L’expérience les a tous ébranlés. Certains se disent « traumatisés », et avec eux des parents tous un peu dépassés, moins par les frasques de leurs enfants que par leurs suites. L’un d’eux, un lycéen de la cité scolaire Paul-Valéry (XIIe), a quitté vendredi le tribunal de Paris, où il venait d’être présenté à un juge des enfants, en lâchant qu’on ne « le verrait plus jamais sur un blocus »…
25 mineurs placés en garde à vue
L’interpellation et le placement en garde à vue de 25 adolescents mineurs, après les blocus de plusieurs établissements, entre le 28 janvier et le 7 février à Paris, en Seine-Saint-Denis et dans le Val-de-Marne, n’ont pas fini de faire débat : tous ces élèves, engagés dans la contestation de la réforme du Bac et les « E3C », les Epreuves communes de contrôle continu, avaient été initialement convoqués dans plusieurs commissariats, identifiés parmi les bloqueurs.
Des convocations pour audition, qui se sont pourtant soldées par des mesures exceptionnelles dans le cas de mineurs : tous ont été placés en garde à vue. Celles-ci auront duré au mieux une dizaine d’heures, au pire… 48 heures ! « Du jamais-vu, totalement disproportionné et incompréhensible, au regard des faits reprochés sans aucune preuve ! », s’indigne l’une des avocates des lycéens.
« Ils nous mettaient une grosse pression »
Ce dimanche, réunis par trois avocates, quelques lycéens, leurs parents et des professeurs de ces établissements de Paris, de Thiais (Val-de-Marne), de Pantin, Gagny ou encore Montreuil (Seine-Saint-Denis), sont revenus sur ces 10 derniers jours, et des interpellations trop massives et psychologiquement violentes, à leurs yeux. Les avocates ont décidé de saisir le Contrôleur général des lieux de privation de liberté sur les conditions de gardes à vue et d’auditions, ainsi que « d’écrire aux procureurs des différents départements, car il y a disproportion et beaucoup d’irrégularités dans les gardes à vue », affirment-elles.
« Les policiers nous parlaient comme si on avait fait quelque chose d’hyper grave, disant qu’on ratait notre vie, qu’on serait fichés etc.. Ils nous mettaient une grosse pression, forcément on s’inquiète des conséquences » raconte par exemple un élève de Gustave-Eiffel, à Gagny (Seine-Saint-Denis).
A 16 ans, il dit avoir « eu de la chance parce que je n’y ai pas passé la nuit, je suis sorti au bout de 10 heures, mais c’était difficile, insalubre…Au niveau des conditions, ce n’était vraiment pas top. Et puis je n’ai pas été filmé en audition, alors que c’est obligatoire, et on m’a fait signer sans relire ! ». Selon les avocates, 13 jeunes ont par ailleurs été auditionnés sans avocat.
« Une volonté de casser tout départ de mouvement lycéen »
Un autre adolescent, élève au lycée parisien Paul-Valéry (XIIe), raconte aussi que « les policiers me mettaient la pression pour que je leur balance des noms de profs qui incitaient au blocus ». « C’était de l’intimidation, du bluff, c’était une mauvaise comédie », tacle son père en écho. « Pour nous c’est clair, il y a une volonté de casser tout départ de mouvement lycéen », assène un enseignant, mobilisé aux côtés des élèves « pour les protéger ».
Alors survient « la » question, à laquelle les avocates des jeunes doutent d’obtenir une réponse : y a-t-il « des directives », venues de très haut, exigeant la répression systématique, large et spectaculaire, de la contestation lycéenne ? « Nous n’avons pas connaissance de telles directives sur Paris », admet l’une d’elles, Me Camille Vannier, « mais ces gardes à vue massives sont un palier répressif supplémentaire de franchi. Alors c’est une crainte, une impression… ».
Par Elodie Soulié
Le Parisien, 9 février 2020