Qu’on aimerait y croire Me Mignard, tant notre déception a été grande de voir François Hollande reprendre le même vieux refrain du respect “des souverainetés nationales” ou prenant bonnement partie en faveur des tripatouillages constitutionnels et leur lot de fraudes électorales comme au Congo Brazzaville de Dénis Sassou Nguesso ou au Gabon d’Ali Bongo. Alors même que parfois l’urgence d’une ingérence humanitaire doit dicter la position de la France face aux massacres des populations civiles, aux détentions arbitraires des leaders d’opinion et des opposants, ou à la répression systématique sous couvert de la nécessaire et indispensable lutte contre le terrorisme.
Autant dire que cette fois-ci, sans particulièrement rien espérer en ce domaine du nouveau locataire de l’Élysée, nous veillerons à ce que rien ne se passe plus comme avant, dans ce souci de renouvellement d’une relation France-Afrique qui a jusqu’ici brillé par le double discours.
Joël Didier Engo, Président du CL2P
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Les premiers pas du président Macron en Afrique
C’est en chef suprême des armées qu’Emmanuel Macron effectue, vendredi 19 mai, son premier voyage présidentiel en Afrique. Il se rend au Mali afin de « saluer les troupes » de la force « Barkhane » déployée par François Hollande auquel on reprocha souvent d’avoir militarisé les relations de la France avec ses partenaires africains. Cela ne veut pas dire pour autant que la politique africaine d’Emmanuel Macron répliquera celle de son prédécesseur. Son âge – 39 ans – pourrait en effet lui permettre de s’affranchir du passé avec plus d’aisance que ses aînés. Mais qui seront ses relais sur le continent ? Qui incarnera sa politique ? Quelle rupture avec la présidence précédente ?
Les premières nominations aux postes clés sur l’Afrique apportent quelques éléments de réponses. Il semble, à ce titre, que le nouveau président a tiré les leçons des premiers mois de François Hollande. A son arrivée au pouvoir, le « président normal » considérait ainsi que le même qualificatif devait s’appliquer aux relations entre la France et les pays africains. L’Afrique n’était pas sa priorité.
« Discours en construction »
Certes, Emmanuel Macron est, comme François Hollande à ses débuts, un homme relativement neuf sur ce continent où il n’a guère eu l’occasion de séjourner sauf pour un stage de six mois en 2002 au Nigeria lorsqu’il était à l’ENA et, dernièrement, en Algérie durant la campagne électorale. Mais il disposera autour de lui d’une tout autre équipe, au premier rang de laquelle Jean-Yves Le Drian, celui que l’on considérait comme un « ministre des affaires étrangères bis » sous Hollande, qui avait délégué la politique africaine à son ami chargé de la défense.
En le nommant à la tête du Quai d’Orsay, Emmanuel Macron pourra bénéficier des liens personnels et étroits noués par M. Le Drian avec nombre de chefs d’Etat africains qu’il a appris à connaître au gré des crises. A l’Elysée, le nouveau président pourra également compter sur Aurélien Lechevallier, son conseiller aux affaires internationales à En marche ! nommé, depuis, numéro deux de la cellule diplomatique de l’Elysée et qui a élaboré en partie l’approche africaine du candidat Macron. Enfin, Franck Paris, ancien rédacteur Afrique centrale et orientale à la direction Afrique du Quai d’Orsay avant de passer par le cabinet de M. Le Drian, complète le casting en devenant le conseiller Afrique du président.
Si les hommes sont en place, « le discours est encore en construction », reconnaissait il y a peu l’avocat Jean-Pierre Mignard, un proche de M. Hollande rallié à M. Macron. « La continuité devrait l’emporter sur la transformation. Il y a des acquis du gouvernement précédent qu’il va conserver, comme la sortie de l’univers louche de la Françafrique », avance Jean-Michel Severino, l’ancien directeur général de l’Agence française de développement (AFD), qui compte parmi les « penseurs » de la politique africaine du nouveau locataire de l’Elysée.
« Il a une perception concrète des questions de développement. Il fait parfaitement le lien entre les problèmes de développement et les problèmes politiques », ajoute ce connaisseur de l’Afrique, très critique du peu de cas qu’aura fait François Hollande de l’aide publique au développement. Vendredi, comme un symbole, le directeur général de l’AFD, Rémy Rioux, sera du voyage au Mali. Le nom du nouveau secrétaire d’Etat au développement, quant à lui, manque dans la liste du nouveau gouvernement et pourrait bien n’être « dévoilé qu’après les législatives », selon un diplomate.
De tous ceux qui nourrissent la réflexion du président émerge une certitude : « Il sera un président tourné vers l’Afrique, qu’il considère comme stratégique », résume Aurélien Lechevallier. Selon le Franco-Béninois Jules-Armand Aniambossou, membre de l’équipe de campagne d’Emmanuel Macron, « la nouvelle offre reposera sur trois caractéristiques fortes : une vision transversale des liens entre les pays africains ; un grand partenariat entre l’Afrique, l’Europe et la Méditerranée ; et, enfin, une mobilisation des entreprises, des ONG, de la société civile avec une place particulière pour les diasporas et les binationaux ».
« Bras armé fort »
Si des changements de méthode peuvent être attendus, les questions sécuritaires du continent devraient, elles, être traitées dans la continuité. Dans un entretien accordé avant son élection au Monde Afrique, Emmanuel Macron précisait ainsi qu’il n’envisage pas, « à court terme », d’arrêter l’opération « Barkhane » au Sahel. Il espère en revanche mobiliser davantage les partenaires européens, l’Allemagne en tête, qui, jusque-là, déléguaient à la France le rôle, qu’elle ne peut plus tenir, de « gendarme de l’Afrique ». Une vision partagée par la nouvelle ministre des armées, Sylvie Goulard, novice à ce poste mais européaniste convaincue.
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Les pays africains affectés par le djihadisme sont également invités à tenir un plus grand rôle dans la lutte antiterroriste. Et l’Algérie, acteur incontournable sur ce dossier, « doit être pleinement impliquée ». Cela concerne, notamment, le Mali, toujours en proie aux violences malgré l’intervention française, opération phare du quinquennat Hollande. Au siège des Nations unies, Paris travaille d’ailleurs au renforcement du mandat et du contingent des casques bleus déployés dans ce pays. « Aujourd’hui, ni les forces françaises ni celles de l’ONU n’ont de mandat pour un désarmement par la force des groupes armés », rappelle-t-on dans l’entourage du chef de l’Etat. « Le cap est très fortement fixé. Tous les signaux montrent que sa diplomatie aura un bras armé fort », résume Jean-Michel Severino.
Par son âge et ses méthodes transgressives, Emmanuel Macron pourrait faire souffler un vent nouveau sur les relations franco-africaines. « Il y a ce que l’on veut faire et ce que les événements nous contraignent de faire », reconnaît toutefois l’un de ses proches. Il y a cinq ans, qui aurait imaginé François Hollande, « un capitaine de pédalo », dixit Jean-Luc Mélenchon, en chef de guerre, liquidateur de djihadistes dans les étendues désertiques du Sahel et du Sahara ?