Par Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur du CL2P
Le dernier forum de la diaspora camerounaise a été une grande opportunité pour reconstruire et faire circuler une nouvelle pensée politique introduisant à la fois une autre tradition de respect du pluralisme des opinions et une conception peu familière au Cameroun de la démocratie d’égal à égal. En outre ce fut une excellente occasion de faire un travail de fond sur l’idéal démocratique, en dehors du monopole généralement exercé par le régime de Paul Biya sur le discours et la sphère publique au Cameroun. L’initiative de la diaspora participe de la construction d’institutions fortes dont notre pays a si désespérément besoin, plutôt que la perpétuation de l’homme fort qu’on nous vante à longueur de journée et dont la politique bâtie sur une illusion de consensus autour d’une pensée unique nous a mené à l’impasse actuelle.
Cette nouvelle éthique démocratique exige la mobilisation de toute l’intelligence collective camerounaise sans laquelle il n’y aura aucune sorte de stabilité sociale et de justice dans le pays. C’est pourquoi la démagogie opportuniste visant à faire honte aux démocrates engagés de la diaspora est contre-productive et sert uniquement l’intérêt du régime de Yaoundé et son statu quo, surtout lorsqu’elle vient de pseudo-revolutionnaires satellisés qui se veulent ou se disent nationalistes dans leurs théories identitaires au relent raciste et xénophobe. En effet le CL2P note çà et là un véritable procès antipatriotique contre ce forum au motif que des partisans sécessionnistes anglophones (minoritaires) ont pu y participer et s’y exprimer librement, ce qui aurait pourtant pu constituer un principe démocratique non négociable pour tous les progressistes. Que non!
Il se trouve en effet des personnes qui, au nom d’un patriotisme sectaire et réactionnaire, y voient opportunément l’occasion d’attiser le feu de l’antipatriotisme et d’exploiter encore ces peurs dans lesquelles baignent au quotidien une partie de nos compatriotes, et dont ils en sont tétanisés à l’idée qu’elles puissent ainsi se répandre hors des frontières par des mêmes incitations à la haine entre Camerounais. C’est précisément en cela que le respect du pluralisme des opinions (de toutes les opinions) lors du forum qui s’est tenu à Paris du 13 au 15 octobre mérite d’être salué et apprécié à sa juste mesure. Car l’objectif consistant à renouer le fils du dialogue avec et entre tous les Camerounais a largement été atteint.
Joël Didier Engo qui a participé à une plénière puis à un atelier du forum a particulièrement apprécié que toutes les opinions aient pu s’y exprimer dans le respect mutuel, sans éclats de voix, convergeant toutes vers l’urgence d’un dialogue national et d’un changement de régime. Jamais il n’a été question de partition du Cameroun, y compris de la part des extrémistes anglophones venus d’abord s’enquérir du sort des populations de leurs régions respectives soumises à une répression sauvage, sanglante, et aveugle.
Le communiqué final en français et en anglais reproduit assez fidèlement l’esprit des débats.
Évitons donc les procès pour antipatriotisme contre ceux d’entre-nous qui ont eu courage de réfléchir ensemble à Paris sur notre avenir commun, au moment où d’autres étaient aux abonnés absents, préférant parfois les beuveries collectives à l’Ambassade du Cameroun autour d’associations tribales et villageoises.
Les Camerounais de bonne foi doivent désormais reconnaître que les gens qui tentent de délégitimer le travail démocratique et de verrouiller le débat avec la question de l’antipatriotisme s’attaquent en réalité à leur propre culpabilité collective face à la situation catastrophique de notre pays.
Le philosophe italien Giorgio Agamben suggère à ce sujet que l’innocence subjective appartient à un âge révolu, l’âge du héros tragique. Œdipe, par exemple, est quelqu’un dont la culpabilité objective (parricide, inceste) est assortie de l’innocence subjective de l’homme qui agit avant de savoir. Mais aujourd’hui, dit Agamben, nous sommes dans une situation opposée: les hommes camerounais de nos jours, ceux qui profitent activement du régime, sont objectivement innocents (car ils n’ont pas, comme Œdipe, assassinés de leurs propres mains), mais subjectivement coupables (parce qu’ils sont conscients qu’en ne confrontant pas le régime de Biya, ils sont de facto ses complices volontaires, ce d’autant que les conséquences de leurs mensonges se payent pratiquement dans le sang).
C’est pourquoi la notion même de culpabilité entrave la capacité d’action et verse généralement dans la répétition du passé ad infinitum à travers le stigmate de l’antipatriotisme qui est en fait une forme d’auto-condamnation, laissant entendre en filigrane que rien de nouveau n’est ou ne serait possible (en dehors ou sans le régime en place). C’est la perpétuation d’une forme de culpabilité qui fait partie du problème et pas de la solution, et qui ne nous inspire bien évidemment pas à agir. Pire elle nous empêche d’agir, ce qui explique cette forme de ressentiment contre les gens ordinaires qui essayent de mettre sur pied un ethos démocratique productif à l’étranger ou qui mènent au Cameroun un mouvement de désobéissance civile.
Le CL2P est immunisé contre cette forme d’anxiété car notre organisation est animée par une tradition prophétique qui est indissociable d’un travail de démocratie et de justice sociale.
Olivier Tchouaffe, PhD, Contributeur du CL2P
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Forum de la diaspora camerounaise: impressions de Joel Didier Engo
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English version
Paris: Sketches of a democratic ethos and the Issue of guilt
By Olivier Tchouaffe, PhD, Contributor to the CL2P
The latest forum of the Cameroonian diaspora was a great opportunity to reconstruct and circulate new political thinking inventing a new tradition of respect of the pluralism of the opinions building a new democracy of equal. Moreover, a great opportunity to practice democratic work and ideal, outside of the Biya’s regime monopoly on speech and the public sphere. The diaspora’s initiative participate in the building of strong institutions our country desperately need rather than the strong man we have and his regime’s politics of the illusory consensus.
This new democratic ethos requires the mobilization of all Cameroonian’s collective intelligence without which they won’t be any kind o social stability and justice in the country. This is why opportunistic self- serving demagoguery aimed at shaming democratic workers is counterproductive and serves the interest of the Yaoundé’s regime and the status quo. Hence, the CL2P notes here and there a real antipatriotic trial against this forum on the grounds that Anglophone (minority) secessionist supporters were able to take part and express themselves freely which constitute non-negotiable democratic principle.
Ladies and gentlemen, people stoking the fire of antipatriotism are exploiting fear to take advantage of folks living in a state of scare and intimidation and are so paralyzed they can no longer calculate risks and incentives. They do not simply understand matters of respecting the pluralism of opinions in a forum held from 13 to 15 October in a democratic country, with the aim of renewing dialogue with all Cameroonians.
Joël Didier Engo was able to participate in a plenary session and then in a workshop and he particularly appreciated that all opinions could be expressed in mutual respect, all converging on the urgency of a national dialogue and the change of regime. There has never been any question of the partition of Cameroon, including on the part of English-speaking extremists who came first to inquire into the fate of the populations of their respective regions subjected to savage, bloody, and blind repression.
The final communiqué will better inform you.
Let us avoid qualifying all those of us who have had the courage to reflect together on a common future, as antipatriotic, at the moment when others have been absent subscribers, sometimes preferring the collective drunkenness to the Embassy of Cameroon around tribal associations.
Indeed, Cameroonians of good faith must by now recognize that people trying to delegitimize democratic work and lock up the debate with the issue of anti-patriotism are really addressing the nature of their own collective guilt in the face of the catastrophic situation our country is facing. The Italian philosopher Giorgio Agamben suggests that subjective innocence belongs to a bygone age, the age of the tragic hero. Oedipus, for example, is someone whose objective guilt (parricide, incest) is matched by the subjective innocence of the man who acts before he knows. Today, however, says Agamben, we find the opposing situation: Cameroonian men today besides, those actively profiting from the regime are objectively innocent (for they have not, like Oedipus, murdered with their own hands), but subjectively guilty (because they are aware that by not confronting the Biya’s regime, they are de facto the regime’s willing accomplice and their false of comforts and securities are actually been paid in blood by that regime).
For this reason, the notion of guilt impede the capacity or action and the power of agency through repetition of the past ad infinitum through the stigma of anti-patriotism which is in fact a form of self-condemnation that nothing new is possible. Therefore the perpetuation of a guilt that is part of the problem not the solution and of course, a form of guilt that does not inspire us to act, but prevents us from acting which explain this form of resentment against ordinary people trying to achieve a productive democratic ethos. The CL2P is immune to this form of anxiety because the CL2P is driven by a prophetic tradition which is in dissociable from a real work of democracy and social justice.
Olivier Tchouaffe, PhD, Contributor to the CL2P