Médiatrice sociale et communicatrice, secrétaire général de la Fondation Moumié à Genève, Rebecca Ticckle, de nationalité suisse revient sur les conditions de détention aussi bien dans les prisons du Cameroun et d’Afrique que dans le monde. D’après cette passionnée des questions de droits de l’homme, les « petits prisonniers » devraient eux aussi être considérés comme des prisonniers politiques.
Une pensée très spéciale à l’endroit de tous les prisonniers qui croupissent dans les prisons camerounaises et autres lieux d’incarcération dans le pays, quel que soit leur délit. Dans ces lieux de privation de liberté, les droits humains élémentaires, tant en termes de conditions de détention qu’en termes de tortures physiques et psychologiques, n’existent pas. Les détenus sont systématiquement affamés par des lois de la jungle désordonnés, leur état de santé dégringole de par des conditions sanitaires inexistantes et leur couverture juridique est généralement nulle.
Le personnel pénitentiaire est corrompu, mal ou pas formé, et n’est contrôlé par aucune instance s’intéressant à la dignité humaine d’une population carcérale profondément précarisée et beaucoup trop importante par rapport aux infrastructures à disposition. Les lieux de détention dans les commissariats, ainsi que le personnel policier y afférent, échappent encore davantage à tout contrôle, et les traitements dégradants, la torture et le rackett y sont la règle.
Les prisonniers politiques, souvent des célébrités, sont globalement privilégiés par le vacarme médiatique qui attire l’attention sur leur sort et sur la nature arbitraire et purement politique de leur privation de liberté. Un détenu coupable d’avoir volé une chèvre, qui croupit, rachitique et atteint dans sa santé mentale car traumatisé par déjà trois ans de détention sans avocat dans des conditions épouvantables, n’est pas considéré comme un prisonnier politique.
Il est pourtant victime du crime d’État que subissent tous les miséreux dans les prisons camerounaises, dépouillés de leur droit à la vie par un système judiciaire pourri par un profond dysfonctionnement, par la corruption et un chantage omniprésent, se traduisant par un rackett institutionalisé de la part du plus petit au plus haut fonctionnaire de la hiérarchie. Quel que soit la gravité du délit commis, le traitement des prisonniers est en totale inadéquation avec le droit international en la matière. Le système carcéral camerounais est à lui tout seul un crime contre l’humanité, quelque soit le motif ou le prétexte d’incarcération.
Le cas du Cameroun n’est pas une exception, ni en Afrique ni ailleurs.
En Afrique, je pense plus particulièrement aux prisonniers sur sol tchadien, qui vivent aujourd’hui encore, 25 ans après la chute d’Hissene Habré, dans des conditions inimaginables pour certains, à l’instar de la sinistre prison d’Am-Sinéné, un véritable mouroir dans une banlieue de N’djamena. Les décès pour cause de surpopulation y sont habituels, dans des conditions où jusqu’à 70 personnes peuvent être détenues dans une cellule de 4 mètres sur 5, à près de 50°C à l’ombre. D’autres prisons-goulag sont indexées au Tchad (Moussoro, Abeche, etc.), connues pour les pires sévices, viols sur les femmes, maintien permanent dans des chaînes et homicides de la part des gardiens. Les femmes et les adolescents sont particulièrement exposés aux abus en raison de leur cohabitation habituelle avec les autres catégories de détenus.
Ailleurs qu’en Afrique, le camp américain de Guantanamo, à l’extrémité orientale de l’île de Cuba, en compagnie des tortures très sophistiquées de la CIA révélées récemment par un rapport sur les « graves dérapages » post-11 septembre de l’ère Bush junior, restera une grosse épine dans le pied des États-Unis, « gendarmes du monde ». Les gravissimes sévices psychologiques et physiques exercés sur ces prisonniers, reconnaissables de loin à leur combinaisons oranges et marchant menottés et souvent enchaînés, ont été soutenus par une idéologie méthodiquement islamophobe, cultivée par l’administration Bush afin de justifier l’arrestation et la torture de personnes pendant plusieurs années dans la prison hors-la-loi de Guantanamo, avec souvent le poids d’un simple soupçon de terrorisme pesant sur eux.
Plus grave encore, l’existence d’un réseau mondial américain de centres de détention, appelés « black sites », géré par la CIA toujours, avait été révélé par le Washington Post en novembre 2005, le but étant d’échapper à la législation américaine en matière de droits humains. Impunité totale, profonde impuissance, parfaite inutilité socio-politique et culture du fait accompli sont ce qui restera dans l’histoire de l’Humanité de l’épisode Guantanamo, qui n’est même pas encore terminé.Sous d’autres cieux, certains se rappelleront du film « Midnight Express » de 1978 qui a choqué le monde par la violence extrême régnant dans une prison turque de la périphérie d’Istanbul, vécue par un jeune Américain en 1970. Ce ne sont pas que des vieilles histoires qui n’existent plus.
De nombreux rapports révèlent aussi la brutalité omniprésente dans des prisons renommées, connues pour les traitements innommables subis par des prisonniers oubliés du monde, parfois pendant des décennies. Le camp 1391 en Israël est l’une d’elles, à moins d’une heure de Tel Aviv. Cet ancien fort, surnommé le « Guantanamo israélien », resté inconnu du public jusqu’en 2003, a été une prison secrète de l’armée israélienne et servait de lieu d’interrogatoire et d’incarcération pour des prisonniers à « haut risque ». Ces activités n’y seraient plus pratiquées depuis 2006 selon le gouvernement, mais la Cour suprême d’Israël refuse de délivrer les autorisations nécessaires pour des investigations sur les abus commis.
En Russie, la prison centrale de Vladimir à 180 km à l’est de Moscou existe depuis le 18ème siècle et abrite aujourd’hui des criminels considérés comme dangereux. Le régime strict infligé dès le début du 20ème siècle aux espions, terroristes, anarchistes, nationalistes et autres membres d’organisations anti-soviétiques soupçonnés pour leurs relations avec l’activisme de l’ennemi, ainsi que d’un lieu de transit pour les condamnés au goulag de Sibérie lors des purges staliniennes, en a fait le prototype de la prison politique en Russie. Aujourd’hui, cette prison, connue pour le traitement sadique de nombreux gardiens, est considérée comme l’une des plus dure de Russie. Tortures, humiliations, viols, rackett, passage à tabac systématiques et souvent « préventifs » font partie d’un quotidien habituel.
Tout cela pour dire que New-Bell et Kondengui au Cameroun ou Am-Sinéné au Tchad sont très loin d’avoir le monopole de l’horreur carcérale dans ce bas monde. Tous ces exemples sont des zones de non-droit par excellence, où les activités hors-la-loi sont développées au quotidien auprès d’une population sans aucune défense, livrée à l’impunité la plus totale.
Des conditions qui sont parfaitement connues de tous les nationaux et dont l’énormité Intolérable est devenue la norme, particulièrement sous les régimes autocrates qui utilisent la menace d’emprisonnement arbitraire comme moyens de pression pour contrôler les soulèvements populaires.
Le dénominateur commun de tous ces lieux de détention où la raison du plus fort reste la meilleure jusqu’à la fin et surtout où tout est permis, est que les pensionnaires tombent dans l’oubli sociétal total dès leur entrée. En effet ces établissements sont considérés par les proches en premier lieu comme des camps où le simple mortel ne sortira qu’après une mort physique ou mentale certaine. Ils sont pourtant des citoyens du monde. Le fer de lance de l’abus démesuré de certains systèmes de gouvernance profondément abusif à l’égard d’une portion parfois non négligeable d’une population donnée.
Le dénominateur commun de tous ces lieux de détention où la raison du plus fort reste la meilleure jusqu’à la fin et surtout où tout est permis, est que les pensionnaires tombent dans l’oubli sociétal total dès leur entrée. En effet ces établissements sont considérés par les proches en premier lieu comme des camps où le simple mortel ne sortira qu’après une mort physique ou mentale certaine. Ils sont pourtant des citoyens du monde. Le fer de lance de l’abus démesuré de certains systèmes de gouvernance profondément abusif à l’égard d’une portion parfois non négligeable d’une population donnée.
Ils sont nos concitoyens du monde. Soyons juste conscient, afin de pouvoir éventuellement réagir d’une manière ou d’une autre, à une seule vitesse, chaque fois que des abus sont commis contre une personne, plus particulièrement suite à des soupçons seuls, lors d’un manque de preuves, lors d’une absence de possibilité de soutien juridique et tout autre traitement dégradant infligé à un concitoyen du monde.Surtout, aucun sévice ne saurait justifier d’autres sévices. L’impuissance infligée à une personne par la force est le meilleur moyen de nier son existence. Si nous en sommes un jour témoin de nos propres yeux, soyons sûrs que notre tour est au coin de la rue.
« Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes. » (Concept de l’ubuntu)
Par Rebecca Ticckle, Médiatrice sociale et communicatrice, secrétaire général de la Fondation Moumié à Genève
Source : Huinews.com