Plus de 84 millions d’électeurs nigérians sont appelés aux urnes le 16 février 2019 pour élire -entre autres- leur président. Au total, 72 candidats sont en lice pour la magistrature suprême. Mais la véritable bataille pour Aso Rock se joue entre les candidats des deux principaux partis : le président sortant Muhammadu Buhari pour le All Progressive’s Congress (APC) et Atiku Abubakar, candidat du parti d’opposition, le People’s Democratic Party (PDP). Un scrutin qui s’annonce très serré entre deux vieux routiers de la politique.
Voilà un mois que les deux principaux candidats parcourent les 37 Etats du Nigeria. De meetings en rassemblement, du nord au sud du pays, le flot de supporters ne désemplit pas. Que ce soit le président sortant, Muhammadu Buhari, 76 ans ou son rival l’ancien vice-président Atiku Abubakar, 72 ans, tous deux se produisent à guichet fermé, telles les idoles de la Naija Pop. Sur les réseaux sociaux, chaque parti rivalise alors de superlatifs pour s’attribuer le plus grand nombre de fans. Une surenchère qui a poussé le quotidien national The Punch à titrer la semaine dernière, « PDP, APC : “Ma foule est plus grosse que la tienne” », en référence à un roman de Nkem Nwankwo, Ma Mercedes est plus grosse que la tienne, dans lequel l’auteur nigérian décrivait les années fastes du boom pétrolier. Une réalité désormais oubliée.
Ces records de participation aux meetings masquent surtout une pauvreté ambiante grandissante qui pousse désormais les populations à aller chercher quelques billets et autres cadeaux lancés par les équipes de campagne à la foule. Pour ce qui est d’un engouement sincère, il faudra repasser. Muhammadu Buhari et Atiku Abubakar ne sont pas particulièrement populaires, pas très charismatiques non plus. Ils font surtout figure de septuagénaires, un tantinet poussiéreux qui gravitent dans les arcanes du pouvoir depuis plus de trente ans. « C’est le même vieux millésime dans de nouvelles bouteilles », résumait un éditorialiste du site d’information Sahara reporters. « Trop vieux pour être partie prenante du futur du Nigeria », titrait récemment un autre.
Le militaire ….
Lors du scrutin de 2015, l’âge de Muhammadu Buhari faisait déjà couler beaucoup d’encre, mais le sujet avait vite été évacué à la faveur d’un espoir de changement. Elu avec 53.9% des suffrages, le vieux général putschiste signait alors la première alternance démocratique de l’histoire du pays. Quatre ans plus tard, l’euphorie s’est muée en déception. Le Nigeria peine à sortir de la récession économique. La lutte contre la corruption est partielle faute d’avoir entamé une réforme du système judiciaire. Quant aux combats contre les islamistes de Boko Haram, ils n’ont pas permis de mettre un terme à l’insurrection malgré la reconquête de certaines zones de l’Etat de Borno. Très clanique dans sa façon de gouverner, le natif de Daura (Etat de Katsina) a surtout placé aux postes stratégiques des hommes de sa région, accusés de profiter de l’image d’incorruptible du chef pour piocher dans la caisse.
Un bilan peu convaincant dont le chef de l’Etat sortant pâtit dans l’opinion publique. Malade et très souvent absent pour se faire soigner les deux premières années de son mandat, « Baba go slow » -« Papa va doucement » comme le surnomment désormais les Nigérians- est souvent tourné en dérision. Jugé trop rigide. Trop austère. Trop lent. Et incapable d’incarner la fonction : Muhammadu Buhari est en décalage avec les 100 millions de Nigérians qui ont moins de 25 ans. Pas sûr pour autant que son adversaire, originaire du Nord et musulman comme lui, parvienne à séduire outre mesure la population du géant pétrolier, au point de l’inciter à aller voter.
… et le businessman
De fait, Atiku Abubar est également un vieux routier de la politique. Après avoir tout tenté ces vingt-cinq dernières années, l’ancien vice-président d’Olusegun Obasanjo de 1999 à 2007 a enfin réussi à se frayer un chemin jusqu’aux portes d’Aso Rock, la villa présidentielle. Intronisé principal candidat du PDP, il prend ainsi sa revanche sur plusieurs tentatives infructueuses. Visage poupon et embonpoint du « Oga » (patron en pidgin) exhibé tel un gage de confiance, le multimillionnaire peine pourtant à se défaire d’une image d’homme corrompu. Agent des douanes pendant deux décennies avant d’entrer en politique, Atiku Abubakar s’est créé un empire industriel bien trop vaste pour s’épargner de forts soupçons de corruption et de conflits d’intérêts. Du pain bénit pour ses adversaires qui en ont fait leur principal angle d’attaque. A quoi l’intéressé rétorque n’avoir jamais été condamné.
Dans sa campagne, ce défenseur d’une politique très libérale capitalise d’ailleurs sur sa carrière de businessman. En écho à l’échec économique de son rival, Atiku Abubakar entend « remettre le Nigeria au travail ». Et qu’importe si son manifeste intitulé « Atiku’s plan » comporte quelques promesses irréalistes, « une élection au Nigeria ne se gagne pas sur un programme, mais sur la capacité des candidats à mobiliser leur électorat via le parti, les réseaux et les soutiens », décrypte Laurent Fourchard, directeur de recherche au CERI-Sciences Po. A ce titre, Atiku Abubakar à une longueur d’avance. Contre toute attente, il est parvenu à se faire adouber de deux anciens présidents toujours très influents dans le jeu politique national : Ibrahim Baganguida et le fantasque Olusegun Obansajo qui semble avoir pardonné à son ancien colistier son opposition à un changement de Constitution en 2007. Les candidats malheureux de la primaire ont suivi le mouvement et rejoint le vainqueur en échange de promesses de postes. Fort de ces appuis, l’homme d’affaires pourra aussi compter sur la puissante machine électorale qu’est devenu le parti après seize années de pouvoir sans partage.
Capter les voix du Nord
Un élément indispensable pour sortir vainqueur d’une élection au Nigeria. Pays divisé entre un Sud majoritairement chrétien et un Nord à dominante musulmane, ainsi qu’entre trois groupes communautaires majoritaires (Haoussa, Yorouba et Igbo), le choix des candidats est plus souvent basé sur sa région d’origine ou sa religion. Mais avec deux principaux candidats Haoussas et musulmans du Nord, « rien n’est encore joué », prévient un conseiller politique qui a tenu à garder l’anonymat. « Le scrutin va se jouer dans un mouchoir de poche ». Pour l’emporter, il faut obtenir la majorité des voix au niveau fédéral et au moins 25% des suffrages dans au moins 2/3 des Etats, soit 24 sur 36.
Une configuration dans laquelle le choix des colistiers joue un rôle déterminant. Buhari l’a bien compris en misant de nouveau sur le très populaire Yemi Osinbajo. Présent sur les fronts économiques et sécuritaires dans le sud-est pendant les longues absences du président sortant, ce pasteur Yoruba de 61 ans a su asseoir une image d’homme compétent, efficace et intègre. Des qualificatifs également attribués à Peter Obi, le vice-président d’Atiku Abubakar. Cet ancien gouverneur du Sud-Est (Etat d’Anambra) jouit d’une réputation de technocrate, spécialiste des dossiers économiques, même si en interne ce choix d’un chrétien de l’ethnie Igbo fait grincer des dents et surprend par son calcul stratégique. « La région est traditionnellement acquise au PDP et devrait donc majoritairement voter pour Atiku Abubakar », décrypte Benjamin Augé, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI).
De son côté, Buhari pourra capitaliser sur son aura dans le Nord. En 2015, il y avait remporté un très grand nombre de voix, jusqu’à 90% des suffrages dans certains Etats. Une manne électorale d’autant plus précieuse que la majorité des 14.5 millions d’électeurs supplémentaires comptabilisés dans le nouveau fichier électoral est issue des Etats de Kano, Borno, Bauchi, Katsina, etc. C’est là que tout devrait se jouer. « Si Muhammadu Buhari a perdu du terrain au niveau national, il reste extrêmement populaire dans le Nord », indique Benjamin Augé. « La question est maintenant de savoir dans quelle mesure ses anciens alliés de 2015 issus de ces Etats et qui ont depuis migré dans l’opposition, seront à même de capter une partie de ces voix au profit d’Atiku Abubakar ». Autre inconnue : le comportement des électeurs du Sud-Ouest. Bastion historique de l’ACN, membre de la coalition de l’APC, la région Yoruba est aussi celle où le taux d’abstention est traditionnellement le plus important. Malgré le fort mécontentement que Buhari a fait naître dans le milieu des affaires et auprès d’une population urbaine et éduquée, rien ne garantit que cela se reporte sur son rival.
Le spectre d’une faible participation
Illustration de cette amertume et d’une certaine défiance vis-à-vis de la vieille garde politicienne : la sortie du prix Nobel de littérature nigérian, Wole Soyinka, fin janvier. « Je veux qu’il n’y ait aucune ambiguïté », a-t-il déclaré au cours d’une conférence à Lagos « je ne voterai ni pour l’un ni pour l’autre ». Figure très respectée, l’écrivain -qui avait donné sa voie à Buhari en 2015- estime qu’ils méritent tous deux « un rejet absolu », et appelle les 84 millions d’électeurs à trouver une troisième voie, grâce aux 71 autres candidats.
Une option qu’entend concrétiser l’ancienne ministre Oby Ezekwesili depuis son retrait de la course à la présidentielle. La cofondatrice de l’ONG anticorruption Transparancy Internationale et du mouvement Bring Back Our Girls, a choisi de ne plus se présenter pour se « concentrer sur la construction d’une véritable coalition » d’opposition. Mais aucun nom n’a été rendu public jusque-là. Et pour les analystes, il est peu probable que les petits partis politiques jouent un rôle significatif dans ce scrutin. « A l’image de 2015, on risque surtout d’avoir un très faible taux de participation », résume Benjamin Augé. « Que ce soit Atiku ou Buhari, ni l’un ni l’autre des principaux candidats ne fait rêver les Nigérians ».
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Pourquoi les élections au Nigeria sont-elles importantes ?
Ce géant africain s’apprête à élire un nouveau président et un parlement, le 16 février. Voici tout ce que vous devez savoir sur cette puissance africaine incontournable et les enjeux de ces élections.
C’est le pays le plus peuplé d’Afrique avec 180 millions d’habitants. Le Nigeria, un poids lourd démographique et économique – la première puissance en Afrique subsaharienne -, compte beaucoup dans le continent.
Entouré par le Bénin, le Cameroun, le Niger et le Tchad, ce pays anglophone enclavé dans une région essentiellement francophone est une puissance régionale de premier plan en Afrique de l’Ouest.
Le Nigeria joue par exemple un rôle essentiel au sein de l’Union africaine (UA) et de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), dont le siège se trouve à Abuja.
Il est également l’un des plus importants contributeurs, en termes d’effectifs, aux missions de maintien de la paix sous l’égide de l’ONU. Confronté au groupe djihadiste Boko Haram, il a renforcé sa coopération avec les autres pays de la région, sur le plan sécuritaire.
Pour toutes ces raisons, l’Afrique aura les yeux tournés vers le scrutin du 16 février. Les Nigérians sont attendus aux urnes pour des élections générales. Ils voteront notamment pour réélire Muhammadu Buhari ou élire un autre candidat.
Muhammadu Buhari, le président actuel, se représente pour un second mandat. En 2015, il s’est fait élire sur une promesse, celle de faire table rase du passé.
Lutter contre la corruption, booster l’économie et défaire l’insurrection de Boko Haram ont été ses principales promesses de campagne. Ce qui lui a valu d’être le premier opposant nigérian à battre un président sortant.
Mais aujourd’hui, quel est le bilan de Muhammadu Buhari ? A-t-il réussi à tenir ses promesses ?
Un bilan mitigé
Difficile pour un cacique de la scène politique nigériane de faire peau neuve sans se débarrasser totalement des carcans du passé.
Rigueur et inflexibilité font notamment partie de la panoplie, selon plusieurs critiques, mais ce sont ces mêmes attributs qui ont séduit les électeurs il y a quatre ans.
Et Muhammadu Buhari n’a pas hésité à s’en servir dans son combat contre la corruption et la lutte contre Boko Haram.
Pourtant, la tâche ne s’est pas avérée simple. Dès son accession au pouvoir, le Nigeria a été en récession à cause de la baisse du prix du baril de pétrole. Cette dépendance du pays du secteur pétrolier n’a pas été sans conséquences.
La monnaie locale, le naira, s’est effondrée, ce qui a entraîné une grave pénurie de devises étrangères pendant la première année de son mandat.
Le chômage a aussi doublé dans un pays déjà très inégalitaire, où les deux tiers de la population vivent sous le seuil de pauvreté. C’est un paradoxe dans la mesure où le Nigeria possède d’exceptionnelles ressources en hydrocarbures.
Muhammadu Buhari est parvenu toutefois à encourager les investissements dans l’agriculture et les projets d’infrastructures.
Et sur le plan sécuritaire, l’armée nigériane a réussi à regagner du terrain face à Boko Haram, qui cherche à renverser le pouvoir en place pour instaurer un État islamique. Cependant, des attaques récentes ont mis en évidence la fragilité de ces acquis.
Lire aussi : Boko Haram a-t-il été vaincu ?
Deux candidats septuagénaires
Cet ancien général a une solide réputation d’incorruptible, mais il a été récemment accusé d’utiliser la justice comme un instrument politique dans le but de neutraliser ses adversaires.
En janvier dernier, il a suspendu le président de la Cour suprême du Nigeria, Walter Onnoghen, lui reprochant, officiellement, d’avoir omis de déclarer ses biens personnels avant de prendre ses fonctions en 2017. Muhammadu Buhari a rejeté tout lien entre la suspension et les élections à venir.
Lire aussi : Au Nigeria, Buhari suspend le président de la Cour suprême
En 1983, il s’était déjà hissé à la tête du Nigeria après un coup d’État contre le gouvernement élu de Shehu Shagari. Le régime avait régné avec une main de fer pendant vingt mois jusqu’à sa chute, après un autre coup d’Etat organisé par le chef des armées, le général Ibrahim Babangida.
Depuis 2017, le président Muhammadu Buhari s’est souvent absenté du Nigeria pour recevoir des soins médicaux. L’homme âgé de 76 ans a toujours entretenu le secret concernant la nature de sa maladie, mais il a été forcé de démentir qu’il avait engagé un sosie pour le remplacer lors d’événements publics.
Les deux principaux candidats à l’élection présidentielle sont septuagénaires, mais la jeunesse – très relative d’Atiku Abubakar, âgé de 72 ans – contrairement aux rumeurs autour de la santé du président sortant -, est considérée comme ”un atout” dans un pays où la majorité de l’électorat a moins de 40 ans.
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Économie et lutte contre la corruption, les enjeux de la campagne
Sous les couleurs du parti au pouvoir, le Congrès des progressistes (l’APC), Muhammadu Buhari compte sur une base électorale solide : la population pauvre du nord du Nigeria, majoritairement musulmane, dont lui-même est issue. Son colistier, Yemi Osinbajo, pasteur populaire du sud du pays, est aussi l’une de ses cartes maîtresses pour conquérir l’électorat chrétien.
Face au président sortant, un autre cacique de la scène politique nigériane, lui-même venu du nord du pays : l’ancien vice-président Atiku Abubakar. Le candidat du principal parti d’opposition, le Parti démocratique du peuple (PDP), tente de récupérer les voix de Muhammadu Buhari. Et particulièrement celle de ”la jeunesse éduquée urbaine qui a vu son revenu fondre ces dernières années”, selon Cheta Nwanze, un spécialiste de la politique nigériane.
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Cet ancien haut fonctionnaire dans l’administration des douanes, qui a tenté en vain de briguer plusieurs fois la présidence, est aussi un homme d’affaires chevronné. Il a fait fortune dans le secteur pétrolier et est connu pour ses œuvres de bienfaisance.
Pourtant, cela n’empêche pas ses détracteurs de rappeler les soupçons de corruption et de conflits d’intérêt qui pèsent sur lui. Des soupçons incompatibles, selon eux, avec la fonction suprême…dans un pays où la corruption est endémique. Atiku Abubakar a toujours rejeté ces accusations.
Voir aussi : Au Nigeria, la mainmise des “parrains” sur le jeu politique
De 1999 à 2007, lorsqu’il était vice-président, sous le double mandat d’Olusegun Obasanjo, le richissime homme d’affaires a supervisé une série de politiques de privatisation. Il s’attribue, notamment dans son autobiographie, les réformes du secteur bancaire, la libéralisation du secteur de la téléphonie mobile et le boom économique qui a permis au Nigeria de rembourser une grande partie de sa dette.
Lire aussi : Au Nigeria, un débat présidentiel sans Buhari
Selon les critiques, Atiku Abubakar est un libéral convaincu. Mais l’opposant espère pouvoir bel et bien gagner grâce aux électeurs déçus de l’économie, sous le mandat de Muhammadu Buhari, en ”remettant le Nigeria au travail”. Cependant, le président sortant n’a pas dit son dernier mot et est déterminé à se servir de son image de ”président anti-corruption”.
Ce qui est sûr et certain, c’est que les enjeux économiques font partie des principales préoccupations des Nigérians. Reste à savoir si la population, désabusée, est encore assez motivée pour se mobiliser lors du scrutin du 16 février. Les experts craignent une faible participation des électeurs.
Source : BBC