Dès son lancement en 2006, la campagne de lutte contre les détournements de fonds publics dans mon pays le Cameroun, baptisée par la presse locale « Opération Epervier », a suscité d’énormes espoirs.
L’on a cru alors que le soleil se levait sur le ciel de la gouvernance dans un Cameroun qui a plusieurs fois figuré dans le peloton de tête des pays les plus corrompus au monde, selon Transparency International. L’on a cru que hantés par le risque de se retrouver dans les geôles de la prison de Kondengui (Yaoundé) ou de celle de New Bell (Douala), les gouvernants camerounais prendraient conscience de l’avantage qu’il y a à entretenir des relations plus saines avec les deniers publics. Que nenni ! Sans accorder la moindre prime aux atteintes à la fortune publique, l’on est tout de même tenté de souligner qu’au regard des nombreuses violations des droits humains et du principe de la séparation des pouvoirs ainsi que de l’amateurisme qui caractérise la conduite de cette opération dite mains propres, il convient simplement d’y mettre fin. Ceci pour plusieurs raisons qui ôtent
toute crédibilité et toute sincérité à cette campagne :
– L’ordre d’interpeller telle personnalité ou telle autre vient, dans la plupart des cas, de la présidence de la République (Le cas de l’affaire Me Lydienne Eyoum dans laquelle est impliquée l’ex-ministre de L’Economie, Polycarpe Abah Abah)
– Les personnalités arrêtées à leur domicile devant femmes et enfants sont souvent escortées comme de vulgaires bandits par des unités spéciales de la police armées jusqu’aux dents et humiliées devant les caméras de télévision.
– Les rapports du Contrôle supérieur de l’État (Consupe), qui servent de prétexte à la mise aux arrêts de certains ministres et autres DG de sociétés publiques et parapubliques, sont souvent bâclés et cousus de fil blanc, les chiffres qui y figurent sont grossis avant de fondre comme neige sous soleil à l’issue de l’instruction judiciaire. (Dans son édition N° 525 du 1er avril 2013, le bi-hebdomadaire L’Œil du Sahel s’est fait l’écho des révélations d’un cadre du Consupe selon lesquelles après avoir passé 6 mois à la direction générale de la Société du développement du coton (Sodecoton), alors dirigé par Iya Mohammed, les inspecteurs d’État continuaient, en août 2012, de recueillir par téléphone depuis Yaoundé, des informations sur l’huile de coton. Dans l’affaire de l’ex-ministre de la Santé, Urbain Olanguena Awono, le Consupe avait brandi un détournement de fonds d’environ 14 milliards de F Cfa, mais après l’instruction judiciaire, l’on était plus qu’à plus de 300 millions de F Cfa
– L’autorité de la chose jugée est foulée au pied (Olanguena Awono a été condamné à 15 ans de prison pour des faits qui ont pourtant été annulé par la Cour suprême, la plus haute juridiction du Cameroun
– L’opération Épervier prive le Cameroun de certains de ses meilleurs cadres d’administration (sous la conduite d’Iya Mohammed, le chiffre d’affaire de la SODECOTON est passé de 4, 5 milliards de F Cfa dans les années 1980 à près de 100 milliards en 2013. De plus, la SODECOTON est l’une des rares sociétés à n’avoir pas subi comme d’autres les effets des privatisations et autres liquidations. Autre exemple, Zaccheus Forjindam. Depuis l’incarcération de cet unique ingénieur en construction navale que compte le Cameroun et ancien Dg du Chantier Naval et industriel du Cameroun, cette société va à vau-l’eau)
– Les dossiers d’accusation sont souvent inconsistants quand ils ne sont pas simplement vides (L’ex-Ministre de l’Administration Territoriale, Marafa Hamidou Yaya n’a-t-il pas été condamné que pour coaction « intellectuelle » de détournements de fonds publics ? Autrement dit, que c’est son amitié avec l’homme d’affaires Yves Michel Fotso, accusé d’avoir monté des sociétés-écrans pour dilapider l’argent destiné à l’achat de l’avion présidentiel, qui a fini par le perdre)
– Des proches parents du président camerounais sont exempts de poursuites judiciaires même lorsque leurs implications dans des dossiers de l’opération Épervier sont avérées (C’est le cas de Michel Meva’a M’Eboutou, oncle de Paul Biya, dans l’affaire de l’avion présidentiel sus-citée
– Les prisonniers de l’Opération Épervier sont détenus ou incarcérés dans de mauvaises conditions, leurs cellules n’étant VIP que de nom
Fort de ce qui précède et en guise de conclusion, il ya 4 possibilités : soit les victimes de l’Opération Epervier sont coupables alors c’est la justice camerounaise qui est incapable de démontrer leur culpabilité, soit elles sont victimes d’acharnement politico-judiciaire, soit elles sont de parfaites innocentes, soit les vrais prédateurs et vautours de la fortune publique au Cameroun ne sont pas forcément ceux qui croupissent dans nos univers carcéraux.
A bon entendeur !