Sans avoir été particulièrement détendue auparavant, l’atmosphère politique s’est chargée encore un peu plus dans la nuit du dimanche 20 au lundi 21 septembre. Depuis cette date, la maison de Maurice Kamto est entièrement encerclée par les forces de sécurité. Selon le président du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC), celles-ci, composées « de détachements mixtes de policiers et de gendarmes armés, avec un déploiement impressionnant de matériel de guerre », empêchent quiconque d’entrer ou de sortir de la maison. Cet événement est à mettre au compte de la crise politique qui dure depuis que le 8 octobre 2018, au lendemain de l’élection présidentielle aux résultats contestés, Maurice Kamto s’est autoproclamé vainqueur et que le Conseil constitutionnel a rejeté ses recours et l’a donné en deuxième position du scrutin avec 14,23 % des voix. Au cours de l’audience relative au contentieux électoral, Maurice Kamto n’a d’ailleurs pas reconnu les membres du Conseil constitutionnel comme étant habilités à arbitrer sur le contentieux post-électoral.
Tout a vraiment basculé en janvier 2019 quand, pour des faits de destruction de biens publics, l’opposant a été emprisonné pour n’être libéré qu’au début du mois d’octobre de la même année à la suite de la décision du président Paul Biya de suspendre les poursuites judiciaires contre les militants du MRC et associés arrêtés dans le cadre de la contestation des résultats de l’élection présidentielle au Cameroun d’octobre 2018. Depuis, rien n’a vraiment évolué dans le bon sens, au grand dam de Maurice Kamto et de ses partisans, jusqu’à cette nuit du 20 septembre où sa maison a été assiégée. De Douala, il a répondu aux questions du Point Afrique alors que les autorités l’accusent d’appel à l’insurrection et ont indiqué dans un communiqué examiner son cas et celui de ses partisans par des voies judiciaires.
Le Point Afrique : L’information selon laquelle vous êtes bloqué chez vous se précise. Quelle est physiquement la situation actuelle ?
Maurice Kamto : Depuis la nuit du dimanche 20 au lundi 21 septembre et jusqu’à ce jour, il m’est impossible de sortir de chez moi, de jouir de mes droits et libertés garantis par la Constitution. De même, je ne peux recevoir de visite, ni même assurer le ravitaillement de ma maison. Bref, personne n’entre, personne ne sort.
Plus de 600 manifestants, parmi lesquels une majorité de nos militants, ont été arrêtés et sont détenus, notamment Alain Fogué, le trésorier du MRC, et Olivier Bibou Nissack, mon conseiller et porte-parole, qui sont toujours en garde à vue dans les locaux du secrétariat d’État à la Défense chargé de la gendarmerie (SED). Des arrestations massives ont eu lieu avant, pendant et après les marches pacifiques. C’est à une véritable chasse à l’homme et à une purge politique du MRC qu’on assiste depuis lors.
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Et politiquement ? Les autorités vous ont-elles fait part de leurs griefs contre vous ?
Je reste curieux de savoir pour quelles raisons ma maison est encerclée et les entrées assiégées nuit et jour par des dizaines de policiers et de gendarmes, avec des équipements de guerre, dont un char dirigeant son canon vers le portail !
Nous vivons sous une dictature féroce qui n’est pas connue pour respecter les lois, souvent iniques, qu’elle a elle-même édictées. La coalition des partis politiques et membres de la société qui a lancé le mot d’ordre des marches pacifiques l’a fait dans le respect de la loi, en déclarant les marches aux autorités compétentes. Les manifestations au Cameroun sont sous le régime de la simple déclaration. Or, les marches organisées par la coalition sont systématiquement interdites sous le fallacieux prétexte du trouble à l’ordre public. Mais ce n’est même pas le motif de manifestation de trouble à l’ordre public que le régime invoque. Il a décidé que les marches absolument pacifiques de la part des manifestants (comme le montrent toutes les images) étaient une insurrection.
En effet, le délégué général à la Sûreté nationale (DGSN) et le secrétaire d’État à la Défense chargé de la Gendarmerie m’ont fait dire hier par les membres du collectif d’avocats chargé d’assister les personnes arrêtées ou enlevées avant, pendant et après les marches pacifiques que je suis interdit de sortir de mon domicile où je suis séquestré avec ma maisonnée depuis huit jours maintenant. Personne ne sort, personne n’entre. Ils m’accusent d’être porteur d’un projet d’insurrection pour renverser les institutions. J’ignore si c’est une séquestration qui se poursuit, une détention extrajudiciaire ou une assignation à résidence surveillée de fait. Car aucun acte juridique, aucune notification écrite ne sous-tend cette situation.
Les marches pacifiques du 22 septembre 2020 ont été marquées par un comportement à tout point irréprochable, battant en brèche cette thèse de l’insurrection qu’agite le régime camerounais pour nous diaboliser et justifier la répression barbare infligée aux marcheurs. Le pire est que, comme lors des marches pacifiques de janvier et juin 2019, déjà, les arrestations et les quelques remises en liberté observées se sont faites sur la base des patronymes, dans le but évident de réduire ces marches à une manifestation ethnique. C’est extrêmement grave de créer ainsi un délit de patronyme dans un pays qui se caractérise par une grande diversité ethnique.
Quel objectif visez-vous à travers la marche à laquelle vous avez appelé ?
Nous avons été clairs depuis le début, notre démarche a été et demeurera pacifique. Nous demandons :
– d’une part, l’arrêt du bain de sang par un cessez-le-feu et un retour au dialogue inclusif afin de ramener la paix dans les deux régions anglophones du pays en guerre depuis plus de 3 ans ;
– d’autre part, une réforme consensuelle du système électoral avant toute nouvelle élection, afin que les Camerounais puissent désigner librement et en toute transparence leurs dirigeants, demande formulée par les partis politiques de l’opposition et la société civile, y compris la Conférence épiscopale nationale, par l’organe étatique en charge des élections, les partenaires internationaux du Cameroun, notamment l’Union africaine, le Parlement de l’Union européenne, les États-Unis, le Canada, etc.
En réponse à ces deux exigences, nous n’avons essuyé que le mépris du régime.
Comment décrirez-vous la situation que vit la Cameroun aujourd’hui ?
La situation du Cameroun est très préoccupante. Le pays est confronté à plusieurs crises.
– Sur le plan sécuritaire, le régime de M. Biya a déclaré et mène une guerre absurde contre une partie du peuple camerounais dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Cette guerre qui dure depuis bientôt quatre ans a causé plus de 3 000 morts (certaines estimations sont beaucoup plus élevées), des milliers de blessés et de disparus, entrainé un déplacement massif des populations de ces régions (environ 400 000 à 800 000 personnes selon les sources) et généré plus de 40 000 réfugiés camerounais au Nigeria voisin.
– Sur le plan économique, de l’aveu même des autorités, trois régions sur les dix que compte le Cameroun sont aujourd’hui déclarées fiscalement sinistrées. Dans les autres régions, la situation économique n’est guère plus brillante. Les Camerounais font face à un chômage endémique et une inflation galopante, sans compter la corruption généralisée qui rend difficile tout investissement au Cameroun. La pauvreté n’a cessé de s’accroître. Le PIB par habitant, d’environ 1 500 dollars US est inférieur à ce qu’il était il y a 25 ans.
– Sur le plan politique, le régime en place n’a toujours pas tiré les leçons de la crise post-électorale de l’élection présidentielle d’octobre 2018 et du message clair que les Camerounais leur ont envoyé en suivant massivement notre mot de boycott des élections législatives et municipales de février 2020 (près de 80 % des électeurs ne sont pas allés voter). Dans ce contexte, le refus méprisant du régime d’engager une réforme consensuelle du système électoral ne peut qu’aboutir à de nouvelles crises liées aux élections, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Sans parler de l’absence de légitimité de la classe dirigeante qui en découle.
Par ailleurs, le régime s’emploie à la manipulation instrumentalisation des sentiments ethniques ou tribaux pour opposer les Camerounais les uns aux autres diviser le pays, afin, espère-t-il, de se perpétuer au pouvoir.
Quelle solution préconisez-vous dans les différents problèmes qu’abrite le pays (conflit en zone anglophone, Boko Haram, corruption, répression étatique, limitation des libertés, démocratie…) ?
– Un cessez-le-feu immédiat et sans condition dans le cadre de la guerre dans le NoSo. La libération de tous les prisonniers politiques et l’ouverture d’un dialogue sincère et inclusif.
– La réforme consensuelle du système électoral avant l’organisation de toute nouvelle élection.
La lutte contre Boko Haram est un vrai sujet de préoccupation, parce qu’il touche à un enjeu majeur qui dépasse la sécurité au quotidien. Je peux vous dire que nous y avons beaucoup réfléchi, que nous avons des pistes pour juguler cette crise. Mais vous comprendrez que je ne puisse pas les exposer ici.
Les autres aspects de votre question relèvent du programme de gouvernement que nous mettrions en œuvre si nous étions en capacité de gouverner, dont vous trouverez les articulations détaillées dans notre programme de campagne pour l’élection présidentielle de 2018.
Pourquoi le pouvoir choisit-il la façon dure en ce moment ?
Sans doute pour masquer ses échecs, tant sur le plan économique et social que sur le plan de la construction démocratique. Mais, c’est à lui qu’il faudrait poser cette question.
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Qu’est-ce qui pourrait détendre l’atmosphère politique de manière à ouvrir une séquence de dialogue pour sortir de cette crise latente qui impacte négativement le pays ? Pensez-vous qu’une institution internationale ou régionale pourrait aider ?
Le Cameroun faisant partie du concert des nations, dès lors qu’il a montré qu’il est incapable de régler par lui-même des problèmes profonds qui ont dégénéré en crises de nature à affecter notre sous-région, voire la paix et la sécurité internationales, il est tout à fait normal et souhaitable que des institutions internationales telles que l’Union africaine, l’ONU, la francophonie et le Commonwealth apportent leur concours à la résolution de ces crises. Il y a longtemps que nous le disons.
Comment comprendre qu’avec la grave situation humanitaire que connaît mon pays depuis bientôt quatre ans, notamment du fait de la guerre civile dans le NoSo, les atrocités qui y sont commises, y compris les massacres d’enfants et des femmes enceintes, il n’y ait pas eu jusqu’à présent une commission d’enquête internationale sur ces crimes sans nom ? Comment comprendre qu’un rapporteur spécial sur la Cameroun n’ait pas été nommé jusqu’à présent par les instances compétentes des Nations unies alors que le pays connaît de graves violations des droits humains, y compris la torture, les traitements cruels, inhumains et dégradants, des disparitions forcées, des détentions extrajudiciaires, etc. ? Pourquoi le secrétaire général des Nations unies, M. Antonio Guterres, est-il si silencieux sur la situation du Cameroun, lui qui a une expérience connue des situations de détresse humanitaire ? Quelle suite la haute-commissaire aux Nations, Mme Michelle Bachelet, a-t-elle donnée à sa visite au Cameroun en 2018 ? Qu’est-il advenu de la mission tripartite Union africaine-Francophonie-
Nous avons le sentiment que le peuple camerounais est abandonné à son triste sort, au moment où il a le plus besoin que l’Afrique et plus largement la communauté internationale lui témoigne sa solidarité et l’aide à sortir d’une situation indigne de la civilisation humaine.
Si vous aviez aujourd’hui une feuille de route à proposer au gouvernement. Quelle serait-elle ?
Quelle feuille de route voulez-vous qu’on propose à un gouvernement autiste, arrogant et méprisant, qui passe son temps à vouloir nous imposer le culte païen d’un veau d’or, au lieu de regarder en face le désastre dans lequel il plonge le pays ?