Le défenseur burundais des droits de l’homme a, dans une interview à VOA Afrique, appelé à plus de sanctions pour ramener le régime de Bujumbura sur le droit chemin de la justice. Il souhaite que son pays réintègre le Traité de Rome et la CPI
Comment va le Burundi aujourd’hui ?
Pierre-Claver Mbonimpa : Actuellement, le Burundi vit dans des violences massives. Depuis le 26 avril 2015 jusqu’à aujourd’hui, il y a des gens qui continuent à être assassinés et d’autres d’être enlevés, occasionnant des disparitions forcées. Il y a beaucoup de prisonniers politiques dans notre pays. Beaucoup de gens vivent dans la peur. C’est pourquoi nous disons qu’il n’y pas de changement au niveau du respect des droits de l’homme aujourd’hui.
Un tableau un peu sombre comme vous l’avez tracé. Mais le Burundi s’est retiré du Traité de Rome et de la CPI.
Pierre-Claver Mbonimpa : Je sais que le pouvoir de Bujumbura s’est retiré du statut de Rome et de la Cour pénale internationale. Nous, nous considérons que c’est une défaillance parce qu’il ne les accuse de rien. Si tu acceptes la justice, tout le monde respecte la justice. Raison même pour laquelle les dirigeants de notre pays réclamaient toujours la justice. Alors nous aussi, nous sommes tentés de réclamer la justice. Si le Burundi se retire de la Cour pénale internationale, c’est-à-dire que l’impunité va continuer à gangréner dans le pays comme il était auparavant. C’est pourquoi nous disons que c’est regrettable parce que la date buttoir c’est le 27 octobre. Nous espérions que la CPI allez ouvrir des enquêtes mais qu’à cela ne tienne nous attendons encore. Il y a quelques trois jours qui restent. Même si la CPI ne parvient pas à ouvrir des enquêtes proprement dites, elle s’est déjà engagée. Il y a des enquêtes préliminaires. Et je pense que les crimes commis avant le 27 octobre pourront être poursuivis même dans l’avenir.
Est-ce que ce retrait pourra entamer cette procédure ? Car la CPI avait annoncé suivre de près, il y a quelques temps déjà, la situation au Burundi.
Pierre-Claver Mbonimpa : Nous étions encouragés par la déclaration de la CPI selon laquelle elle suivait de près ce qui se passait au Burundi. Nous espérons même aujourd’hui que la CPI va continuer à suivre ce qui se passe au Burundi. C’est pourquoi on avait espoir. Mais qu’à cela ne tienne, nous sommes Burundais. Plus tard, il y aura un pouvoir qui va se pencher sur les violations qui se commettent dans le pays. On pourra mettre en place des juridictions qui pourront poursuivre les auteurs, les autorités et les commentaires. Nous, on ne pourra pas se décourager. On devra trouver des solutions. On ne pourra pas accepter que les crimes restent impunis au Burundi parce que c’est ce qui a causé des répétitions de violences de 10 ans à 10 ans à cause de l’impunité. C’est pourquoi nous sommes en train de nous débattre afin qu’il y ait quand-même justice parce que les victimes ont besoin de justice. Moi-même, je suis victime, j’ai besoin de justice. C’est pourquoi beaucoup de pouvoirs qui se sont succédés ont continué à commettre ces violations parce qu’ils ont vu que les auteurs et commanditaires n’ont pas été poursuivis.
Mais la décision est quand-même passée par le parlement burundais.
Pierre-Claver Mbonimpa : Le parlement est là et est tout à fait d’accord. C’est pourquoi la CPI ne peut pas refuser à ce que le Burundi se retire. Mais plus tard, il y aura d’autres pouvoirs qui vont remplacer l’actuel pouvoir. Et je pense que le Burundi va retourner à la CPI, sûrement. Si moi par exemple, je devenais un président de la République, la première chose que je devrais faire, c’est de remettre notre pays à la CPI parce qu’il faut toujours respecter la justice dans un pays où il n’y a pas de justice, il y a toujours de violences.
Vous parlez d’espoir quand on sait que la Cour constitutionnelle a autorisé un troisième mandat en violation de la Constitution et que la séparation des pouvoirs n’est pas respectée.
Pierre-Claver Mbonimpa : Non, ce n’est pas vrai. La Cour constitutionnelle n’a pas jugé favorable parce que savez qu’il y a des juges qui ont fui parce qu’ils étaient à la Cour constitutionnelle. Ils avaient refusé d’accepter le troisième mandat de Pierre Nkurunziza. Les autres ont été terrorisés. Ils ont signé par force. Vous savez que parmi les cinq juges, s’il y a un seul juge qui n’a pas signé cela veut dire que le jugement est faussé. Et c’est ça qui est arrivé. Même aujourd’hui, si vous allez voir la décision, il y a un juge qui n’a pas signé. Alors en ce moment, c’est un jugement erroné. C’est pourquoi, la Cour constitutionnelle même si elle est là, elle n’a pas accepté à l’unanimité le troisième mandat de Nkurunziza.
Vous avez plusieurs été victime de tentative d’assassinat. Vous avez même perdu votre fils ainsi que gendre. Quel impact cela a-t-il eu sur votre lutte pour les droits de l’homme au Burundi ? Etes-vous toujours au Burundi.
Pierre-Claver Mbonimpa : Oui, j’ai perdu mon fils et j’ai perdu mon gendre. Pour moi, mon fils, je l’ai eu par la grâce de Dieu. Mon gendre, je l’ai eu par la grâce de Dieu. Alors, c’est la prédestination. Moi-même je suis victime, j’allais mourir. Mais ça n’a pas été le cas. Il y a d’autres victimes, il y a d’autres familles qui ont perdu les leurs, ce n’est pas moi seulement.
L’impact sur mon travail ? Cela ne peut pas me décourager parce que je dois continuer à défendre les sans-voix. Il y a même d’autres victimes qui n’ont pas de moyens de se défendre. Mais je me suis assigné d’aider les sans-voix. C’est pourquoi je ne peux pas fléchir à défendre les droits de la personne humaine et surtout à dénoncer les crimes qui se commettent dans le pays. Et aussi, je ne peux pas abandonner à réclamer toujours justice parce que la justice se trouve parmi les remèdes qui peuvent trouver des solutions pour nos problèmes.
Vous avez récemment reçu du Human Rights Watch le prix Alison Des Forges, mais comme cela se passe dans la plupart des pays africains vous êtes accusé par votre gouvernement d’être à la solde de l’impérialisme étranger.
Pierre-Claver Mbonimpa : Chacun a le droit de se défendre. Je sais que les dirigeants du Burundi aujourd’hui ont même eu des problèmes dans le passé, auparavant, dans les années antérieures. Je sais que je les ai aidés, je les ai suivis quand ils étaient en difficulté. Alors aujourd’hui, même si je vis à l’extérieur et comme vous le dites, j’ai eu le prix Alison Des Forges en 2016 et même maintenant, je viens de New York pour recevoir un autre prix, je ne pense pas que ces organisations, ces fondations et même des gouvernements qui me décernent des prix sont bêtes. Ils voient et remarquent ce je fais. Et je pense qu’ils ne peuvent donner un prix à celui qui a mal travaillé ou qui a tué ou à celui qui a commis des tortures. Travailler pour l’impérialisme !? C’est leur droit de le dire, mais ils ne sont pas des juges, il y a d’autres juges qui vont voir si réellement j’ai eu des prix convenablement. C’est pourquoi les mots qu’ils utilisent : impérialisme, colonialisme et terrorisme, ne peuvent pas me décourager du tout. Je dois garder toujours espoir comme le dit un livre qui a été écrit : «Restez débout ». Je dois rester débout, je dois rester vigilant jusqu’à ce notre pays recouvre la paix et la sécurité.
Vous parlez du livre « Restez débout ». Il semble que la contestation s’est essoufflée au Burundi. Est-ce là un appel que vous lancez à vos compatriotes ?
Pierre-Claver Mbonimpa : Restez débout, c’est-à-dire restez vigilant pour la paix et la sécurité parce que si vous oubliez, si vous alliez dormir ça veut dire que l’ennemi va continuer. Alors, dans « Restez débout », je voulais interpeller la population à rester vigilant, à défendre leurs droits mais aussi, sans oublier, leurs devoirs. Moi je travaille de deux côtés. Et comme je défends même les droits des prisonniers, je dis souvent : la prison est mal nécessaire et qu’un prisonnier a des droits comme des devoirs. Alors, si vous avez des droits, il faut en bénéficier et si vous avez des devoirs, vous devez vous en acquitter.
Le dialogue au Burundi où en est-on ? Faut-il le reprendre ?
Pierre-Claver Mbonimpa : Le dialogue, je crois que c’est un remède pour notre pays parce que même ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui y sont passés par sa vertu. Il n’y a pas d’autres chemins, il n’y a pas d’autres voies pour recouvrer la paix et la sécurité que s’asseoir ensemble et discuter pourquoi ces violences. Celui qui refuse le dialogue, veut alors le chemin de la violence. Nous, en tant que citoyen burundais, en tant que défenseur des droits de l’homme, on ne pourra pas accepter les voies de la violence. Même ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, ils sont parvenus là par le chemin du dialogue. C’est pourquoi nous, nous privilégions toujours le dialogue. Mais qu’à cela ne tienne, en cas de force majeure, si le pouvoir de Bujumbura refuse réellement de dialoguer, on va continuer à faire des plaidoyers, à demander à communauté à nous aider surtout en passant par des sanctions sévères et comme ça, ça sera le chemin de le contraindre d’accepter le dialogue. Mais si ça échoue complètement, je pense que ça sera l’ouverture d’autres chemins violents. Et, ça sera très malheureux parce que nous vu que les chemins des armes ne peuvent pas trouver des solutions surtout qu’il y a beaucoup de gens qui meurent gratuitement alors qu’ils ne sont mêmes pas de politiciens.
Vous êtes difficilement sortis du Burundi, après d’âpres négociations avec le pouvoir de Bujumbura, au motif d’aller vous faire soigner à l’étranger. Est-ce que vous vous sentez mieux maintenant ? Quand pensez-vous rentrer mener votre combat sur place ?
Pierre-Claver Mbonimpa : J’ai été évacué grâce à l’intervention de la communauté internationale mais aussi avec l’autorisation du gouvernement burundais. J’ai une autorisation signée en bonne et due forme par le procureur de la mairie de Bujumbura m’autorisant d’être évacué à Bruxelles pour des soins médicaux. Même maintenant, vous entendez comment je parle. Ça, ce n’est pas ma voix initiale. Je continue à me faire soigner et d’après les promesses des médecins, je pourrai recouvrir ma voix à la fin du mois d’août 2018. Alors en ce moment-là, comme j’ai été évacué avec l’autorisation du gouvernement du Burundi, je vais retourner dans la même voie.
Et si le gouvernement vous tendiez une main pour collaborer comme d’autres l’ont et entrer aux institutions ?
Pierre-Claver Mbonimpa : J’ai toujours collaboré avec le gouvernement. Ça fait déjà plus de 16 ans que je travaille dans le domaine des droits de l’homme. Dans un pays, le premier défenseur des droits de l’homme, c’est le gouvernement. Nous, nous sommes là pour épauler le gouvernement. Raison pour laquelle, je ne peux pas refuser de collaborer avec le gouvernement même avec la communauté internationale. Mais collaborer dans quel sens ? Pas dans le sens du mal, mais collaborer dans le sens du respect des droits de l’homme, dans le sens du développement du pays.
Propos recueillis par Eddy Isango