cette dérive confrontationnelle et radicale répond à une volonté des autorités de repositionner le Mali, politiquement, analyse Fahiraman Rodrigue Koné, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Bamako. Les fantasmes montent autour des modèles politiques alternatifs et autoritaires. Ils sont nourris par des élites qui ont vécu la période de Moussa Traoré. »
L’un des plus fervents défenseurs de ce dictateur qui a sapé l’avènement de la démocratie par un coup d’Etat en 1968 n’est autre que le premier ministre Choguel Maïga, que plusieurs sources désignent comme l’un des principaux instigateurs de cette stratégie de musellement des oppositions. Mais, souligne Fahiraman Rodrigue Koné, cette aspiration à un Etat plus autoritaire « rencontre aussi une certaine adhésion populaire. Elle se nourrit d’un profond rejet du projet démocratique, qui n’a pas résolu les vrais problèmes des Maliens. L’impunité et les inégalités ont perduré avec des élections qui ont consacré l’accession au pouvoir d’élites corrompues ».
Dans un tribunal de Bamako, un magistrat interrogé par Le Monde admet volontiers ce « recul de la démocratie ». « Votre conception illimitée des libertés à la française ne marche pas chez nous. Notre société a une culture punitive. Nous étions obligés de mettre fin à toutes ces dérives autour de la liberté d’expression », glisse-t-il, considérant qu’il revient à la justice de jouer un rôle de « Père fouettard », mais non de « censeur » : « A Paris, il vous faut peut-être des institutions fortes. Chez nous, c’est un homme fort, un despote éclairé qu’il faut. Nous reviendrons au pluralisme une fois que nous serons sortis du gouffre. »
Morgane Le Cam