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CAN 2022: d’anciennes gloires du ballon rond se retrouvent à Yaoundé pour la paix et contre le racisme
Dans quelques heures, commencera la CAN au Cameroun. À cette occasion, d’anciennes gloires du football se sont retrouvées à Yaoundé ce vendredi 7 janvier afin de réunir le maximum de personnes qui permettront de faire passer des messages de paix et de respect tout au long de la compétition.
Rigobert Song Bahanag l’ancien capitaine des « Lions indomptables » du Cameroun, celui qu’on appelle localement « Capitaine courage » était au musée National de Yaoundé en compagnie de plusieurs autres joueurs de renom, et de représentants des fédérations sportives. Sur des airs de musiques locales tous ont voulu parler de la paix, du racisme et de la discrimination dans et en dehors des stades.
En passant par le sport, les gens vous écoutent mieux, le sport d’abord c’est une éducation…
De grandes stars des «Lions indomptables» lancent un message de paix pour la CAN
Fabien Essiane
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La sécurité, l’autre enjeu de la CAN au Cameroun
La CAN se joue dans un pays secoué par une guerre civile, notamment dans le Sud-Ouest où évolueront les équipes nationales du groupe F.
Limbé, dans la région du Sud-Ouest, est la ville anglophone du Cameroun qui accueille la poule F de la phase finale de la Coupe d’Afrique des nations. Limbé, ville balnéaire et pétrolifère, est aussi une ville placée sous très haute sécurité en raison des risques d’attaques sécessionnistes durant la compétition.
Anny, une habitante de la ville explique qu’il y a plus de militaires dans les rues que de supporters étrangers.
“La sécurité est renforcée. Mais dire qu’il y a beaucoup d’étrangers qui arrivent, non. Il y a plus de militaires, ils exigent vos pièces d’identité. C’est pourquoi je vous dis que la sécurité est renforcée”, raconte Anny.
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Plus de trois mille morts
“Il y a plus de militaires, ils exigent vos pièces d’identité” (Une habitante de Limbé)
Depuis 2017, les régions anglophones du Cameroun du Nord-Ouest et du Sud-Ouest sont déchirées par une guerre civile entre les séparatistes anglophones et l’armée camerounaise.
Ce conflit a déjà fait plus de 3.000 morts dont de nombreux enfants. La menace terroriste liée à cette situation a donc incité les autorités à prendre des mesures sévères afin de sécuriser le déroulement de la compétition.
Des simulations d’attaques ont été faites par les forces de l’ordre et l’armée camerounaises en coopération avec la Confédération africaine de football, sur différents sites de la compétition ces derniers mois.
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Le gouverneur du Sud-Ouest, Okalia Bilaï, compte pour sa part sur la collaboration de la population :
“Par le passé, il y a eu des attaques. Certaines de ces attaques continuent. Mais les populations ont compris. Et aujourd’hui, les populations travaillent en collaboration avec les autorités judiciaires et les forces de l’ordre pour neutraliser, pour dénoncer ceux qui ont l’intention de mener ces sales activités qui peuvent perturber la compétition.”
Séances d’exorcisme antiterroriste
Même les autorités traditionnelles anglophones se sont associées jeudi aux pouvoirs publics pour organiser des séances d’exorcisme antiterroriste sur le pont du Moungo qui relie le Cameroun anglophone au Cameroun francophone.
En dépit de ce climat tendu, Christian Tsimi, un habitant de Limbé, se réjouit de la CAN dont les premières rencontres en zone anglophone se joueront le 12 janvier.
“La Coupe d’Afrique des nations est importante, dans la mesure où le continent africain sera mis en valeur. Cela prouve également que nous les Africains, on peut faire quelque chose de nous-même. », explique Christian Tsimi. Et les retombées qui en découlent surtout dans le domaine économique et touristique, je crois que c’est une bonne chose. Et puis ça rassemble les Africains, qu’on puisse se sentir un peu en famille.”
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La menace terroriste reste donc un souci essentiel des organisateurs de la compétition afin d’éviter un drame qui rappellerait la CAN 2010 en Angola.
Deux jours avant le début de la compétition, le bus de l’équipe togolaise avait été attaqué par des séparatistes de la région angolaise du Cabinda. Deux membres de la délégation avaient été tués et les Eperviers avaient alors renoncé au tournoi.
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La Coupe d’Afrique, une opportunité de cessez-le-feu pour le Cameroun
TRIBUNE. La 33e édition de la compétition phare du continent s’ouvre ce 9 janvier dans un pays englué dans plusieurs conflits violents et un climat politique tendu.
Par Enrica Picco* et Arrey Elvis Ntui**
Lorsque débutera dimanche au Cameroun la Coupe d’Afrique des nations, le coup de projecteur ne sera pas que sportif. Huit matchs seront joués à Limbe et Buea, dans les régions anglophones du pays, déchirées depuis 2016 par un conflit entre gouvernement et séparatistes. Les milices anglophones ont annoncé leur intention de perturber la compétition, afin de faire valoir leurs revendications. Le gouvernement a réagi en imposant de sévères restrictions aux déplacements et aux rassemblements dans les régions anglophones.
Mais ces stratégies sont sans issue : de possibles attaques séparatistes pendant le mois que durera le tournoi risquent d’entamer le capital de sympathie dont jouissent les Camerounais anglophones en Afrique et ailleurs, tandis que les mesures draconiennes du gouvernement pourraient provoquer une réaction populaire et une escalade du conflit.
Gouvernement et séparatistes devraient, au lieu de cela, donner sa chance à la diplomatie et cesser les hostilités pendant la durée de la Coupe. Avec un soutien diplomatique extérieur, une telle trêve pourrait constituer la première étape du rétablissement de la confiance et de l’ouverture de négociations.
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Contexte
Même sans la menace des milices anglophones, garantir la sécurité de ce tournoi international très médiatisé est un défi majeur. Neuf des dix régions du Cameroun sont plongées dans une profonde crise humanitaire sur fond de violents conflits, notamment des insurrections djihadistes et des conflits intercommunautaires entre éleveurs et pêcheurs dans le nord du pays. La situation politique du pays est également tendue. Le 27 décembre, un tribunal militaire a condamné au moins cinq hauts responsables d’opposition à des peines de sept ans de prison pour avoir organisé des manifestations contre le président, Paul Biya, en septembre 2020.
Dans les régions anglophones, qui posent le principal défi sécuritaire, les troubles ont commencé en octobre 2016, lorsque des avocats et des enseignants ont organisé des manifestations appelant à la mise en place d’une fédération à deux États pour préserver les systèmes juridiques et éducatifs anglophones. Celles-ci ont dégénéré en un conflit qui a tué plus de 6 000 personnes et en a déplacé environ un million d’autres, provoquant l’une des crises humanitaires les moins médiatisées au monde.
Crisis Group et d’autres ont plaidé à plusieurs reprises pour des pourparlers qui pourraient déboucher sur une solution politique. Mais jusqu’à présent, le gouvernement s’est montré peu enclin à négocier de bonne foi. Il a ignoré une initiative de dialogue conduite par la Suisse en 2019, qui avait rassemblé une douzaine de groupes séparatistes appelant à des pourparlers, et a choisi d’organiser son propre dialogue national en octobre de la même année. Cet effort n’ayant pas inclus les séparatistes, il était voué à l’échec. En guise de geste de conciliation, le gouvernement a ensuite établi unilatéralement un statut spécial pour les régions, créant notamment deux assemblées régionales aux pouvoirs limités. Mais cette mesure n’était pas à la hauteur des exigences des anglophones et n’a pas permis de calmer le conflit.
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Un statu quo déleitère
Le conflit anglophone s’est intensifié en 2021. Les séparatistes sont convaincus qu’ils gagnent du terrain malgré leurs divisions internes alors que le gouvernement se prépare à une longue guerre, et se dote de nouveaux équipements militaires. Mais aucune des deux parties ne prenant clairement l’ascendant et toutes deux étant réticentes à engager des pourparlers, le conflit est dans l’impasse.
Des attaques sur des lieux où se déroulent des matchs ne correspondraient pas au modus operandi des séparatistes, mais la violence pourrait prendre d’autres formes pendant la durée du tournoi. Depuis 2018, les séparatistes ont souvent cherché à perturber les événements sportifs dans les régions anglophones. En janvier 2021, pendant un autre tournoi de football, le Championnat d’Afrique des nations, des miliciens ont fait exploser une bombe à Limbe, blessant trois policiers. Le 21 décembre, alors que le président Biya rencontrait à Yaoundé, la capitale, Patrick Motsepe, président de la Confédération africaine de football, des combattants séparatistes ont attaqué un poste de contrôle de police à Kumba, dans le Sud-Ouest.
Toujours en décembre, des affrontements entre des milices séparatistes et les forces gouvernementales ont touché Bamenda, troisième ville du Cameroun. Significativement, quand il a fait le tour de cette ville le 16 décembre, l’homme déguisé en Mola, le lion mascotte de la Coupe d’Afrique, portait un gilet pare-balles et était escorté par des militaires.
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Pressions sur le régime
Malgré les difficultés, le tournoi est un moment propice à la recherche d’une trêve, qui permettrait aux parties de s’engager à cesser les hostilités au moins pendant la durée de la Coupe et peut-être même de jeter les bases d’un nouvel effort de rétablissement de la paix. Les délais sont courts, mais les acteurs internationaux qui ont discrètement fait pression sur le président Biya pour qu’il engage de nouveaux pourparlers devraient presser le gouvernement de réactiver les canaux directs qu’il a développés en 2020 avec des dirigeants séparatistes influents en prison. Ils pourraient peut-être insister sur l’intérêt majeur pour Yaoundé d’éviter tout accroc pendant le déroulement des matchs. Parallèlement, les diplomates suisses pourraient chercher à obtenir le soutien des dirigeants séparatistes vivant à l’étranger en faveur d’une trêve et à remobiliser les Nations unies, les États-Unis, le Royaume-Uni et le Canada pour qu’ils soutiennent leur initiative de dialogue.
Les avantages d’une cessation des hostilités, même brève, seraient considérables. Outre la protection qu’elle accorderait aux joueurs, aux supporters et à la population, elle donnerait aux organisations humanitaires la possibilité d’acheminer davantage d’aide dans les régions anglophones, actuellement difficiles d’accès car trop dangereuses. Mais elle pourrait aussi contribuer à jeter les bases d’indispensables négociations de paix et inviter le gouvernement à prendre des mesures à court terme, comme la libération des prisonniers anglophones détenus pour des crimes non violents, qui pourraient aider à amener les séparatistes à négocier.
Il est difficile de savoir si ces progrès sont réalisables à l’heure actuelle. Mais le tournoi à venir offre une occasion rare de mettre en œuvre une diplomatie créative dans le cadre de cette guerre souvent délaissée.
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* Enrica Picco est la directrice du Projet Afrique centrale d’International Crisis Group, et Arrey Elvis Ntui est consultant d’International Crisis Group pour le Cameroun.