À une dizaine de jours du premier tour de l’élection présidentielle sénégalaise, le porte-parole de Y en a marre appelle ses compatriotes à massivement aller voter le 24 février. Et assure que le mouvement citoyen ne soutient aucun candidat. Interview.
Fer de lance du mouvement de contestation contre un nouveau mandat d’Abdoulaye Wade, en 2011, Y en a marre est désormais vent-debout face à Macky Sall. Mais si Fadel Barro se montre virulent à l’encontre du président sortant, en lice pour un deuxième mandat, il n’en prend pas moins ses distances avec les candidats de l’opposition, notamment Ousmane Sonko et Idrissa Seck. Avec un leitmotiv : pousser ses concitoyens à aller voter en masse, le 24 février.
Jeune Afrique : Ces dernières années, Y en a marre s’est montré très critique envers Macky Sall. Que lui reprochez-vous ?
Fadel Barro : De n’avoir pas tenu parole. Il a complètement oublié l’engouement et l’effervescence dans lesquels il a été élu en 2012. Les Sénégalais ne s’étaient pas mobilisés pour Macky Sall, mais parce qu’ils voulaient préserver leur démocratie et beaucoup d’autres choses : la limitation des mandats présidentiel, la séparation des pouvoirs, des emplois pour les jeunes, une gestion plus vertueuse des affaires, plus de transparence, moins d’impunité…
Au bout de sept ans, tout ça est encore loin d’être réglé. Macky Sall n’a pas tenu son engagement de réduire son mandat à cinq ans. Vous avez aussi vu comment la justice a été instrumentalisée sur des dossiers politiques pour empêcher des candidats de se présenter, comme Karim Wade et Khalifa Sall.
Faut-il prendre ces propos comme un appel à voter contre le président sortant ?
Non. Nous sommes des citoyens qui exprimons nos inquiétudes et notre insatisfaction. Mais nous ne disons pas qu’il faut voter pour ou contre telle ou telle personne. Nous exerçons notre droit de critique.
Nous ne sommes avec aucun candidat. Le seul candidat de Y en a marre, ce sont les Sénégalais. Notre seule préoccupation est que tous les candidats à la présidentielle puissent faire des préoccupations des Sénégalais le centre de leurs actions et de leurs discours. C’est pour cela que nous avons proposé la campagne Wallu Askan Wi (« La part du peuple », en wolof), pour les amener à mieux interagir et à mieux prendre en compte les besoins terre à terre des Sénégalais.
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Ousmane Sonko se présente régulièrement comme le candidat « anti-système » et a des positions parfois proches de celles défendues par Y en a marre. Peut-on parler de proximité entre lui et vous ?
Nous n’avons aucune proximité avec un candidat particulier. Tous les candidats cherchent à être proches de Y en a marre. Ousmane Sonko, comme Issa Sall, le candidat du PUR [Parti de l’unité et du rassemblement], sont des candidats hors système qui ne recrutent pas dans les sphères des partis politiques « classiques ». Ils sont intéressants, car ils mobilisent plus de citoyens.
Il n’y a pas de proximité entre le mouvement Y en a marre et Pastef [le parti d’Ousmane Sonko]. Après, il peut y avoir des recoupements sur le plan des idées. Nous sommes aussi dans la sphère publique pour ça : quand on arrive à rapprocher les hommes politiques de nos préoccupations, pour nous c’est le peuple qui gagne.
De son côté, Idrissa Seck s’impose jour après jour comme le catalyseur des opposants à Macky Sall – le dernier en date étant Khalifa Sall. Pourriez-vous soutenir sa candidature d’ici au 24 février ?
Nous ne pouvons pas combattre les ndiguel [la consigne de vote] des marabouts et en même temps faire pareil ! Ce n’est pas l’affluence autour d’Idrissa Seck ou d’Ousmane Sonko qui poussera Y en a marre à soutenir untel ou untel. Nous restons sur nos principes.
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Que ferez-vous si l’un ou l’autre (ou un autre candidat) accède au second tour face à Macky Sall ?
Nous menons notre travail de mobilisation des jeunes pour qu’ils s’expriment et votent massivement. Nous mettons la pression pour que tout le monde reçoive sa carte d’électeur. Le débat sur un éventuel deuxième tour n’est pas encore posé. Nous n’y sommes pas et nous n’en avons pas encore parlé. Pour l’instant, le plus important est d’obtenir un vote massif des Sénégalais.
Pour la première fois depuis que le multipartisme existe au Sénégal, ni le Parti socialiste (PS) ni le Parti démocratique sénégalais (PDS) n’auront de candidats à la présidentielle. Comment l’interprétez-vous ?
C’est le résultat de manigances du pouvoir pour exclure le socialiste Khalifa Sall. Concernant le PDS, plusieurs candidats sont issus de ses rangs : Idrissa Seck, Madické Niang, Macky Sall… La famille libérale est largement représentée, ce qui n’est pas le cas de la famille socialiste.
C’est aussi le fruit de la volonté d’Ousmane Tanor Dieng, le secrétaire général du Parti socialiste, qui a été complice de l’invalidation de la candidature de Khalifa Sall.
Tout cela a ouvert un espace pour de nouveaux acteurs comme Ousmane Sonko ou le PUR. Pour l’instant, ils font un peu figure d’inconnus, mais nous saurons ce qu’ils pèsent grâce à l’élection présidentielle. Il y a une reconfiguration politique en cours dans notre pays.
Comment réagissez-vous aux propos d’Abdoulaye Wade, qui a appelé les Sénégalais à « brûler leurs cartes d’électeurs » et à empêcher la présidentielle du 24 février ?
Ce sont les « vieilleries » du vieux. Demander aux Sénégalais de brûler leurs cartes parce que son fils n’est pas candidat, il n’y a qu’Abdoulaye Wade pour dire une chose pareille. Je ne pense pas qu’il sera suivi. Nous avons lancé un appel pour qu’il rejoigne notre position alternative : celle en faveur d’un vote massif des Sénégalais, qui est le seul moyen de changer les choses. L’attitude d’Abdoulaye Wade n’est pas la bonne et nous espérons qu’il va changer de posture.
Il devrait être à la retraite : il a plus de 90 ans, il a été président du Sénégal, il a été opposant pendant près de trente ans… Mais qu’il ne soit pas à la retraite est aussi l’échec de Macky Sall, qui a été élu à 65% contre lui. Il n’a pas bien gouverné et n’a pas su faire oublier Wade.
Cet échec est aussi celui de la transmission des responsabilités au sein des partis politiques. Abdoulaye Wade n’a rien transmis à personne. C’est lui qui mène le jeu jusqu’à présent et c’est bien dommage.
Enfin, c’est indécent et irresponsable pour son fils de rester à l’étranger et de laisser son père venir vouloir mettre le feu dans le pays. Plus qu’un manque de courage, c’est incompréhensible. Un fils digne ne laisse pas son père de plus de 90 ans venir se battre pour lui. C’est son combat, pas celui de son père.
Nous sommes à moins de deux semaines du scrutin. Craignez-vous que certains de vos compatriotes ne puissent pas voter ?
Environ 54 000 Sénégalais sont concernés par la modification de la carte électorale. Quand la carte électorale change, il faut changer de carte d’électeur. Mais beaucoup ne sont pas au courant, tout comme ils ignorent souvent le changement de leurs bureaux de vote. Comme par hasard, cela arrive souvent dans des zones ou le pouvoir est faible, comme à Touba.
Plus largement, redoutez-vous des fraudes électorales ?
Nous craignons surtout des fraudes dans l’organisation de l’élection : absence de renseignement sur des changements de bureau de vote, cartes d’électeur non valables ou tout simplement pas reçues, ce qui est le cas pour encore près de 300 000 personnes… Au Sénégal, nous avons dépassé le stade des fichiers électoraux trafiqués, mais c’est dans l’organisation du scrutin qu’il y a à craindre. Nous restons donc vigilants à ce niveau.
Jeune Afrique