A Johannesburg, le sommet Chine-Afrique s’ouvre dans l’inquiétude
Le Sommet sur la coopération entre la Chine et l’Afrique s’ouvre ce vendredi 4 décembre à Johannesburg. Ce sommet de deux jours est organisé par Pékin mais se tient sur le continent africain. Certains y voient un message sur l’engagement de la Chine sur le continent.
C’est un sommet qui s’ouvre sur fond d’inquiétude. La Chine est le premier partenaire commercial de l’Afrique, avec plus de 200 milliards d’euros d’échanges commerciaux par an. Mais ces échanges sont fragilisés par le ralentissement de la croissance chinoise. Les investissements du géant asiatique en Afrique ont chuté de 40 % au premier semestre.
L’inquiétude grandit au sein de certains pays dépendants de leurs exportations de matières premières. L’économie sud-africaine s’est ainsi contractée de 1,7 % au deuxième trimestre 2015, en raison d’une baisse des exportations de platine et charbon vers la Chine. La Zambie a également perdu une grosse partie de ses revenus en raison d’une baisse d’exportation de cuivre. Certains pays attendent donc des paroles rassurantes de la part de Pékin.
D’autres, à l’instar du Nigeria, comptent demander une aide pour financer d’importants projets afin de diversifier une économie là aussi dépendante de ces exportations de pétrole.
A Johannesburg, le président Xi Jinping doit donc rassurer ses amis africains et faire passer ce message : la lune de miel entre l’Afrique et la Chine est loin d’être terminée. Son vice-ministre des Affaires étrangères a déjà préparé le terrain. « La Chine a non seulement la capacité, mais aussi et surtout la volonté politique de soutenir l’Afrique pour lui permettre un développement indépendant et durable », a-t-il déclaré. Pour certains analystes, ce n’est pas un hasard si ce sommet se tient pour la première fois sur le continent. Il s’agit d’une façon de réaffirmer l’engagement de Pékin envers l’Afrique.
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La nécessité pour l’Afrique de diversifier ses économies
D’un côté, une Chine avec une croissance de 10 % pendant près de 30 ans. De l’autre, des pays africains qui veulent devenir émergents. Pour alimenter sa croissance, la Chine a besoin de matières premières : pétrole, fer, zinc… Et l’Afrique en a revendre. La Chine produit des biens manufacturés à bas coûts et l’Afrique a besoin de produits transformés à petits prix. Bref pendant 10 ans, c’est le parfait amour.
Mais quand la croissance chinoise passe sous la barre des 7 %, l’équilibre sino-africain vacille. Certains pays sont frappés de plein fouet, comme la RDC ou encore la Zambie dont 60 % des revenus proviennent du cuivre acheté en grande partie par la Chine.
Cette situation montre que les pays africains doivent diversifier leurs économies. Ils ne peuvent plus s’appuyer sur leurs ressources minières. Il faut notamment prendre le virage de la transformation industrielle et développer d’autres secteurs. La Chine est d’ailleurs intéressée par cette diversification. Mercredi 2 décembre, elle a signé plusieurs accords avec l’Afrique du Sud, d’une valeur de 6 milliards d’euros, dans les domaines de l’agriculture, de l’industrie et des infrastructures.
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Chine-Afrique: une vieille histoire d’amour…
Ce vendredi s’ouvre à Johannesburg le 6e sommet Chine-Afrique. Sans remonter à la dynastie des Ming et cette année 1418 où l’amiral Zheng He, à la tête de la flotte impériale forte de plus de 200 bateaux, débarqua sur les côtes de Tanzanie, du Kenya et de Somalie, les relations entre la Chine et le continent africain ne datent pas des années 1990-2000. C’est une vieille histoire qui s’écrit en deux temps : celui du politique dès 1949 et de l’économique affirmé à partir des années 1980-1990, avec, comme point d’orgue, le soutien des pays africains à Pékin pour son entrée au Conseil de sécurité le 25 octobre 1971.
« Les relations Chine-Afrique ont débuté dès la création de la Chine populaire en 1949. Pour Pékin, c’est très important, et l’aboutissement de cette démarche sera l’entrée de la Chine au Conseil de sécurité, explique le professeur Chih Chung Wu, professeur de sciences politiques à l’université de Taïpeh. Les années 1950 et 1960 sont marquées par la conférence de Bandung en 1955 et une série de conférences afro-asiatiques qui se tiennent au Caire, à Accra, à Conakry, à Mogadiscio et Winneba. En 1960, Sékou Touré est le premier dirigeant africain à être officiellement invité en Chine. L’année d’après ce sera le Ghanéen Nkrumah. Au seuil de leur indépendance, trois Etats sont en pointe pour leurs relations avec la Chine. Il s’agit du Ghana, de la Guinée et du Mali. »
Discours anti-impérialistes
C’est le temps des discours anti-impérialistes, anti-occidentaux, le temps des indépendances naissantes et du mouvement des non-alignés. Le temps de la grande amitié entre pays sud-sud qui cherchent à se faire une place, à exister entre le bloc de l’Est et celui de l’Ouest, entre Moscou et Washington. Et Pékin affiche et affirme sa présence en Afrique sur un plan politique avec quelques vastes chantiers comme autant de symboles forts d’une volonté de développement des pays du Sud : le chemin de fer « tanzam » reliant la Tanzanie à la Zambie, la construction du barrage d’Assouan en Egypte, qui dura onze longues années, de 1960 à 1971. En cette période où l’idéologie est reine, Pékin multiplie la signature d’accords de coopération militaire avec les pays amis. La Chine est alors en compétition directe avec l’URSS et fait tout pour limiter l’influence de la rivale de toujours, Taïwan.
Colonne vertébrale de cette politique étrangère, les voyages des plus hautes autorités chinoises en terre africaine. De fin 1963 à début 1964, le Premier ministre Chou En-Laï parcourt ainsi dix pays : l’Egypte, le Maroc, l’Algérie, le Soudan, la Guinée, le Ghana, le Mali, l’Ethiopie, la Somalie et la Tunisie.
Janvier 1964 : Chou En-Laï, citoyen d’honneur de Bamako
Quand le Premier ministre chinois Chou En-Laï est reçu en « grandes pompes socialistes » par le président Modibo Keita, mêmes idéaux, mêmes effusions de solidarité, même exaltation du socialisme et dénonciation de l’impérialisme occidental . Les deux hommes se nourrissent de la même verve en insistant sur la libération des peuples d’Afrique et d’Asie du joug colonial, avec un maître mot : l’amitié entre les peuples. Illustration par ces extraits de discours…
Chou En-Laï : « Que l’amitié des peuples chinois et malien soit comme les eaux du Niger et du Yangtsé qui coulent éternellement (…) Au moment où l’on voit les drapeaux de l’indépendance et de la liberté arborés l’un après l’autre sur le continent africain et que l’amitié entre les peuples d’Afrique et le peuple chinois se resserre chaque jour davantage, nous sommes très heureux de venir visiter la République du Mali, en tant que messagers d’amitié du peuple chinois (…) Nous estimons qu’il est du devoir internationaliste du peuple chinois d’aider les pays naissants amis d’Asie et d’Afrique. Nous n’avons jamais considéré ce genre d’aide comme étant unilatérale, car, à notre avis, l’aide a toujours été réciproque. Que les pays naissants, amis, parviennent, avec notre aide, à développer progressivement leur économie et à se débarrasser de l’emprise coloniale, accroissant ainsi leurs forces anti-impérialistes dans le monde, c’est là un très grand soutien à la Chine. »
Modibo Keita : « Votre visite, monsieur le Premier ministre, n’est pas une visite dite officielle, elle est celle d’amis de la République du Mali, car nous savons avec quel intérêt actif vous suivez les problèmes du continent africain en général et plus particulièrement la lutte de libération des peuples africains et la politique hardie de décolonisation de notre parti. »
Avant de quitter la capitale malienne, Chou En-Laï est fait citoyen d’honneur… Bien des « grands quelqu’un » chinois suivirent les pas de Chou En-Laï : des ministres des Affaires étrangères aux présidents, en passant par les Premier ministre comme Li Peng, ou les vice-présidents tel Hu Jintao. La diplomatie chinoise dans les années 1980 – 1990 s’intensifie. De 1989 à 1992, Qian Qichen visite une dizaine de pays. Dans l’autre sens, les visites africaines se multiplient à Pékin qui sort le tapis rouge.
L’ère du pur politique, de l’influence, est passée. Pékin est au Conseil de sécurité depuis 1971, grâce au vote des Africains. La guerre froide est derrière nous. L’ère de la conquête économique bat son plein. Symbole de cette montée en puissance de la Chine sur le continent : l’ouverture, début 2010, de la première chambre de commerce chinoise en Afrique à Johannesburg. Dans cette ville sud-africaine, les 4 et 5 décembre 2015, dans le cadre du sixième sommet sur la coopération sino-africaine, le président Xi Jinping saura le rappeler à ses interlocuteurs.
Par Jean-Jacques Louarn – Source : RFI