Paul Biya et la Suisse: Je vis comme le blanc. Définir la «bonne vie» en autocratie
La relation aliénée de Paul Biya avec la Suisse a soulevé de nombreuses questions relatives à la vacance du pouvoir, à la dilapidation des deniers publics d’un pays pauvre et lourdement endetté. Une autre façon de voir les choses sera de définir les notions de bonne vie dans les satrapies néocoloniales.
Des penseurs tels que Achille Mbembe ont écrit sur l’économie libidinale et la convivialité sauvage qui sont la norme dans les plantations biopolitiques néocoloniales se faisant passer pour des États-nations modernes. Cela participe en effet à la définition de ce qui constitue la bonne vie dans ces espaces.
Frantz Fanon dans Peau Noire, Masque Blanc, décrit la notion d ‘ « évolué », qui est le colonisé et l’ancien colonisé dépouillé de toute forme d’authenticité par l’esclavage puis par la colonisation pour devenir véritablement un « Évolué », un Français Blanc. Fanon va notamment faire valoir que la copie ne peut jamais devenir l’original, puis décrire de manière subtile et non subtile comment l’ancien colonisé ne deviendra jamais blanc, c’est quasi impossible. Une impossibilité motivée par l’ignorance dans laquelle se drapent les satrapes qui se croient civilisés et donc blancs, alors même qu’ils ne sont jamais reconnus comme tels (notamment par leurs maîtres blancs). Une tragédie captée par le meilleur ami de Paul Biya, l’écrivain Ferdinand Oyono, dans son livre le Vieux Negre et la Médaille face à l’héritage et l’impact de la violence coloniale psychologique sur l’évolué africain. Le fait que Paul Biya n’ait rien appris voire compris de l’œuvre littéraire de son meilleur ami témoigne de la profondeur d’emprise de l’idéologie coloniale, l’internalisation du regard colonial, des stéréotypes et des attentes.
Dans cette dialectique, en quoi la Suisse est particulièrement en résonance avec les satrapes locaux, au point de devenir le symbole de l’envie de classe?
Ce qui est plus intéressant ici, c’est la survie de l’archétype des «évolués» pour lesquels l’herbe est toujours plus verte en Occident, et où l’envie de classe est liée à la névrose de l’envie raciale décrite par Frantz Fanon.
Une névrose qui crée la confusion entre la sphère privée et la sphère publique, et ce que certains idéologues ethno-fascistes du régime Biya appellent une « diarchie institutionnalisée», où la sphère privée et publique contaminée par la convivialité empêche toute possibilité d’action humaine et de liberté.
Dans ce contexte, les Camerounais ordinaires qui n’ont pas les ressources nécessaires pour accéder à la vie politique et être ainsi reconnus en tant que citoyen compètent sont simplement rejetés ou corrompus avec du pain et des sardines, de cela a émergé le nom péjoratif «Sardinards» pour désigner les obligés du régime Biya. C’est le syndrome d’un pays qui s’enfonce dans la boue de la corruption, dans la paralysie politique, dans la brutalité et le fléau de la violence. Ici le jeu politique est intrinsèquement brutal, intrinsèquement cruel, intrinsèquement autodestructeur pour la cohésion sociale et, en fin de compte, les institutions politiques même sur lesquelles le régime de Yaoundé fonde son semblant de légitimité pour imposer sa domination (légale) sur les Camerounais.
Dans cet environnement de précarité généralisée, d’extrême vulnérabilité et de violence, seuls ceux qui ont développé un « biais de proximité » et un contrat social avec l’ancien colonisateur par le canal de la « Françafrique » sont autorisés à accéder aux ressources et à participer à la vie politique. Cette imposition culturelle et politique explique pourquoi des personnes comme Paul Biya continuent de reproduire de manière consciente ou inconsciente des comportements racistes intériorisés sous la colonisation, et qui reflètent l’hégémonie néocoloniale toujours en cours, du pouvoir des occidentaux et les valeurs européennes attachées au néolibéralisme triomphant. Plus dommageable encore, persiste l’incapacité à produire quelque chose de nouveau.
Le vrai problème devient ainsi l’oppression intériorisée et comment l’accession à une bonne vie bourgeoise dépend de l’héritage coloniale et de l’exploitation de classe, de la vulgate de la supposée supériorité de la « race » blanche (celle de l’Homme blanc) et du maintien du statu quo colonial-dictatorial.
En pratique, on ne peut pas mener une bonne vie dans un monde aussi inégalitaire. Mener une bonne vie, c’est mener une bonne vie avec les autres, ce qui se traduit par une attitude de résistance éthique que le CL2P s’est engagé à mener. Une éthique de résistance, qui exige d’imaginer de nouvelles façons de vivre ensemble, de manière décomplexée et apaisée dans notre relation avec les anciens maîtres.
Voilà, comment nous pouvons aspirer à vivre autrement de façon productive dans ce monde intégré.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques – CL2P
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English version
Paul Biya and Switzerland: I Live like a White Man: Defining the Good Life in Autocracy
Paul Biya’s alienated relationship with Switzerland has raised many issues relating to the vacancy of power, the dilapidation of a poor and heavily indebted country. Another way to look at it will be how notions of the good life is defined in neocolonial satrapies.
Thinkers such as Achille Mbembe have written about the libidinal economy and the savage conviviality which are the norms in neocolonial biopolitical plantations masquerading as modern nation-state. This participates in the definition of what constitutes the good life in those spaces.
Frantz Fanon in White Skin, White Mask, describes the notion of the “evolues,” which is the colonized and former colonized stripped of all forms of authenticity by slavery and then colonization to become truly an “Evolue” which means a French men. Fanon goes to argue that the copy can never become the original to describe in subtle and not subtle ways for the former colonized to become white is impossible. An impossibility driven by misrecognition where the satraps who believe himself to be civilized and therefore white is never recognized as such. A tragedy captured by Paul Biya’s own best friend, Ferdinand Oyono, notable is The Old Negro and the Medal and the legacy and impact of psychological colonial violence on the African evolue.
The fact that Paul Biya failed to learn anything from his best friend literary career shows the depth of the power of colonial ideology, the internalization of the colonial gaze, stereotypes and expectations. Within that context how Switzerland is specifically resonant with the local satraps to become the symbol of class envy. What is more interesting is the survival of archetype of the “evolues” for whom the grass is always greener in the West and where class envy is bounded within the neurosis of racial envy described by Frantz Fanon.
A neurosis that blurs the separation between the private and the public realm in tyranny what some of the ideologues of the Biya’s regime calls “institutionalized diarchy” where the private and public life is now contaminated by conviviality foreclosing all opportunities of human actions and freedom. Within this context, ordinary Cameroonians that cannot meet the material baseline to have access into politics and being recognized, as competent citizens are simply discarded or corrupted with bread and sardines whereby the derogatory name “Sardinards” emerges from. Thus, a country sinking into a mire of corruption, political paralysis, brutality and blight. At this stage, the political game is inherently brutal, inherently cruel, inherently auto-destructive of social cohesion, and ultimately the very political institutions on whose domination it relies for legitimacy.
In this context of precarity, vulnerability and violence, only those who have developed a “proximity bias” and a social contract with the former colonizer through the “Francafrique” are allowed to access resources and engage in politics. This cultural and political imposition explain why people such as Paul Biya keep reproducing consciously or unconsciously internalized racist patterns of behaviors that reflect the ongoing neocolonial hegemony of western power and European values attached to neoliberalism. More damaging, the inability to produce something new.
The real problem becomes internalized oppression. In addition, oppression which corrupt the meaning of the good life. Good living turns into a reliance on colonial race and class exploitation and the maintenance of the status-quo. In practice one cannot lead a good life in a world that is so unequal. To lead a good life is to lead a good life with the others, which translate, into an attitude of ethical resistance the CL2P is committed to lead. An ethic of resistance, which demands to imagine new ways, we relate to each other’s. Thus, how to live otherwise in productive fashion.
The Committee For The Release of Political Prisoners – CL2P