Manasse Aboya Endong, tout pouvoir légal est inspiré du peuple. Le droit est l’émanation de la volonté collective et la légitimité est au dessus de la légalité. Dès lors, le rôle d’un État est de protéger ceux qui lui confèrent son autorité et son pouvoir et non de les tuer. Le peuple est au-dessus de toute forme d’autorité. D’ailleurs, Emile Durkheim, considéré comme le fondateur de la sociologie, dans son ouvrage la division du travail écrit à cet effet que : « partout où un pouvoir directeur s’établit, sa première et principale fonction est de faire respecter les croyances, les traditions, les pratiques collectives ». C’est dire que l’Etat n’est que l’émanation de la conscience collective qui se construit au sein d’une communauté. Le peuple est donc au dessus de l’État.
Mr Aboya, au sujet de la crise anglophone, vous parlez de « la non-légitimité de la rue comme moyen d’accession au pouvoir », avant de poursuivre : « ceux qui pensaient utiliser cette voie pour accéder au pouvoir, savaient qu’ils devraient s’attendre à affronter l’armée, au besoin à se faire tuer inutilement, la rue n’étant pas un moyen légal d’accession au pouvoir ». Ces propos créent deux amalgames majeurs dans l’espace public. Tout d’abord, vous tentez de faire croire que derrière les revendications anglophones se cache une ambition profonde de renverser le pouvoir de Yaoundé. Ce qui est faux car, jusqu’à ce jour, les principales revendications des anglophones s’articulent autour de la fédération et pour les extrémistes la sécession (ce qui n’est pas possible et ne se produira certainement pas). Dès lors, tenter de faire une corrélation entre revendications anglophones et la chute de Biya est un amalgame dangereux.
Mais j’irai plus loin en vous disant qu’il s’agit simplement d’une stratégie visant à construire une panique morale (Moral panic en anglais) dont parle Stanley Cohen. La panique morale justement vise à créer un sentiment de peur au sein des francophones qui majoritairement ne souhaitent pas voir un anglophone président ou encore compte tenu de la structuration ethnique du pouvoir une volonté de renforcer chez des groupes ethniques l’idée selon laquelle « leur pouvoir » est menacé par des « envahisseurs ». C’est un discours qui constitue également une menace pour l’unité et la stabilité nationale tout comme les appels à la sécession.
Monsieur Aboya, si la rue n’est pas un moyen légal d’accession au pouvoir, la légitimité étant au dessus de la légalité, la rue est un moyen de changer une société, de changer des lois et de transformer un environnement. Politologue, vous avez pleinement connaissance du fait qu’en démocratie, les grèves et les manifestations constituent des contre-pouvoirs démocratiques autant qu’une élection. En Roumanie récemment, les manifestations de rue ont empêché la mise en application d’une loi qui devait protéger les corrompus et pilleurs de la République. L’armée n’est pas intervenue et des universitaires ne sont pas monté au créneau pour expliquer comment si les Roumains manifestaient ils seraient tués (sur la question je vous conseille de lire les analyse du jeune et brillant politologue Roumain Sergiu Miscoiu que vous connaissez certainement)
Affirmer que ceux qui organiseraient des manifestations ou des grèves devraient s’attendre à être tuer par l’armée, c’est souligner le caractère non démocratique du gouvernement camerounais. Dès lors Mr Aboya, positionnez-vous clairement ou précisez votre pensée afin de ne pas laisser libre cours aux diverses interprétations. Dites clairement qu’en dictature comme celle du Cameroun, l’armée va tuer ses concitoyens qui manifestent et personne ne vous tombera dessus. Le problème de votre discours c’est qu’il tend à maquiller une répression brutale et barbare à partir d’idées inspirée de la démocratie. Ce n’est pas sérieux.
Enfin, face à ce que je qualifie pudiquement « d’ambigüités » dans votre discours, pour un intellectuel, il ne suffit par de dire « j’assume ». Non, car tout intellectuel a une responsabilité sociale. Je vous conseillerai à cet effet de lire ou de relire Edward Said, dans son ouvrage « des intellectuels et du pouvoir ». Vous trouverez certainement les réponses à votre « moi ».
Boris Bertolt, Journaliste et chercheur
[spacer style="1"]
Cameroun – Opinion/Réponse à Serge BAYONGEN: «Il ne sert à rien de danser sans musique !»
Du Canada où vous exercez avec brio les fonctions de « Directeur de la conscience universelle » pour le Cameroun, vous avez manifestement cru indispensable de remettre virtuellement de l’ordre dans un chaos discursif entretenu par deux « politologues », Mathias Éric OWONA NGUINI et moi, habitués par défaut des débats dans les chaînes de télévision. Non sans les présenter comme des « partisans du statu quo », notamment par opposition à un autre « Cameroun du changement » tant souhaité, que vous vous préparez à émanciper à partir de votre science infuse canadienne, jusque-là inconnue des peuples indigènes d’ici.
Aussi, ayant nommément été inclus par vos soins dans ce « duo maléfique de circonstance », voudrais-je vous apporter gratuitement quelques précisions importantes, en rapport avec le débat de fond. Au minimum, celles-ci auraient pu meubler une recherche exploratoire préalable, généralement indispensable pour esquisser une analyse sérieuse.
- Je suis Professeur Titulaire de Science Politique à l’Université de Douala, et non à l’Université de Dschang. Cet identifiant mal ajusté atteste à profusion que vous ne savez même pas de qui vous parlez.
- Je ne suis pas un invité surprise dans l’analyse de la question anglophone au Cameroun. Pour votre gouverne, comme de nombreux indigènes du Cameroun, je suis un analyste in situ de cette problématique pour laquelle j’ai consacré quatre publications disponibles, même virtuellement, à savoir :
- L’Etat unitaire du Cameroun à l’épreuve des revendications sécessionnistes : tenants et aboutissants de la question anglophone », dans Idara, revue de l’Ecole nationale d’Administration, Alger, volume 8, Numéro 2, 1998 ;
- « Menaces sécessionnistes sur l’Etat camerounais », dans Le Monde Diplomatique, N° 385, décembre 2002 ;
- « La question anglophone au Cameroun : entre menaces sécessionnistes et revendications identitaires », dans Revue Juridique et Politique des Etats Francophones, N° 1, Janvier-Mars 2005 ;
- « Le Parlementarisme sous tutelle de L’Etat fédéral (1961-1972) : Une construction politique par le droit de L’Etat Unitaire du Cameroun », dans Revue française de droit constitutionnel, PUF, 2014/1 – n° 97, pp. e1 à e29 ;
Un chercheur sérieux prend connaissance de la littérature existante, avant d’amorcer une éventuelle critique idéelle. Une telle démarche lui évite, sinon de verser dans les préjugés inutiles, du moins de bâtir un argumentaire sur les a priori périphériques. A vous lire effectivement, vous parlez essentiellement des « sujets » querellés par la brigade des réseaux sociaux et non de « l’objet » en débat que vous effleurez manifestement de manière passagère.
- Le « Politologue de la télé» sur lequel vous affabulez, par contagion ou par contamination, n’est coupable d’aucun délit d’opinion, notamment exprimé dans une quelconque télévision camerounaise. Si oui, vous n’illustrez pas dans vos développements inutilement fleuves les accusations querellées, qui justifieraient mes « éventuels errements » sur la crise anglophone. Par contre, je me suis exprimé sur « la non-légitimité de la rue comme moyen d’accession au pouvoir » le 3 février dernier lors d’une conférence organisée à la Fondation Friedrich Ebert Stiftung (FES). A un militant du CPP qui suggérait « la rue comme étant la seule voie qui restait au Cameroun pour arriver au pouvoir », j’ai fermement indiqué à tous « ceux qui pensaient utiliser cette voie pour accéder au pouvoir qu’ils devraient s’attendre à affronter l’armée, au besoin à se faire tuer inutilement, la rue n’étant pas un moyen légal d’accession au pouvoir ». Cela étant, je suis responsable de ce que je dis et j’assume entièrement cette position. Je ne saurais être responsable de la compréhension approximative émanant des individus inaptes au débat intellectuel, a fortiori scientifique. De même, je ne saurais être responsable de la transposition qui a été faite de ces propos par les « brigadiers des réseaux sociaux » sur la question anglophone, objet de toutes « les sauces », à l’instar de la vôtre.
A partir de ces précisions, je ne saurais vous répondre sur quoi que ce soit sur vos propres « errements analytiques ». En effet, « si les prémisses sont fausses, il en est de même des conclusions ».
Pour le reste, je suis convaincu qu’il ne sert à rien de danser même quand il n’y a pas de musique. Au risque de donner raison à tous ceux qui pensent que l’émotion est nègre, et la raison…hellène !
Par Manassé ABOYA ENDONG | Correspondance