Il a présidé l’Assemblée nationale du Gabon pendant 19 ans et a été l’un des plus fidèles soutiens de la famille Bongo. Mais le 31 mars dernier, avec neuf autres députés, Guy Nzouba Ndama a démissionné avec fracas du parti au pouvoir. Aujourd’hui, il est candidat contre le sortant Ali Bongo à la présidentielle du mois d’août prochain. Pourquoi ce divorce ? L’ancien numéro trois du Gabon se confie au micro de RFI.
RFI : Guy Nzouba Ndama, vous dites que le Gabon est pris dans un «syndrome de Lubitz», du nom de ce jeune pilote allemand qui s’est suicidé il y a un an avec 149 passagers à bord de son avion. Vous n’y allez pas un peu fort ?
Guy Nzouba Ndama : Non ! Pas du tout ! Je ne vais pas trop fort parce que le président… Je suis ahuri par son excès d’optimisme ! Il n’est pas conscient que le pays va à vau-l’eau ! Que le pays est en cessation de paiement ! C’est suicidaire ! Il n’y a que lui et son petit groupe d’amis qui croient encore à quelque chose !
Alors dans ce petit groupe d’amis que vous dénoncez dans votre annonce de candidature, qui visez-vous en particulier ?
Mais je vise tous ses collaborateurs qui disent partout que le pays se porte bien, alors que le pays est bloqué ! Regardez toutes ces grèves dans tous les secteurs… Les administrations ne fonctionnent pas ! Les écoles ne fonctionnent pas !
Et quand l’opposant Jean Ping parle des conseillers à la présidence qui sont d’origine étrangère en dénonçant «un groupe d’apatrides mafieux», vous êtes d’accord avec lui ?
Chacun de nous a sa façon d’utiliser ses termes. Il n’y a pas que ces apatrides auxquels il fait allusion. Il y a des Gabonais qui participent à ce massacre collectif. Des Gabonais de souche, je dirais.
Guy Nzouba Ndama, en 2009 vous avez joué un rôle décisif dans le choix du parti au pouvoir PDG en faveur du candidat Ali Bongo contre le candidat André Mba Obame. Est-ce que vous le regrettez aujourd’hui ?
Si je ne le regrettais pas, je ne l’aurais pas quitté aujourd’hui.
Alors pourquoi avez-vous fait ce choix à l’époque ?
A l’époque, après avoir discuté avec monsieur Ali Bongo, j’avais été séduit par son discours. Je considérais qu’étant jeune – il avait à peine cinquante ans – il pouvait combler les déficits constatés durant la gestion de son père.
Et sept ans plus tard ?
Sept ans plus tard, eh bien c’est le désenchantement parce que tout ce que nous avions promis à l’époque : les routes bitumées qui reliraient toutes les capitales provinciales du Gabon, les dispensaires qui seraient équipés en médicaments… Aujourd’hui il n’y a pas un seul dispensaire qui reçoive des médicaments de l’État, l’école est complètement dévaluée parce que les enseignants sont constamment en grève.
Oui, mais vous avez attendu sept ans pour changer d’avis. Est-ce que vous n’êtes pas un opposant de la dernière heure ? Est-ce que vous ne manquez pas de crédibilité ?
Non, pas du tout. Je ne suis pas opposant de la dernière heure. J’ai commencé par des mises en garde et le président Ali Bongo lui-même le sait, avec d’autres nous ne manquions pas une occasion au cours de l’audience privée, de lui faire part qu’il fallait tout faire pour revenir à une gestion beaucoup plus orthodoxe de l’Etat.
Guy Nzouba Ndama, au lendemain de votre démission le 1er avril, neuf autres députés PDG ont démissionné. Est-ce qu’ils sont derrière vous aujourd’hui ?
Ces députés oui, puisque le jour de ma déclaration de candidature ils étaient tous là au grand complet.
Et est-ce que vous allez former un parti avec eux ?
Non, non, non… Je vais en candidat indépendant. Je m’adresse directement aux Gabonais.
En août prochain il n’y aura qu’un seul tour et il y a déjà beaucoup de candidats. Outre Ali Bongo, on parle évidemment de Jean Ping, de Casimir Oyé Mba, de Zacharie Myboto, de Raymond Ndong Sima, de Pierre Claver Maganga Moussavou, de Jean de Dieu Moukagni Iwangou et de vous-même, bien entendu, est-ce que vos divisions ne vont pas faire le jeu du sortant ?
Je ne pense pas qu’il y aura tout ce beau monde. Les divisions ne peuvent pas servir parce qu’aujourd’hui si le candidat Ali Bongo Ondimba gagne, ça ne peut être que par une fraude généralisée. Mais nous savons ce qui se trame et nous prendrons toutes les dispositions pour l’empêcher de tricher.
Est-ce qu’il a gagné à la régulière ou par la fraude en août 2009 ?
Alors ça, c’est peut-être une colle que vous me posez. J’étais avec Ali, j’ai toujours dit que le soir du 31 nous étions restés jusqu’à 2 heures et demie, trois heures du matin. Et quand nous nous séparions à 3 heures du matin, les chiffres que nous avions en notre possession donnaient au candidat Ali 41 % des voix. Si maintenant nos correspondants à l’intérieur nous ont donné des faux chiffres qui nous ont permis d’arriver à ces 41 %, dans ces conditions, on dira qu’ils ont triché. Mais à mon humble avis, la victoire de 2009 n’était pas une victoire volée.
Il y a une polémique sur l’acte de naissance d’Ali Bongo. Ses détracteurs l’accusent d’avoir menti sur ses origines. Qu’est-ce que vous en pensez ?
J’estime que le président Ali Bongo Ondimba lui-même ayant reconnu que l’acte de naissance qu’il a présenté en 2009 était un faux, en sa qualité de premier magistrat du Gabon, il aurait dû tirer les conséquences qui s’imposaient.
C’est-à-dire ?
Eh bien c’est comprendre qu’on a trompé son peuple et à ce moment-là on dit : Monsieur, j’ai été indigne. Il a prêté serment sur la Constitution !
Mais selon vous, Ali Bongo est-il le fils d’Omar Bongo ou pas ?
Ah ! Ecoutez… Je ne vais pas entrer dans les problèmes de famille. Quand j’entrais au gouvernement, quand j’ai commencé à travailler en 1975, j’ai vu le jeune Ali aux côtés de son père. J’ai vu des photos, je ne peux pas savoir s’il est le fils biologique ou le fils adoptif. Franchement, c’est un débat qui ne m’intéresse pas.
Par Christophe Boisbouvier – RFI