Le Tribunal militaire de Yaoundé a décidé, le 16 décembre 2019, que le procès des sept militaires camerounais – inculpés de « coaction d’assassinats, violation de consigne et complicité des mêmes faits » dans l’affaire des deux femmes et leurs deux enfants exécutés sommairement dans l’Extrême-Nord en 2015 – se déroulerait à huis-clos à partir du 20 janvier 2020.
Une telle décision de ne pas rendre public un tel procès – après avoir tenté en vain, en juillet 2018, de discréditer la vidéo montrant ces exécutions – est gravement préoccupante et laisse planer le doute sur la réelle volonté des autorités camerounaises de juger de manière indépendante, impartiale et transparente les auteurs de graves violations des droits humains au sein de ses forces de défense et de sécurité, d’autant plus que d’autres vidéos toutes aussi choquantes ne semblent pas encore avoir fait l’objet d’enquêtes poussées (ex : les exécutions sommaires d’une dizaine de personnes à Achigaya en janvier 2015).
Afin de montrer aux Camerounais que les autorités n’acceptent plus ce genre de pratiques, il est primordial que le procès soit public, qu’il y ait des observateurs indépendants (défenseurs des droits humains camerounais et internationaux, membres des chancelleries, personnel des Nations unies, journalistes, etc.). C’est également un message adressé à la communauté internationale comme quoi l’impunité n’a plus court au Cameroun.
La Présidence de la République du Cameroun, qui a nommé par décret les membres de ce tribunal et qui par conséquent a un pouvoir sur cette instance judiciaire, doit faire en sorte que ce premier procès symbolique de membres des forces de défense et de sécurité camerounaises ne se tienne pas à huis clos.
CONTEXTE
La vidéo apparaît le 10 juillet 2018 sur les réseaux sociaux. Deux femmes et deux enfants en bas âge sont conduits en dehors d’un village par des hommes en armes soupçonnés d’être des militaires camerounais. Les quatre victimes sont agenouillées au bord d’un chemin et criblées de balles. Cette vidéo devient virale et suscite l’émoi dans le monde entier. Le lendemain, le gouvernement camerounais s’empresse de dénoncer une « fake news » et un « horrible trucage » tout en annonçant l’ouverture d’une enquête. Le 12 juillet, Amnesty International apporte des preuves irréfutables : « Une analyse approfondie des armes, des dialogues et des uniformes, associée à des techniques de vérification numérique et à des témoignages recueillis sur le terrain, laisse fortement à penser que les auteurs des exécutions sont des militaires camerounais ». La vidéo a été tournée en 2015, dans l’Extrême-Nord, dans la localité de Zeleved, non loin de la frontière nigériane. Un mois plus tard, les autorités camerounaises reconnaissent les crimes et annoncent l’arrestation de sept militaires, qualifiés de « soldats égarés ». Ils sont inculpés pour « coaction d’assassinats, violation de consigne et complicité des mêmes faits ». Six soldats sont accusés d’avoir commis les faits. Le septième, un capitaine, est présenté comme complice.
Leur procès devant le Tribunal militaire de Yaoundé aurait dû s’ouvrir au cours de la semaine du 19 août 2019. Mais en raison de l’indisponibilité du juge, il a été reporté une première fois au mardi 27 août. Puis, à nouveau, renvoyé à la mi-septembre du fait l’indisponibilité de la présidente… Le 21 octobre 2019, lors de leur première prise de parole devant le tribunal, le capitaine Etienne Fabassou, le sergent Cyriaque Bityala, les caporaux Didier Jeannot Godwe Mana et Jonathan Manasse Djakobei, les soldats de première classe Jean Baptiste Tchanga Chiengang, Barnabas Donssou Gorvo et Ghislain Landry Ntieche Fewou ont plaidé « non coupables ». Le 4 novembre, leurs avocats ont introduit une demande de procès à huis clos, ce qui a été accepté lors de l’audience du 16 décembre 2019. A partir du 20 janvier 2020, les audiences se tiendront dorénavant à huis-clos. Le grand public ne pourra plus assister aux débats. Une telle situation va priver les Camerounais de la transparence requise et de l’accès à l’information. Au lieu de renforcer la redevabilité et l’État de droit, cette décision jette l’opacité sur la suite de ce premier procès symbolique de militaires camerounais ayant commis de graves violations des droits humains.