Le Burundi, la Gambie et l’Afrique du Sud ont annoncé leur retrait du statut de Rome. De nombreux pays d’Afrique reprochent au tribunal de la Haye, censé être universel, de ne juger pour le moment que des dirigeants africains.
Après l’Afrique du Sud et le Burundi, c’est la Gambie qui a annoncé mardi son retrait de la Cour pénale internationale (CPI). Jamais un seul pays n’avait quitté cette institution depuis son entrée en vigueur en 2002. Le 12 octobre dernier Pierre Nkurunziza, le président burundais, lui-même accusé de violations des droits humains, a ouvert la danse en annonçant lancer des formalités pour se retirer du statut de Rome. Cette décision d’un président voulant échapper aux poursuites est peu surprenante. Mais trois jours plus tard, c’est la première puissance africaine, l’Afrique du Sud qui a suivi. Pretoria affirme que l’adhésion au traité de Rome serait en contradiction avec ses engagements en termes d’immunité diplomatique. L’an dernier, les autorités sud-africaines avaient notamment refusé d’arrêter le président soudanais Omar el-Bechir qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI pour génocide. Dans la foulée, la Gambie annonçait elle aussi son départ «À partir de ce jour, mardi 24 octobre, nous ne sommes plus membres de la CPI et avons entamé le processus prescrit par le statut fondateur» a annoncé hier soir son ministre de l’Information Sheriff Bojang.
Le Burundi et la Gambie n’ont cependant pas de notification officielle auprès de secrétariat de l’ONU contrairement à l’Afrique du sud qui a suivi la procédure. Si dans le futur des crimes sont commis sur ces territoires, il n’y aura plus de possibilité de poursuite. «La Cour a besoin du soutien de la communauté internationale pour combattre contre l’impunité pour les auteurs de crimes de masse et empêcher leur répétition», s’inquiète Fadi El Abdallah, le porte-parole de la CPI, joint par Le Figaro.
Critique du «deux-poids, deux mesures» et «chasse raciale»
Crée en 1998 par l’adoption du statut de Rome, la CPI est la première et la seule juridiction permanente et universelle, contrairement à d’autres cours mises en place pour juger des crimes particuliers, comme le tribunal de Nuremberg ou le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). 122 pays sur 193 y ont adhéré. Mais malgré cette universalité de principe, sur les dix affaires actuellement instruites par la Cour, neuf sont africaines : l’Ouganda, la République démocratique du Congo, la république de Centrafrique deux fois, le Darfour, le Kenya, la Libye, le Mali et la Côte d’Ivoire. Les dirigeants africains donc reprochent le «deux-poids, deux mesures» d’une cour «néocolonialiste». Ainsi récemment, la Gambie avait demandé à la CPI de poursuivre les pays occidentaux pour la mort de milliers de migrants en Méditerranée.
En Afrique, la contestation gronde depuis longtemps. Mais à partir de 2014 que la propagande africaine anti-CPI prend un tournant, avec la mise sur le banc des accusés d’Uhuru Kenyatta, le président kényan accusé d’avoir joué un rôle dans les violences postélectorales qui ont coûté la vie à 1300 personnes en 2007. La défense du chef de l’État a été celle d’un «procès de rupture»: il a accusé la CPI de concentrer ses enquêtes uniquement sur les dirigeants africains et a demandé une réforme du statut de Rome. Les charges ont été abandonnées faute de preuves. Avant lui, le Soudanais Omar-al-Bashi avait contesté la compétence de la Cour.
L’Union africaine elle-même a ouvertement critiqué la CPI. A l’issue d’un sommet en 2013, le Premier ministre éthiopien, Hailemariam Desalegn avait dénoncé une «chasse raciale» . «Elle ne devrait pas pourchasser des Africains», avait-il ajouter. L’éventualité d’un retrait collectif des 34 États africains signataires du statut de Rome a une nouvelle fois été évoquée, fin janvier 2016, à Addis-Abeba.
«Désafricaniser la CPI»
Est-ce un véritable argument ou un prétexte utilisé par les dirigeants africains pour éviter les poursuites? «Les mots sont importants: ce n’est pas «l’Afrique» qui est contre la CPI, ce n’est pas la population, mais certains chefs d’État qui, à travers le porte-voix de l’UA, ont exprimé leur solidarité avec el-Béchir, Gbagbo et, aujourd’hui, Kenyatta et Ruto» soulignait le chercheur à l’IRSEM Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, dans un long article consacré aux rapports tourmentés de l’Afrique avec la CPI, datant de 2014. «La Cour est là avant tout pour protéger les victimes, qui sont africaines», rappelle pour sa part Fadi El Abdallah.
Pourquoi la CPI ne traite quasiment que des cas africains? Selon Fadi El Abdallah, cela tient à la procédure de saisine. La Cour peut être saisi de trois façons: soit par les Etats-parties eux-mêmes, ce qui fut le cas par exemple pour la Centrafrique, le Mali ou l’Ouganda. La cour peut être aussi saisie par le Conseil de sécurité de l’ONU, auquel participent les pays africains, comme ce fut le cas pour la Libye ou le Darfour. Enfin, la CPI peut s’auto-saisir après enquête préliminaire, avec le soutien des pays parties. La Cour s’est ainsi récemment saisie du cas de la Géorgie (plus précisément de la guerre éclair d’août 2008 ayant opposé Géorgie et Russie ).
Comment rétablir la confiance dans cette institution? «Désafricaniser la CPI est une condition sine qua non pour rétablir sa crédibilité» écrivait Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. «Il faut à la fois réfuter l’accusation de néocolonialisme et inciter la Cour à s’intéresser à des affaires non africaines, car ce problème de perception ne cessera que lorsque les personnes poursuivies viendront de plusieurs continents», poursuivait-il. Cela devrait bientôt arriver: des enquêtes préliminaires sont en cours sur 10 conflits, notamment en Colombie, en Afghanistan, en Palestine et en Ukraine. «La Cour ne se concentre pas sur une région du monde», insiste Fadi El Abdallah.
Par ailleurs, la CPI entend dialoguer avec les pays tentés par le retrait. «Il faut saisir cette opportunité pour engager un dialogue avec les États qui voudraient quitter la CPI. Pour cela, il faut écouter leurs appréhensions, leurs récriminations, leurs critiques» a ainsi déclaré le président de l’Assemblée des États parties au traité fondateur de la CPI Sidiki Kaba.
Par Eugénie Bastié – Le Figaro