Depuis sa cellule de la prison de Yaoundé, où il purge une peine de deux ans de prison, l’opposant Mamadou Mota revient sur les divergences au sein de son parti, le MRC de Maurice Kamto.
Condamné le 9 septembre à deux ans de prison ferme pour son implication dans la mutinerie du 22 juillet à la prison centrale de Kondengui, où il est écroué depuis le mois de juin dernier, le premier vice-président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) de Maurice Kamto suit à la loupe l’évolution politique du pays, en particulier au sein de sa formation, où les divergences de points de vue s’étalent sur la place publique.
À quelques jours du premier anniversaire de son arrestation, survenue le 1er juin 2019, Mamadou Mota a accepté de répondre à nos questions, depuis sa cellule. Malgré la détention, son engagement s’est raffermi, assure-t-il. Au sein de son parti, où des voix s’élèvent pour réclamer un changement de stratégie et la fin de l’opération « Non au hold up électoral » initiée par Maurice Kamto pour contester les résultats de la présidentielle de 2018, l’ingénieur agronome de 40 ans se pose en « réconciliateur ».
Jeune Afrique : Voilà bientôt un an que vous êtes incarcéré à la prison prison centrale de Kondengui, à Yaoundé. Comment vivez-vous cette détention ?
Mamadou Mota : Ce n’est pas ma santé qui importe, ni même ma détention injustifiée dans cet endroit sordide. Ce qui compte, c’est la situation de mes compatriotes emprisonnés sans perspective d’avenir, dans une prison où la maladie, la faim et le désespoir sont le quotidien d’hommes et de femmes qui étaient pourtant destinés à une vie meilleure.
Pour ma part, physiquement et moralement, je vais bien. Je vis cette incarcération comme une étape dans la lutte pacifique que nous menons pour la démocratisation du Cameroun. Tout comme j’ai intégré le risque de torture et même l’élimination physique. J’ai d’ailleurs frôlé le pire en juillet dernier : j’ai été battu par des gendarmes très bien entraînés. Ils ont failli me tuer. C’est un miracle que j’ai eu la vie sauve.
Vous faites référence à l’émeute qui a éclaté au sein de la prison, après que des prisonniers ont dénoncé leurs conditions de détention. Vous avez été condamné à deux ans d’emprisonnement pour votre implication dans celle-ci. La situation a-t-elle évolué depuis ?
La situation n’a absolument pas changé. La gestion de nos administrations reposent malheureusement sur des incompétents à qui l’on attribue des postes par affinité politique ou clanique. Dans ce cas précis, cette manifestation, initiée par les prisonniers de la crise anglophone, avait été déclarée aux autorités pénitentiaire. Elles l’ont juste ignorée, préférant se servir des bandits des quartiers les plus dangereux pour corriger les détenus anglophones.
Mal leur en a pris : une fois ces bandits dans la cour de la prison, ils se sont livrés à d’autres exactions, évitant les détenus anglophones qu’ils considèrent comme leurs frères. Le bilan est connu de tous : bibliothèque et atelier de couture saccagés, des prisonniers blessés.
Aujourd’hui, la gestion de la pandémie du Covid-19 montre que les autorités judiciaires de ce pays n’ont pas retenu la leçon. Elles nient la présence de la maladie au sein du pénitencier, mais administrent, sans aucun test préalable, de la chloroquine et de l’azitromycine à tous les prisonniers. Plusieurs décès attribués à cette maladie ont déjà été enregistrés et une centaine de nouveaux détenus arrive chaque semaine.
Le MRC a refusé de prendre part aux élections locales qui se sont tenues le 9 février, bloquant ainsi ses chances de faire bouger les lignes au Parlement ou dans les mairies. Avez-vous été consulté avant que cette décision ne soit prise ?
Le refus de mon parti d’aller aux élections est une décision du conseil politique, qui a eu l’aval du directoire national. Le MRC mène toujours des consultations avant de prendre des décisions importantes et nous n’avons rien à cacher. La politique du MRC se fait dans la lumière.
Pour le reste, nous n’allons pas indéfiniment conforter et légitimer des fraudes électorales honteuses, commises grâce à un système qui est aux mains des préfets et sous-préfets acquis au régime.
Au sein de votre formation, un débat fait rage sur l’opportunité de continuer avec cette stratégie du « Non au hold up électoral », qui visait à contester le résultat de la dernière présidentielle. Quelle est votre position sur le sujet ?
Elle est sans équivoque : je soutiens sans réserve le « non au hold-up électoral ». D’ailleurs, je ne pense pas qu’il y ait débat. Une de nos amies politiques, pour qui j’ai beaucoup de considération, a donné son point de vue (Michelle Ndoki, qui a plaidé pour une réorientation stratégique). Nous sommes en démocratie.
Ceux qui pensent que le MRC va éclater sur la base de divergences d’idées se trompent gravement et sous-estiment la maturité de notre mouvement. Notre porte-étendard, c’est Maurice Kamto. Si des gens veulent faire des propositions, le parti dispose des mécanismes et des canaux qui permettent à chacun d’exprimer ses éventuels désaccords. Les opinions que les uns et les autres expriment relèvent de ce que l’on pourrait qualifier de brainstorming, qui débouchera – ou pas – sur un débat sur la pertinence de maintenir la stratégie actuelle.
Mais certains critiquent cette stratégie du « Non au hold up électoral », la qualifiant d’excluante. C’est notamment le cas de d’Edith Kah Walla, la présidente du Cameroon People’s Party (CPP). Que lui répondez-vous ?
Quand on est sérieux, une divergence de vue sur un point précis n’empêche pas de constituer une union sacrée autour d’un combat pour libérer le peuple camerounais. Certains acteurs politiques s’accrochent malheureusement à des détails pour justifier leur défection, alors que l’essentiel est ailleurs. Ce sont les mêmes qui, en 2018, n’ont pas été en mesure de donner une consigne de vote en notre faveur, alors que leurs formations politiques ne participaient pas à la présidentielle.
Parlions-nous de hold up électoral à cette époque ? Non. Demain, nous rendrons des comptes au peuple. Le temps nous dira qui était dans quel camp.
Quel regard portez-vous sur le débat autour de l’état de santé de Paul Biya ?
Compte tenu de son âge, je pense que le débat sur la santé du chef de l’État est justifié. Comment un homme qui peine à gravir les marches d’un escalier peut-il diriger un pays qui doit lutter contre Boko Haram dans son septentrion, tout en faisant face à des velléités sécessionnistes dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Comment Paul Biya pourrait-il relever le défi de la lutte contre la pandémie du Covid-19 malgré un système de santé défaillant ? C’est pourtant indispensable, tout comme il nous faut moderniser notre administration, réduire le chômage des jeunes, lutter contre le choléra et le paludisme.
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