Les universités de Hongkong, fermées depuis le début de la semaine jusqu’à la fin du semestre, sont-elles en train de devenir des places fortifiées, occupées par les étudiants ? C’est le cas de plusieurs d’entre elles, après l’occupation, puis l’évacuation précipitée dans la nuit de 15 au 16 novembre, de la prestigieuse Université chinoise de Hongkong (CUHK). Le campus s’était transformé, depuis mercredi 13 novembre, en un quasi-phalanstère : « Les uns font les sentinelles pour guetter l’approche éventuelle de la police. D’autres renforcent les barricades… Les étudiants font eux-mêmes la cuisine dans les cantines », racontait, vendredi après-midi, Jonas W., 20 ans, étudiant en première année de sociologie à la CUHK, affecté à l’organisation des ressources.
Les forces de l’ordre avaient tenté, en vain, de pénétrer mardi 12 novembre sur le campus, rencontrant une forte résistance. « Quand la police est partie, nous avons pris possession des lieux. Nous avons reçu des tonnes de vivres », expliquait-il. Le cadre est idyllique : des hauteurs de collines verdoyantes du campus, on distingue, debout sur une rive du bras de mer en contrebas, l’immense statue blanche de la déesse bouddhique de la miséricorde, Guan Yin, qui semble protéger les lieux de sa main ouverte.
« Infiltrations » policières
Mais dans le récit de Jonas, quelques réserves déjà, annonçant la débâcle qui allait avoir lieu quelques heures plus tard : « Il y a des gens parmi nous qui ne sont pas des étudiants. Et nous sommes aussi certains d’être infiltrés par des policiers. Cela devient compliqué. Des gens non identifiés vous fouillent à l’entrée, et parfois même à l’intérieur. Il y a eu des classes saccagées alors que nous [les étudiants] respectons notre université », explique-t-il.
Des débordements, qui sont clairement dénoncés dans le message du recteur de la CUHK, Rocky Tuan, publié vendredi après-midi et dans lequel il revient sur les derniers jours de chaos. Il estime que le contrôle de l’université a été pris par des manifestants masqués, qui, « pour la plupart, ne sont pas des étudiants de la CUHK ». Il dénonce les jets de débris et de cocktails Molotov sur une autoroute, le Tolo Highway, et sur la voie ferrée, à partir d’un pont sur lequel l’université a un droit de passage mais qui, depuis le début de la semaine, est contrôlé par des manifestants. « Ces manifestants masqués ont apporté avec eux de quoi faire une grande quantité de cocktails Molotov. Nos laboratoires ont été dévalisés et divers produits chimiques dangereux ont disparu », écrit Rocky Tuan dans sa lettre.
Mercredi, la police avait estimé que l’université chinoise s’était transformée en « usine d’armes », la qualifiant le lendemain d’« arsenal ». Finalement, le mouvement d’évacuation de la CUHK s’est précipité vendredi 15 novembre au soir. « Les profs nous ont dit de partir tout de suite, comme s’il y avait eu une alerte à la bombe. Cela avait l’air sérieux. On a tout laissé tel quel », raconte une étudiante, qui avait pris en charge les navettes de transport au sein du campus. Pendant ce temps, quelques manifestants continuaient d’occuper le fameux pont, où ils avaient de nouveau interrompu le trafic, et incendié une camionnette abandonnée – jusqu’à ce que ce front-là cède à son tour.
Depuis le « siège » de l’Université chinoise, les étudiants de plusieurs autres universités de la ville ont à leur tour transformé leur campus en forteresse, par solidarité. Aux abords de l’Université baptiste, à Kowloon, des barricades en bambou sont ornées de centaines de parapluies, et de longues sections de routes sont jonchées de briques, agencées en mini-dolmens. « Nos étudiants, souvent la première génération de la famille à accéder à l’université, se battent pour le seul avenir possible qu’ils ont et qui est à Hongkong. Cela renforce leur motivation », explique Emilie Tran, responsable des études européennes à « Baptist U ». Un autre campus, celui de l’Université polytechnique, Poly U, à Hung Hom, est également occupé. Il jouxte l’un des trois tunnels qui relient l’île à la partie continentale de Hongkong, bloqué depuis plusieurs jours. Sa cantine est devenue un immense entrepôt. Sa piscine, vidée, sert aux entraînements de jets de cocktails Molotov aux étudiants, qui mettent au point de nouvelles recettes de gaz puants, afin de faire fuir la police le jour où elle interviendra.
Par endroits, l’Université de Hongkong, seul campus situé sur l’île même, a aussi l’air d’avoir subi une attaque. On dirait que des camions de déménagement se sont vidés dans les escalators. Les ascenseurs du métro sont brûlés, tagués… Des murets en briques, cimentés, ont été érigés pour bloquer certains accès au campus. « Ils ont même construit des catapultes, cela vire à la guérilla », observe Apolline Marcel, étudiante en master à Sciences Po, revenue à Hongkong cette semaine pour la remise de son diplôme HKU-Sciences Po. Elle s’étonne que « personne n’intervienne ».
Immobilisme « irresponsable »
« Quelle que soit votre opinion sur les manifestants, tout le monde pense que le gouvernement n’aurait jamais dû laisser la situation dégénérer à ce point », estimait, dépitée, devant un trottoir défoncé de Central, une avocate d’affaires hongkongaise, après l’un des rassemblements quotidiens de l’heure du déjeuner. Comme beaucoup de Hongkongais, elle estime l’immobilisme du gouvernement « dangereusement irresponsable ». Vendredi soir, les présidents des neuf universités de Hongkong ont demandé au gouvernement dans un communiqué d’« inciter tous les secteurs de la société à se mobiliser pour ramener la paix et l’ordre à Hongkong ». Mais face à la société civile, qui réclame une solution politique, les consignes qui émanent de Pékin ne parlent que de répression.
Jeudi, à Brasilia, où il participait au sommet des BRICS, le président chinois, Xi Jinping, qui s’est peu exprimé sur Hongkong jusqu’à présent, a déclaré que « mettre fin au chaos et restaurer l’ordre était la tâche la plus urgente à accomplir ». Une déclaration qui a l’apparence d’une injonction : le quotidien nationaliste chinois Global Times a observé que le rétablissement de l’ordre, jusqu’à présent considéré comme ce qu’il y avait de « plus important » par le président chinois, était désormais élevé au rang de ce qu’il y avait de « plus urgent » à accomplir. Vendredi, le China Daily, quotidien anglophone du Parti communiste, estimait pour sa part qu’« une action plus décisive est sans aucun doute nécessaire ».
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Le gouvernement de Hongkong peine à imaginer de nouvelles mesures : les 180 000 fonctionnaires de Hongkong ont ainsi appris vendredi par une lettre de leur ministre, Joshua Law Chi-kong, qu’une simple arrestation dans le cadre des événements leur coûterait un licenciement. En attendant, la Hongkong Forward Alliance, une initiative qui regroupe des avocats, des anciens officiels et des hommes d’affaires, a organisé samedi à Hongkong un forum rassemblant des experts d’autres crises intérieures majeures (Irlande, Afrique du Sud…) pour promouvoir la réconciliation – et proposer au conflit actuel une solution autre que la répression policière.
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