Editorial. La Cour européenne des drois de l’homme a condamné la France pour avoir soumis des détenus à des « traitements inhumains ou dégradants ». Un arrêt qui vient sanctionner la schizophrénie de la politique carcérale française.
Editorial du « Monde ». Trois personnes vivent entassées dans 9 m2, des matelas ajoutés jouxtent la cuvette des W-C, parfois des rats traversent les coursives, et les punaises colonisent les lits. L’état de surpopulation de certaines prisons françaises n’est pas digne du pays des droits de l’homme. Le constat n’est pas nouveau. Mais la condamnation infligée à la France, jeudi 30 janvier, par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour avoir soumis des détenus à des « traitements inhumains ou dégradants » et enfreint leur « droit à un recours effectif » contre cette maltraitance, sonne comme un nouveau et humiliant rappel à l’ordre.
Déjà condamnée sur plusieurs cas individuels, la France se trouve cette fois montrée du doigt pour une situation endémique. En décidant de joindre les plaintes de trente-deux détenus soutenus par l’Observatoire international des prisons, la Cour de Strasbourg, gardienne des droits de l’homme depuis l’après-guerre, sanctionne des années, voire des décennies, de cécité et d’impuissance politique. Après l’Italie, la Roumanie et la Hongrie, la CEDH presse la France de faire cesser cette situation, et sa politique carcérale est de fait placée sous surveillance.
La menace de cette condamnation planait depuis des années. Emmanuel Macron avait même, peu après son élection, été le premier président français à prendre la parole devant les juges de Strasbourg pour les convaincre de sa volonté de mettre fin à « une surpopulation chronique ». La loi de programmation pour la justice adoptée en mars 2019 est d’ailleurs largement inspirée par la volonté de réduire la tension dans les prisons. Mais les dispositions qu’elle prévoit dans ce sens – suppression des courtes peines, développement des alternatives à l’incarcération – n’entreront en vigueur qu’en mars prochain. « On fait de la prison l’antichambre de la récidive, (…) un lieu où la violence que l’on devait endiguer et apaiser fermente et se multiplie », avait analysé justement M. Macron, en présentant le texte.
Construction de 7 000 nouvelles places d’ici à 2022
Il est à souhaiter que cette réforme produise davantage d’effets que les précédentes, animées par les mêmes bonnes intentions, mais restées vaines, comme celle portée en 2014 par l’ancienne garde des sceaux Christiane Taubira. Car la situation actuelle est intenable, comme l’a montré le mouvement de colère des surveillants de prison au début de 2018, le plus dur observé depuis un quart de siècle. Avec 70 818 détenus pour 61 065 places, la France n’est pas loin du pic absolu de 71 800 depuis la Libération qu’elle avait atteint en avril 2019. L’annonce de la construction de 7 000 nouvelles places d’ici à 2022 n’est pas de nature à rassurer. Depuis trente ans, on n’a pas cessé d’édifier de nouvelles prisons sous prétexte de désengorgement, et l’on n’a pas cessé de les remplir aussitôt.
Pour sortir de ce cercle vicieux, la société française, marquée par l’œuvre d’un Victor Hugo, mais sujette aussi aux émotions médiatiques, doit rompre avec cette attitude schizophrène qui consiste à reconnaître, voire à dénoncer, l’inefficacité de l’incarcération, tout en réclamant des peines plus fortes à chaque fait divers retentissant, ou même de nouvelles incriminations punies d’emprisonnement. Si les prisons restent surpeuplées, c’est que l’idée selon laquelle elles doivent être des lieux de souffrance domine. Il appartient aux responsables politiques de rappeler que la privation de liberté vise à écarter des individus dangereux et à éviter la récidive, pas à priver des êtres humains de leurs droits fondamentaux ni de leur dignité.