François Hollande se rend au Cameroun vendredi 3 juillet. La dernière visite d’un chef d’État français remonte à 1999 quand Jacques Chirac avait fait le déplacement à Yaoundé. Le Cameroun entretient une place à part dans l’histoire de la décolonisation de l’empire français. Le mouvement de l’UPC, l’Union des populations du Cameroun, a été réprimé par la France coloniale puis par le régime du président Ahidjo, soutenu par l’armée française. La guerre du Cameroun entre 1955 et 1971 a fait des dizaines de milliers de morts. La France n’a toujours pas reconnu ses responsabilités.
Pour en parler, Anthony Lattier reçoit Manuel Domergue, l’un des auteurs d’un ouvrage référence sur le sujet, « Kamerun ! » aux éditions La Découverte (avec Thomas Deltombe et Jacob Tatsitsa).
RFI : Pourquoi le Cameroun est-il une exception dans l’histoire de la décolonisation de l’empire français en Afrique ?
Manuel Domergue : Parce que cette décolonisation en Afrique subsaharienne a été violente. Elle a donné lieu à une guerre et par conséquent, c’est un peu l’opposé du mythe qu’on avance, en général, d’une décolonisation pacifique octroyée par la générosité du général de Gaulle.
C’est donc la France coloniale, dans un premier temps, qui va mener cette guerre pour anéantir la rébellion ?
Tout à fait. En fait, la guerre commence à partir de l’interdiction de l’UPC, en 1955, et elle va se poursuivre après l’indépendance du Cameroun, jusqu’en 1971. C’est une guerre qui est menée par des militaires français. A partir de 1960, il y a une armée camerounaise puisque le Cameroun devient un pays officiellement indépendant mais, en sous-main, c’est l’armée française qui dirige les opérations, qui lève des milices camerounaises et qui organise l’armée camerounaise pour mieux réprimer, en silence et en secret, cette rébellion nationaliste qui demandait, au départ, l’indépendance. Une fois que l’indépendance a été octroyée – une indépendance un peu factice – ils ont demandé l’indépendance réelle et ont alors demandé à ce que ce soit vraiment des Camerounais désignés par le peuple qui dirigent leur pays. Or, cela n’a pas été le cas d’Amadou Ahidjo, désigné par la France.
Les méthodes utilisées par l’armée sont celles de la guerre révolutionnaire. Etait-ce une doctrine spécifique ?
Oui, la doctrine de la guerre révolutionnaire, c’est une doctrine qui a été élaborée par des militaires français qui ont essayé de tirer les leçons de la défaite de la France, en Indochine, après Dien Bien Phu. L’idée, c’était qu’on ne peut pas mener, face à des populations civiles et à des partis politiques, dans un contexte de décolonisation, une guerre front contre front, armée contre armée. Par conséquent, c’est une guerre asymétrique dans le peuple et par le peuple. C’est aussi une guerre psychologique. L’important était de conquérir les cœurs et les esprits pour faire adhérer les populations au projet de la France qui était celui de garder le contrôle sur le Cameroun.
C’était aussi une guerre, comme en Algérie, qui s’est menée contre des civils qu’on a regroupés dans des camps de regroupement de manière extrêmement autoritaire avec des conséquences sanitaires et humanitaires désastreuses. C’est aussi une guerre qui s’est menée pour le renseignement. Et donc la France, pour obtenir des renseignements, a torturé systématiquement des civils et des opposants politiques pour obtenir des renseignements et pour mieux annihiler l’opposition politique qu’ils avaient en face d’eux.
Pourquoi cet acharnement de la France à vouloir éradiquer l’UPC alors même que le Cameroun était devenu indépendant ?
Parce que la France a accepté, in fine, des pays indépendants en Afrique – avec, comme vous le savez, la vague des décolonisations en 1960 – mais a voulu garder la main et le contrôle politique sur ces États officiellement indépendants. Le Cameroun était un pays stratégique, comme d’autres, et la peur était que si le Cameroun basculait dans le camp des opposants à la France – en tout cas des gens qui n’étaient pas obéissants à la France -, cela pourrait servir de modèle ailleurs comme au Togo, en Guinée ou encore en Côte d’Ivoire où il y avait aussi une contestation de l’ordre français néocolonial que certains ont appelé, ensuite, la Françafrique.
Plus de trente ans après la fin de la guerre, la France reconnaît-elle sa responsabilité dans ce qui s’est passé ?
C’est cela qui est assez étonnant. La France nie toujours, envers et contre tout, sa responsabilité. Elle nie même le fait qu’il y a eu une guerre. François Fillon, alors Premier ministre en 2009, a été interrogé en conférence de presse sur ces événements et sa réponse était absolument incroyable. Il a dit : « Madame, ceci est une pure invention ! »
Imaginer que la France puisse nier jusqu’à l’existence de cette guerre en disant que « c’est une pure invention » me semble complètement incroyable, aujourd’hui ! Nous interpellons donc, en tant que journalistes et historiens, le président François Hollande – qui se rend au Cameroun – pour lui dire : « Vous n’avez pas d’autre choix que de reconnaître l’évidence même qui a été attestée par des générations d’historiens français, camerounais, américains, etc… par Achille Mbembé, Richard Josep… »
Notre livre a eu accès à quantité d’archives, notamment françaises, qui démontrent qu’il y a eu une guerre menée par la France au Cameroun. Ce n’est pas forcément nous qui le disons. Ce sont également les militaires français eux-mêmes, dans les archives secrètes, qui parlent d’une guerre et qui donnent des bilans ! La France devrait, au moins, le reconnaître et pourrait également aider financièrement des étudiants, des historiens camerounais, français ou d’ailleurs, à renseigner davantage cette guerre. La France devrait ouvrir ses archives à tout le monde. Il n’y a aucune raison de continuer à faire silence sur cet épisode.
Il y a-t-il des blocages aussi au Cameroun ? C’est un sujet tabou ?
Oui, c’est un sujet tabou parce que les gens qui sont au pouvoir ou dans l’armée camerounaise, à la tête de l’État camerounais, sont directement issus de cette répression. Cinquante ans après, ils en sont encore les premiers bénéficiaires. Ce n’est donc pas d’eux que peut venir la vérité.
Il n’empêche que, quand même, nous avons interrogé le général Semengue qui était, à l’époque, le premier chef d’état-major camerounais et qui nous a avoué, face à la caméra – c’est disponible sur notre site – que oui, l’armée camerounaise coupait les têtes de ses opposants et exposait les têtes « pour faire de la pédagogie », comme il disait, auprès des villageois camerounais qui étaient tentés par l’opposition. Ce n’est pas contestable. C’est même admis par les gens qui ont mis en œuvre cette répression.
Y-a-t-il une mémoire, justement, de la révolution de l’UPC au Cameroun ?
Cette mémoire est assez souterraine puisque pendant longtemps, il était interdit de parler de ce sujet-là. Aujourd’hui, il y a quand même des groupes qui se revendiquent de cette filiation de l’Union des populations du Cameroun et qui veulent faire la lumière sur cette répression. Néanmoins, ces groupes sont, politiquement, totalement marginaux et ont très peu de pouvoir et très peu d’accès aux médias. C’est, par conséquent, aussi pour eux que nous prenons la parole en disant qu’il faut faire la lumière sur cet épisode parce que cela ne viendra pas du pouvoir camerounais.
Par Anthony Lattier Invité Afrique, Radio France Internationale (RFI)