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Kah Walla : « Il ne faut plus prêter au Cameroun »
Soudain, le son très énergique de la voix d’Edith Kah Walla nous parvient à l’autre bout du téléphone. La présidente du Cameroon People’s Party, candidate aux élections présidentielles de 2011 face à l’inamovible Paul Biya, n’a rien perdu de sa hargne. Depuis plusieurs semaines, elle se bat, aux côtés d’autres femmes et citoyens, pour savoir où sont passés les fonds alloués par le Fonds monétaire international aux autorités de son pays dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19. Depuis le début de la crise sanitaire, le FMI a approuvé des prêts d’urgence à plusieurs États, dont ce pays d’Afrique centrale, l’un des plus touchés sur le plan sanitaire. Rien d’étonnant pour Kah Walla, la cinquantaine et très critique envers le régime en place depuis 38 ans. Cette cheffe d’entreprise est également une observatrice avisée du monde des affaires au Cameroun. Elle pointe la corruption, l’absence d’alternance et le manque de perspectives, mais refuse d’en rester aux vives protestations. Aussi a-t-elle lancé une pétition en ligne, des actions de pression et peut compter sur un nombre impressionnant de soutiens parmi les Camerounais. Le fait que des femmes soient à la pointe de ce débat est loin d’être anodin ; au Cameroun, elles ont toujours été au-devant des luttes sociétales et politiques. Si l’opposante n’a rien perdu de ses ambitions présidentielles, l’heure est trop grave d’après elle pour aborder son propre destin. Elle s’est confiée au Point Afrique.
Le Point Afrique : Vous portez avec d’autres femmes une initiative citoyenne qui vise à alerter le Fonds monétaire international (FMI) et d’autres créanciers internationaux sur un possible détournement des fonds alloués au gouvernement camerounais dans le cadre de la lutte contre le coronavirus. De quoi s’agit-il ?
Édith Kah Walla : Le Cameroun a reçu 180 milliards de francs CFA du Fonds monétaire international au titre de la facilité de crédit rapide pour répondre au choc dû à la pandémie de Covid-19. En contrepartie, le pays s’est engagé à bien gérer ces fonds et à garantir la transparence autour de l’utilisation de ces fonds. Le contrat prévoit que le gouvernement effectue un reporting tous les six mois, qu’il publie le nom des entreprises fournisseurs, puis qu’il conduise un audit indépendant.
Mais le Cameroun n’a pas fait son reporting semestriel, n’a publié la liste des entreprises bénéficiaires que des mois après, n’a commandé d’audit indépendant que sur l’insistance du bailleur et bien après les délais prévus. Plus grave, à aucun moment la loi camerounaise sur les marchés publics n’a été respectée, à aucun moment le peuple camerounais n’a été informé sur la gestion de ses deniers publics.
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Pourquoi avoir alerté le FMI et les ONG alors que le président Paul Biya a diligenté une enquête et qu’un rapport d’audit de la Chambre des comptes a pointé les responsabilités ? Le Premier ministre Joseph Dion Ngute a même été auditionné. L’Assemblée nationale s’est saisie du débat…
Le président n’a commandé cette enquête et cet audit que dans le but d’obtenir un nouveau prêt du FMI. Aujourd’hui, le FMI envisage de lui accorder une ligne de crédit supplémentaire. Nous pensons que cela contredit la loi camerounaise ainsi que les valeurs du FMI et souhaitons que le Fonds respecte ses principes.
Que révèle la synthèse de l’audit du Fonds spécial de solidarité nationale pour la lutte contre le coronavirus ?
Même partiel, ce document de la Chambre des comptes, qui a fuité, puisque jusqu’à ce jour aucun audit n’a été présenté au peuple camerounais, a révélé qu’il y a eu des dépassements de lignes budgétaires par un facteur de 20. Il y a eu des surfacturations. Par exemple, les tests anti-Covid-19 qu’on pouvait acheter à moins de 3 000 francs CFA, le ministère concerné a préféré les acheter chez le fournisseur à 14 000 francs CFA.
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Vous pointez le fait que la loi camerounaise sur les marchés publics n’a pas été respectée au vu et au su des créanciers du Cameroun. C’est une grave accusation…
Des ordonnateurs au sein du ministère de la Santé publique ont donné des marchés à des entreprises qui n’étaient pas agréées. Or, la loi sur les marchés publics au Cameroun exige un agrément pour être fournisseur de l’État, notamment dans le domaine spécifique de la santé. Donc près d’une centaine de contrats ont été signés avec des entreprises qui ne sont pas agréées. Des marchés ont été donnés à des membres de la famille de l’ordonnateur pour une valeur de plus de 700 millions de francs CFA.
Medelline Medical est une entreprise qui n’avait jamais fait d’affaires au Cameroun. Elle a été enregistrée en 2017, et en 2020 alors que ses comptes étaient à zéro franc CFA, le ministère de la Santé a décidé de lui confier environ 70 % des marchés, en totale violation de la loi, en violation du contrat signé avec le FMI, en violation de toutes les règles de gestion des finances publiques.
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Qu’attendez-vous du Fonds monétaire international dans cette affaire ?
Nous estimons que le FMI est concerné en premier lieu. Il ne fait pas de dons, mais des prêts à la nation camerounaise. Ce sont les Camerounais qui vont rembourser ces prêts.
À quel moment avez-vous jugé nécessaire de saisir l’institution de Bretton Woods ?
Le déclic a été de voir que malgré tous les indicateurs au rouge, le FMI accepte de négocier un nouveau prêt avec le Cameroun. L’équipe technique du FMI a même publié une déclaration dans laquelle elle ne fait aucune mention de la gestion problématique des fonds Covid-19. Au contraire, à la première ligne du texte, le FMI félicite le gouvernement camerounais pour sa réponse à la pandémie.
Comment le FMI peut-il encore prêter de l’argent à un État qui n’a pas respecté les règles de son contrat et dont tous les indicateurs en matière de gestion des finances publiques et de détournements sont au rouge, sans prendre de disposition nouvelle ?
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Le problème soulevé autour des critères d’octroi des fonds d’aide d’urgence pose plus largement la question de l’inadaptation du regard du monde extérieur et des institutions sur l’Afrique. Quelles solutions entrevoyez-vous pour ces problématiques ?
Nous ne demandons pas au FMI de sortir de son cadre. Nous lui disons de respecter les termes de l’accord qu’il a validé avec le Cameroun qui a promis dans sa lettre d’intention de gérer de manière transparente ces fonds. Nous disons que si cela n’a pas été respecté, le FMI ne peut pas signer un nouveau contrat sans s’assurer de la clarté sur la gestion des fonds Covid, sans s’assurer que les personnes responsables du vol et des détournements ne sont plus en position pour gérer un nouveau prêt et sans avoir des garanties de la part du gouvernement camerounais sur les nouvelles procédures de gestion et sur le respect de la loi camerounaise. Ce sont les citoyennes et citoyens camerounais qui paieront ces prêts. On doit s’assurer que l’argent sera utilisé pour leur bien-être. Si ces assurances n’existent pas, il ne faut pas prêter au Cameroun.
Les pays riches ne peuvent pas donner autant d’aide au Cameroun sans exiger de contrepartie et s’étonner ensuite du fait que le pays et plus largement l’Afrique ne se développe pas et que nos enfants arrivent chaque jour à leurs frontières en quête d’une vie meilleure. Le FMI ne peut pas continuer à donner de l’argent à un gouvernement qui n’utilise pas cet argent pour le développement véritable des populations et en même temps se lamenter sur l’absence de progrès dans nos pays.
Le FMI nous prête de l’argent constamment parce que nous sommes riches et que nous avons la capacité de rembourser. Mais nous sommes un pays extrêmement riche ou 4 personnes sur 10 vivent en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollars par jour. Et où une partie importante de la population vit sans eau, sans électricité, sans facilité sanitaire. S’endetter pour de tels résultats, c’est complètement inacceptable !
Qu’est-ce que cette crise de la gestion nous dit de la prise en compte par l’État des problématiques sanitaires au Cameroun ?
Ça en dit beaucoup sur la détermination de ce régime à ne pas travailler pour les populations. Pour tout vous dire, ce sont des médecins qui nous ont interpellés sur les conditions dans lesquelles ils travaillent depuis le début de la pandémie. Pendant que certains détournent l’argent du FMI, des Camerounais sont morts dans les hôpitaux parce qu’il n’y avait pas d’oxygène. Des Camerounais sont morts parce qu’il n’y avait pas de tests disponibles, des personnels de santé ont été infectés et sont morts parce qu’il n’y avait pas de matériel de protection.
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Opacité, corruption, mauvaise gouvernance sont, entre autres, des reproches adressés au Cameroun. Que répondez-vous à cela et que mettre en œuvre pour sortir le pays de cette image ?
C’est loin d’être la première fois que l’argent est détourné dans notre pays. Il est très rare que l’on voit l’aboutissement des enquêtes qui sont diligentées par le chef de l’État. Non seulement elles n’aboutissent pas, mais il y a très peu de résultats palpables et encore moins de sanctions pour les présumés coupables. Et encore moins des changements dans les modalités de gestion.
Entre 2017 et 2020, le Cameroun était sous programme avec le FMI et, dans la même période, le pays s’est engagé dans une guerre asymétrique, inutile, et un scandale de détournement de fonds autour de la Coupe d’Afrique des Nations a éclaté. Nous devons lever le voile sur toutes ces affaires, parce qu’aucune institution ne le fera à notre place. Ce gouvernement semble trouver dans le FMI et ses autres partenaires financiers un puits sans fond où ils peuvent continuer à endetter les Camerounais sans contrepartie de développement ; où ils peuvent puiser pour mener une guerre sans raison dans laquelle les Camerounais sont tués au quotidien.
Sur le plan politique et administratif, l’État central est-il encore le meilleur acteur pour accompagner le Cameroun vers un développement économique et social apaisé ?
Il faut savoir que l’État central est un des acteurs de la guerre dans notre pays. En zone anglophone, l’État central mène la guerre, il ne cherche pas à y mettre fin, il ne cherche pas une voie de sortie non violente. On oublie souvent de le dire, mais le Cameroun a quatre foyers de conflits. La crise de Boko Haram qui dure depuis dix ans, la crise anglophone qui a éclaté il y a cinq ans, à l’est du pays, le conflit centrafricain a tendance à avoir des effets du côté camerounais et aussi la violence dans le golfe de Guinée.
Au fond, la crise anglophone n’est qu’une illustration d’un malaise profond dans le pays. Les anglophones l’ont exprimé en premier, mais il y a beaucoup d’autres groupes au Cameroun qui pourraient avoir le même degré d’amertume vis-à-vis de l’État central. Le fait que Boko Haram arrive à recruter des Camerounais dans ses rangs tous les jours en dit beaucoup sur la situation des jeunes dans cette partie du pays.
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S’il fallait définir le Cameroun aujourd’hui, vous diriez ?
En tant que Camerounais, nous sommes toutes et tous des prisonniers ambulants. Le deux poids deux mesures est devenu un mode de gouvernance. Vous pouvez vous faire arrêter du jour au lendemain. Il n’y a pas de justice dans notre pays, encore moins de justice sociale.
Depuis 2014, nous affirmons que notre pays a besoin d’une transition politique, nous ne pouvons pas continuer avec le régime actuel qui a créé cette culture de l’injustice, de la corruption, du deux poids deux mesures. Ça ne s’arrête pas là, ce régime a également créé une culture de non-performance. Je ne peux pas embellir l’époque Ahidjo parce que lui-même était un dictateur, mais à cette époque le Cameroun était un pays d’excellence, on savait que les personnes qui avaient des bourses, des emplois dans l’administration étaient les plus qualifiées. Cette notion a complètement disparu et c’est le fruit du travail d’un régime qui est en place depuis 38 ans. Ce régime a mené des opérations anticorruption à grand renfort de publicité, qui sont loin d’avoir mis un terme à ce fléau. Le problème est systémique et exige une volonté de fer au plus haut niveau du pays pour y mettre fin. Cette volonté n’existe pas aujourd’hui.
La paix, ce n’est pas une déclaration qu’on lit à la télévision, c’est quelque chose qui se bâtit à partir de la base, avec la population, et on ne bâtit la paix que sur la justice. Ce n’est que quand les anglophones auront l’impression qu’ils sont traités de manière juste dans le Cameroun qu’on aura tous la paix. Ce n’est que lorsqu’un jeune Camerounais estimera que s’il travaille bien à l’école et que s’il fournit ses meilleurs efforts, il pourra avoir accès à un emploi, qu’il ne sera pas bloqué parce qu’il n’a pas les « godasses » (contacts bien placés), qu’on aura la paix. Il faut à la tête de l’État des personnes capables de regarder tout ce qui ne va pas avec le Cameroun en face et prêtes à apporter des solutions à la hauteur de la complexité et de la difficulté de ces problèmes.
Aujourd’hui, dès qu’on soulève un problème, on est aussitôt traité d’anti-patriote. Celui qui décrit un problème est accusé d’être anti-patriote par ceux qui ont géré de manière à créer tous ces problèmes ! Le monde à l’envers.
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Avec le changement de la donne au niveau international, comment voyez-vous les relations avec les autres pays africains ? Nous pensons aux questions d’intégration, de monnaie, de stratégie de chaînes de valeurs interafricaines, de formation, de lutte contre le chômage et de développement.
L’Afrique est loin d’être pauvre, mais un trop grand nombre de pays sont encore très mal gérés (Africa is not poor, it is however, for too many countries, poorly run). Après 60 ans d’indépendance, nos gouvernants ne parviennent pas à fournir le strict minimum d’eau, d’électricité, de route, d’hôpital, d’école.
Personne ne va régler la situation pour nous, pas le FMI, pas les Nations unies, pas la communauté internationale, ce sont des Africains qui vont régler leurs problèmes. Il est donc très important pour les citoyens de s’organiser, de mener des actions, et c’est ce que nous sommes en train de faire.
Il faut mettre en place des systèmes qui changent les dirigeants. Tant qu’en Afrique, nous n’aurons pas la possibilité d’avoir une alternance à la tête des États, un processus qui permet aux citoyens de s’exprimer par des élections équitables transparentes, nous ne nous en sortirons pas.
Les défis sont devant nous, ils sont immenses, le Covid-19 n’est qu’une illustration de ce à quoi nous devons nous préparer pour l’avenir. Pour l’Afrique, c’est d’autant plus urgent que nous devons faire face au changement climatique, au défi démographique, on ne peut plus se permettre d’avoir des dirigeants qui ne rendent pas les bons comptes.
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Et sur l’intégration, comment un pays comme le Cameroun peut-il se positionner ?
L’intégration va se faire, mais il faut que chaque partenaire soit fort. Quand un pays sait ce qu’il veut, où il va, il est en meilleure position de nouer un partenariat. Nous avons des pays qui sont sur la bonne voie parce qu’ils ont bâti une fondation solide basée sur l’État de droit, la justice, l’alternance. Ils ont bâti une fondation véritable où la bonne gestion économique, macroéconomique permet à la petite entreprise de s’en sortir. Je pense à des pays comme l’île Maurice, le Botswana, le Cap Vert. Malheureusement, ils sont trop peu nombreux.
On a une autre catégorie de pays qui sont quelque part au milieu. Ils ont fait quelques pas dans la bonne direction, mais ils ne s’en sortent pas encore véritablement parce qu’ils rencontrent des freins notamment dans des domaines comme le respect des droits humains. Il n’y a pas encore dans ces États la volonté de faire véritablement participer les citoyens à la vie publique, il n’y a pas encore une culture d’acceptation de l’alternance. Je pense au Sénégal, au Ghana, à la Côte d’Ivoire, au Kenya. Des pays qui ont marqué des pas de géant, des progrès très importants mais qui restent insuffisants pour qu’ils puissent vraiment atteindre leur potentiel.
Puis vous avez une troisième catégorie de pays qui semblent faire pratiquement marche arrière. Ces États n’enregistrent de progrès dans aucun domaine, que ce soit l’État de droit, sur le plan économique, de la participation citoyenne. Je mets mon pays, le Cameroun, dans cette catégorie.
Le Cameroun est un marché de 25 millions de personnes, mais le marché de la CEMAC est beaucoup plus grand et celui du continent est estimé à un milliard trois cents millions de personnes. Les pays africains ne s’en sortiront qu’en agissant ensemble. Ensemble, nous pouvons peser sur l’échelle mondiale, surtout par rapport à d’autres puissances comme la Chine, l’Europe ou les États-Unis.
Toutefois, on ne va pas réussir l’intégration par la déclaration. Une fois de plus, ce n’est pas parce qu’on a dit qu’il faut être intégré qu’on va être intégré. Pour être intégrés, nous avons besoin de pays qui respectent l’État de droit. Le libre-échange, c’est être capable de dire à ses partenaires : vous pouvez investir en sécurité dans mon pays parce que vous êtes sûr que la loi est toujours respectée. Trop peu de pays sont à ce niveau, d’où la faiblesse de nos institutions régionales, en particulier en Afrique centrale.
Presque tous les pays de la CEMAC sont dans la troisième catégorie, c’est quelque part le dernier bastion des dictateurs. Il n’y a pas d’effet d’entraînement.
En Afrique de l’Ouest, les pays qui ne font pas d’élections régulières, qui sont dans les abus graves des violations des droits humains sont minoritaires ; par contre, en Afrique centrale, c’est la majorité. Il n’y a pas un seul pays qui ait réussi l’alternance régulière.
Heureusement que nous avons ces pays qui réussissent parce que ça nous rassure sur le fait que c’est possible.
Êtes-vous optimiste ?
Je crois qu’en tant que citoyen, nous devons arrêter de nous plaindre. On doit plutôt se mettre en mouvement parce que l’intégration de l’Afrique est inévitable pour notre bien-être et pour renforcer notre capacité de converser avec le reste du monde. Aucun pays africain ne peut s’en sortir seul, on a besoin d’être ensemble sur l’échelle mondiale en tant que continent afin de pouvoir parler d’une seule voix.
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Votre pays bouillonne sur le plan des idées féministes et le plaidoyer que vous portez auprès du FMI et des institutions internationales est l’initiative de femmes. Comment l’expliquez-vous ?
Dans l’activisme citoyen au Cameroun, les femmes sont très nombreuses, notamment dans la société civile. Nous sommes toutes préoccupées par la gouvernance dans notre pays. Quel que soit le secteur d’activité aujourd’hui au Cameroun, vous êtes confronté à la mauvaise gouvernance qui étouffe et empêche de vivre.
Nous étions déjà dans une démarche de plaidoyer auprès de l’ONU en ce qui concerne la crise anglophone, parce qu’il faut dire que nous avons écrit deux lettres. La première est adressée au Conseil de sécurité de l’ONU et elle concerne exclusivement les crises violentes au Cameroun. Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a pas encore mis le Cameroun à son ordre du jour, malgré ces foyers de conflits.
Quand le scandale autour des fonds alloués pour la lutte contre la pandémie a éclaté, nous avons jugé qu’il fallait agir d’autant plus que le directeur exécutif du FMI est une femme. Et plusieurs d’entre nous étaient mobilisées pour que des femmes soient à la tête des plus grandes institutions comme le FMI, l’OMC, les Nations unies, etc. Nous estimons avoir contribué à la nomination de la directrice générale du FMI. Le but d’avoir des femmes à la tête des institutions n’est pas seulement d’avoir une représentation féminine, mais de transformer la gestion de l’institution pour la rendre plus transparente et plus juste, afin qu’elle place les citoyens au centre de la décision publique.
Nous n’attendons pas d’elle qu’elle gère le FMI de la même manière que les hommes l’ont dirigé pendant des décennies. Notre attente, c’est de voir un FMI qui est plus transparent, avec une gestion plus responsable et qui mène des partenariats qui ont pour but le bien-être des populations auquel le FMI accorde des prêts. Voilà comment la démarche est devenue féminine.
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Le Cameroun connaît aussi de vifs débats autour des violences faites aux femmes. Que pensez-vous de cette libération de la parole des femmes ? Assiste-t-on à un #MeToo camerounais ?
Cette libération de la parole est essentielle, elle est formidable. Mais elle est insuffisante. Les débats sont vifs parce qu’il s’agit de sujets qui portent sur les rapports de pouvoir et, comme le dit l’adage, « le pouvoir ne se donne pas, le pouvoir s’arrache ». Je suis personnellement aux anges quand je vois à quel point la parole des femmes s’est libérée. Quand j’entends les Camerounaises s’exprimer publiquement par rapport au harcèlement sexuel, à l’exploitation des filles mineures, aux violences sexuelles, c’est un moment très, très fort.
Mais c’est insuffisant. La parole est essentielle, mais la parole n’est qu’un premier pas. Après, il faut s’attaquer au système. Et on ne peut s’attaquer au système qu’en étant organisé, et capable d’analyser quelles sont les parties du système qui font problème. Est-ce que c’est la loi, est-ce que c’est la culture ? Est-ce que ce sont les rapports de force ?
Jugez-vous qu’il y a une prise de conscience réelle au sein de la société quant aux réponses à apporter aux filles et aux femmes camerounaises ?
Après ce scandale, deux ministres sont sortis pour dire que le gouvernement est là pour la protection des femmes mineures et des victimes d’exploitation sexuelle, mais ça ne veut absolument rien dire. La question, c’est si je suis harcelée, si je suis victime de violence, de harcèlement, qui dois-je appeler ? Quel est le numéro que l’État camerounais a mis à ma disposition et que je peux appeler ? Si une femme est victime, qui peut-elle voir afin d’obtenir une assistance juridique ? Qui va-t-elle voir pour être accompagnée sur le plan psychologique ? Pour guérir ? Est-ce que la police camerounaise est formée pour intervenir ? Est-ce que la police camerounaise est formée pour écouter les plaintes ? La police camerounaise est-elle formée pour intervenir dans ce genre d’affaires ? Voilà les questions qui se posent à un État. Il faut que nous, Camerounaises, citoyens, citoyennes, comprenions que tant qu’on n’a pas touché à ces questions systémiques, on n’a pas de solution. Donc, on peut faire beaucoup de bruit sur les réseaux sociaux sur un cas, c’est une chose très positive. Mais demain il y en aura un autre et après-demain aussi.
Propos recueillis par Viviane Forson