Mfon V.E. Mukete tient un discours de vérité à Yaoundé: pratiques institutionnelles et mentalités au Cameroun
Par Olivier J. Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
Le vendredi 5 avril 2019, le doyen des membres du Sénat, le sénateur Nfon Victor Esemingsongo Mukete, a prononcé un discours passionné devant la chambre haute du Parlement camerounais sur la situation difficile de la communauté anglophone et cela devrait nous interpeller en suscitant une vraie réflexion sur fond d’avertissement et d’inspiration en termes de mentalités, de logiques de légitimation, et d’espaces où se produit cette légitimation.
Lors d’une séance plénière censée se concentrer sur le projet de loi sur les élections régionales et soumis au débat, le sénateur Mukete a vivement critiqué le régime de Yaoundé pour «son refus de transférer efficacement des pouvoirs aux collectivités locales», et a explicitement averti le régime en place de tomber dans l’abîme d’un conflit armé sans fin, si les législateurs et l’exécutif ne se dépêchaient pas sur le projet de loi sur la décentralisation en le promulguant de manière effective. Aussi, attirer l’attention sur la manière dont les institutions établissent le cadre normatif dans lequel les actions des citoyens ordinaires se déroulent est salutaire, parce que jusqu’à présent les actions du peuple camerounais n’ont implicitement eu aucune importance.
Le sénateur Mukete a poursuivi en affirmant que:
«Le système a échoué, la fédération est le seul moyen. Dix états fédérés pour que chaque région puisse gérer ses affaires. Pourquoi les gens ont-ils peur de la fédération? Je ne parle pas comme ça parce que le pays devrait être divisé. Non! Je me suis battu très fort pour la réunification de l’ancien Cameroun méridional avec l’ancienne-République du Cameroun. Et je ne pourrai jamais le détruire. Mais le pays devrait être fédéré. Regardez l’Amérique, l’Afrique du Sud, la Suisse, le Nigéria, le Canada, la Belgique, l’Allemagne, le Mexique, la Russie et le Rwanda », a notamment souligné le sénateur Nfon Mukete.
Avant de poursuivre en frappant sa canne au sol «Qu’est-ce que toutes ces absurdités? Mon peuple meurt; il souffre et nous jouons à des jeux ici à Yaoundé. Nous devons être prudents. Je m’en fous. Allez le dire à n’importe qui. Allez dire à Paul [Biya] »
Premièrement, ce que le sénateur Mukete entend par «jeux» est la façon dont les élus camerounais se livrent à des fantasmes comme substituts de la réalité. C’est pourquoi les enfants qui jouent à des « jeux » doivent grandir. Nous avons des « élus » qui marchent et parlent comme des adultes, mais sont en vérité sujets à un développement intellectuel limité.
Deuxièmement, le sénateur Mukete fait échos ici avec son «Allez dire à Paul Biya» aux pratiques institutionnelles et à la production de mentalités au Cameroun.
En effet, dans les pratiques institutionnelles des francophones, la règle du jeu est « L’État c’est Moi ». Le président dispose de son propre pouvoir souverain qui le met au-dessus de la loi et ne permet aucune séparation des pouvoirs. Dans ce système, le pouvoir judiciaire et le parlement ont l’habitude de donner au président un chèque en blanc en absence de toute séparation de pouvoirs réelle et effective. En fait, les personnes qui s’opposent à lui sont de facto des « ennemis de l’État» comme tous les prisonniers politiques reconnus par notre organisation, le CL2P.
En disant « Allez dire à Paul Biya », Sen. Mukete se sert de son statut de doyen et de dernier survivant de la politique camerounaise, allié à sa connaissance du système parlementaire britannique où l’opposition est institutionnalisée et reconnue dans le cadre d’une logique de contribution. Dans le système de la francophonie camerounaise, cette logique de contribution n’existe pas, mettant en avant la création de deux univers de croyance distincts, avec des logiques de légitimation différentes, et des espaces différents où se produit cette légitimation.
En cela, le sénateur Mukete n’est pas vraiment un nouveau venu. Cette personnalité est un centenaire, un homme politique aguerri, un homme d’affaires prospère, et non la « créature » d’un président narcissique et frileux qui, plutôt que d’aider à traiter le pays de ses nombreuses crises humanitaires, les exploite avec ses créatures à des fins politiques afin de faire proritairement prévaloir leurs propres carrières politiques médiocres.
Lentement, mais sûrement, les masques tombent donc et le véritable sous-bassement profondément ethno-fasciste et corrompu du régime de Biya fait surface. D’où le paradoxe devenu intenable de prétendre maintenir la paix et de se maintenir à vie au pouvoir, alors même que l’exercice de ce pouvoir mine indéniablement la paix.
C’est le signe d’une société en grave déclin.
Cependant, en appelant à une république fédérale comprenant 10 États fédérés, Nfon Mukete met en avant la nécessité de forger un nouveau contrat social et un nouveau consensus social sur le dos d’un régime néocolonial de plantations biopolitiques se faisant passer depuis 1960 pour un État-nation moderne. Il trace ainsi une voie vers une véritable décolonisation, où l’indépendance n’est plus simplement synonyme de changement de mode de domination, avec un président de la république uniquement le remplaçant cosmétique du maître colonial français. C’est un moyen d’exploser les idéologies néocoloniales qui continuent d’éclairer notre débat politique réactionnaire et qui continuent surtout de façonner la structure de base de la plupart des satrapies françaises, en particulier dans notre sous-région d’Afrique centrale francophone, politiquement la plus arriérée du monde.
Olivier J. Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
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Englisih version
Mfon V.E. Mukete goes to Yaoundé: Institutional Practices and Mentalities in Cameroon
By Olivier J. Tchouaffe, PhD, CL2P Spokesman
On Friday, April 5, 2019, the eldest Member of the Senate, Senator Nfon Victor Esemingsongo Mukete, delivered an impassionate speech in Cameroon’s Upper House of Parliament on behalf of the plights of the Anglophone community and this should provide us with a moment of reflection with warning and inspiration in terms of mentalities, logics of legitimation and spaces where that legitimation occurs.
Hence, during a plenary that was supposed to focus on the draft law on Regional elections and tabled for debate, Sen. Mukete strongly criticized the Yaoundé’s regime “unwillingness to effectively transfer powers to local collectivities”, and warned that Cameroon will continue to sink into the abyss of an armed conflict, if the law makers and the executive hurried over the draft law and promulgate it into law without effective scrutiny. Thus, calling attention on how institutions establish the framework within which ordinary citizens’ actions matter, and, so far, the Cameroonian people actions implicitly don’t matter.
So, Senator Mukete went on to claim that:
« The system has failed, the federation is the only way. Ten federated states for each region to manage its affairs. Why are people afraid of the federation? I do not speak like that because the country should be divided. No! I fought very hard for the reunification of the former Southern Cameroon and the former Republic of Cameroon. And I will never be able to destroy it. But the country should be federated. Look at America, South Africa, Switzerland, Nigeria, Canada, Belgium, Germany, Mexico, Russia and Rwanda, » said Senator Nfon Mukete.
Before continuing, hitting his cane on the ground « What are all these nonsense? My people are dying; they suffer and we play games here in Yaoundé. We must be careful. I do not care. Go tell anyone. Go tell Paul [Biya]”
First, what Sen. Mukete means by “games” is how Cameroonian elected officials indulge in fantasies as a substitute for reality. This is why children who play “games” have to grow up. We have « elected » people who walk and talk like adults, but are subject to severe, arrested development intellectually.
Second, Sen. Mukete emphasizes here with his “Go tell Paul Biya” is over institutional practices and the production of mentalities in Cameroon. In the Francophone’s institutional practices, the rule of the game is “L’ État c’est Moi.” The president has his own sovereign power that puts him above the law and no separation of power possible. In this system, the judiciary and the parliament are used to give the president a blank check and no checks and balances. As a matter of fact, people who oppose him are de facto “enemies of the state” as all the political prisoners recognized by our organizations the CL2P.
By saying “Go tell Paul Biya,” sen. Mukete uses his standing as eldest statesman and ultimate survivor of Cameroonian politics coupled with his knowledge of the British parliamentary system where the opposition is institutionalized and recognized within a logic of contribution. In the Cameroonian Francophonie’s system, this logic of contribution does not exist foregrounding the creation of two distinct universes of belief, with different logics of legitimation and different spaces where that legitimation occurs.
In this, Sen. Mukete is not exactly a newcomer. He is a centenarian and an accomplished operator in politics and in business and not the “creature” of a narcissistic and prickly president who rather than addressing the country many humanitarian crises, the president and his trusted satrap seek only to exacerbate it for political gain and furthering their own political careers.
Slowly, but surely the masks fall off, and the true, deeply ethnofascist and corrupt underbelly of the Biya’s regime comes to the surface, one Biya-licking opportunist at the time. Hence, the paradox of keeping the peace and maintaining power, when the very exercise of that power undermines the peace.
It’s the sign of a society in serious decline.
However, by calling to a federal republic with 10 federal states, Nfon Mukete is putting forth the necessity to forge a new social contract and a new social consensus on the back of a neo-colonial biopolitical plantation regime masquerading as a modern nation state. Thus, a path to a true decolonization where the independence no longer means changes in modes of domination where the president of the republic is simply a cosmetic replacement of the French colonial master. It is a way to explode neocolonial ideologies that continue to illuminate our reactionary policy debate and these ideologies continue to shape the basic structure of most French satrapies, particularly, in our sub region which is the most backward in the world.
By Olivier J. Tchouaffe, PhD, CL2P Spokesman