Les ravages du terrorisme jihadiste sur l’économie des États africains équivalent à ceux provoqués par le virus Ebola.
François Mazet : Le tout nouveau gouvernement burkinabè n’a même pas eu le temps de se mettre au travail, que, déjà, le terrorisme frappe, et frappe fort. Et ce seraient encore les jihadistes. Cela devait arriver un jour, disent certains observateurs. Ont-ils tort ?
Jean-Baptiste Placca : Non. Mais la vraie question est : pourquoi maintenant ? A l’évidence, il y a des gens qui ne veulent pas que ce pays jouisse des fruits de son renouveau démocratique. Les dirigeants élus du Burkina doivent comprendre qu’ils sont définitivement en guerre, hélas ! Nul ne sait qui se cache derrière ces jihadistes, parce que, d’un point de vue géopolitique, le Burkina n’est pas vraiment un théâtre pour leurs activités. Ceux qui ont séjourné ces derniers temps à Ouagadougou ont pu s’entendre dire, à l’occasion, qu’ils avaient choisi un hôtel de jihadistes. Le Burkina est un de ces pays où tout le monde se connaît. Ceux qui viennent d’ailleurs et dont les projets ne sont pas clairs, sont donc facilement identifiables.
Le Burkina n’est pas, à proprement parler, une terre d’islam ou, en tout cas, pas seulement une terre d’islam. De tous les pays du Sahel, il est sans doute celui qui compte le plus de chrétiens. D’ailleurs, un des tout premiers cardinaux africains est le Cardinal Zoungrana, un Voltaïque, comme on disait alors. Et, depuis l’indépendance, le pays s’est régulièrement choisi des présidents chrétiens, comme Maurice Yaméogo, au tout début ; comme Blaise Compaoré, jusqu’à il y a peu ; et comme Roch Marc Christian Kaboré, depuis peu. C’est dire que ce pays est de ceux que les jihadistes ont le moins de chance de convertir ou de réduire à l’islam. Que cherchent-ils ? Que veulent-ils ? Puisqu’ils savent que leur entreprise, leur petit commerce offre peu de chance de succès sur cette terre-là ?
Alors, que cherchent-ils ? Que veulent-ils ?
Il faut admettre que les jihadistes du Nord-Mali se sont très longtemps sentis à l’aise au Burkina, parce que le président Compaoré était médiateur dans la crise malienne et a, d’une certaine manière, beaucoup mis à l’aise ses hôtes, qui devaient être plus détendus à Ouaga, qu’ils ne l’étaient dans les régions de leur pays qu’ils mettaient à feu et à sang. Après la chute de Compaoré, ils ont dû se sentir un peu orphelins, et le gouvernement de transition ne s’est pas beaucoup préoccupé de ce qu’ils devenaient, encore moins de ce qu’ils pouvaient tramer. Intervenant juste au moment où le pays vient de renouer avec l’ordre constitutionnel, cette attaque avec prise d’otages et tant de morts est forcément un message à l’intention des dirigeants qui ont désormais en main le destin du Burkina.
Mais quel message ? Car ce qu’ils viennent de faire vaut déclaration de guerre…
Voilà pourquoi cette attaque sonne comme un cri de désespoir. Peut-être espéraient-ils rendre le pays ingouvernable, ou, en tout cas, y semer un désordre et une panique qui leur permettent de continuer à y exister, pour les petits trafics qu’ils aiment tant. Mais ils n’ont aucune chance. Parce que le peuple burkinabè a fait la preuve qu’il sait régler ses problèmes, en se levant contre tout ce qui vise à contrarier sa liberté. Si les dirigeants nouvellement élus gouvernent avec et pour leur peuple, cette tumeur maligne sera, assez vite, extirpée du corps du Burkina. Hélas, pour cela, il va peut-être leur falloir être durs et sans pitié.
Mais cette attaque en plein centre de Ouagadougou est aussi un message pour les autres Etats d’Afrique de l’Ouest et du Centre…
Absolument ! Parce que beaucoup pensent que le mal, ce mal-là, ne concerne que le Nigeria, le Tchad, le Cameroun, le Niger, le Mali et, peut-être, la Mauritanie. Tous les autres États savent, à présent, que ce terrorisme est, désormais, aux portes de leurs capitales, et peut-être même, déjà à l’intérieur de leur pays. Et certains ne s’imaginent pas encore les dégâts que provoque sur une économie nationale, ce péril jihadiste. Parce que, quoi que l’on dise, de telles attaques ont un effet dissuasif, du point de vue des investisseurs. Combien d’entreprises internationales réduisent dramatiquement leurs activités dans un pays, à partir d’un événement comme celui que vient de vivre, la nuit dernière, la capitale du Burkina ? Entre les hôtels qui se vident, les commerçants qui vont chercher ailleurs leur bonheur et d’autres petites méfiances, les jihadistes peuvent, au bout du compte, être aussi nocifs que le virus Ebola. Et comme pour le fameux virus, tout espoir de le vaincre, seul, est totalement vain.