Aucune cérémonie officielle. Pas la moindre commémoration, ni même un hommage plus confidentiel. Il y a 50 ans jour pour jour, le Nigeria mettait pourtant fin à un conflit parmi les plus sanglants de son histoire, la guerre du Biafra. Très médiatisée à l’époque, elle a fait plus d’un million de morts. Peut-être plus. Il n’y a jamais eu, en effet, de bilan définitif. Quelques années auparavant, l’horizon était pourtant dégagé pour le Nigeria. En 1960, il proclame son indépendance. Les Britanniques laissent alors aux dirigeants nationaux un état au potentiel économique fort. Peuplé de 50 millions d’habitants, son territoire regorge de ressources naturelles, comme le pétrole.
Mais l’état de grâce ne dure pas. Rapidement, des tensions se font sentir, notamment entre les trois principales communautés du pays. Les Yorubas, musulmans et chrétiens de l’Ouest et du Sud-Ouest, cohabitent avec les Haoussas du Nord, en majorité musulmans, et les Igbos, pour la plupart chrétiens et animistes vivant dans le Sud-Est. Pendant six ans, une guerre de pouvoir va opposer ces différents groupes. Les alliances pour diriger l’État se font et se défont, laissant, à chaque fois, un sentiment de frustration chez la communauté exclue. En 1966, deux coups d’État éclatent.
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Une indépendance dans la douleur
En janvier, Johnson Aguiyi-Ironsi, soutenu par des officiers igbos, prend le pouvoir après que le Premier ministre Abubakar Tafawa Balewa, de la communauté haoussa, a été tué par des soldats mutins. Six mois plus tard, un autre putsch est perpétué par des généraux du Nord et tue le général. La junte place à la tête de l’État Yakubu Gowon, un chrétien. En cette période d’instabilité politique, les tensions entre communautés sont très fortes. Ses conséquences, funestes. À l’été 1966, une série de massacres vise les Igbos du Nord, faisant des dizaines de milliers de morts. Et pousse le gouverneur militaire de la région de l’Est, Odumegwu Emeka Ojukwu, à déclarer l’indépendance du Biafra, le 30 mai 1967.
En réponse, le gouvernement fédéral opère un blocus économique sur la région, où vivent près de 12 millions d’habitants. Les routes terrestres et maritimes entre le Biafra et le reste du pays sont coupées. En juillet, la guerre éclate. Les premières images de ses conséquences sur la population, quelques mois plus tard, choquent à l’international. La médiatisation du drame humanitaire que vit le Biafra est considérable. Des images d’enfants souffrant du kwashiorkor – syndrome de malnutrition où le corps, squelettique, tranche avec un ventre hypergonflé par le manque de protéines – sont largement diffusées.
Et participent au soutien international que la région va recevoir, de la part de l’Europe et de la Côte d’Ivoire notamment. La position du président ivoirien de l’époque, Félix Houphouët-Boigny, ralliera même à sa cause, selon les historiens, le président français Charles de Gaulle. Avec un appui renforcé des Britanniques, les forces fédérales nigérianes lancent une offensive finale le 23 décembre 1969. Cette dernière aura raison de la toute jeune République du Biafra. Odumegwu Emeka Ojukwu parti pour la Côte d’Ivoire, c’est son Premier ministre, Philip Effiong, qui signe, le 12 janvier 1970, le cessez-le-feu. Le 15 janvier, les derniers combats cessent et le Biafra est officiellement réintégré au sein du Nigeria.
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Une guerre oubliée ?
Dans un discours, le général Gowon assurera que, dans cette guerre, il n’y a « ni vainqueur ni vaincu ». Ce territoire de 75 000 kilomètres carrés est pourtant largement sinistré. Il y a eu « plus de morts au Biafra en dix mois qu’en trois ans au Vietnam », déplore Félix Houphouët-Boigny sur l’antenne de France Inter, le 9 mai 1968. Grâce au pétrole, la reconstruction économique du Nigeria fut tout de même relativement rapide. Et lui a permis de clore rapidement un chapitre sanglant de son histoire. Même si la prospérité économique a balayé les derniers vestiges visibles de la guerre, le ressentiment des Igbos, lui, perdure. Jusqu’à aujourd’hui.
L’accession au pouvoir en 2015 de Muhammadu Buhari, ancien général du nord du pays, a attisé le sentiment de marginalisation de la communauté. Car c’est lui qui, en 1983, sape les espoirs des Igbos en confisquant le pouvoir au vice-président Alex Ekwueme. S’il « avait accédé au pouvoir, le fantôme du Biafra aurait été enterré depuis longtemps, affirme ainsi à l’AFP le professeur Pat Utomi, son ancien conseiller. Au début des années 1980, les Igbos eux-mêmes avaient presque oublié la guerre, mais aujourd’hui la nouvelle génération est beaucoup plus amère », déplore-t-il.
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Depuis quelques années, en effet, des mouvements séparatistes igbos émergent, à l’image du Mouvement indépendantiste pour les peuples indigènes du Biafra (Ipob). Très actif sur les réseaux sociaux, le mouvement tente de convaincre la nouvelle génération de Nigérians, qui n’a pas connu la guerre civile. Et qui ignore tout, ou presque, de cette guerre qui s’est déroulée sur son sol et qui ne figure pas, ou très peu, dans les manuels scolaires. Mise sous le tapis dès les années 1970, la guerre du Biafra est, encore aujourd’hui, savamment ignorée par les autorités. Un travail de mémoire pourtant indispensable à la reconstruction d’une partie du peuple.
Par Marlène Panara | Le Point.fr