Jeudi dernier s’est ouvert au Tribunal militaire de Yaoundé la série d’audiences consacrées à l’audition des témoins de l’accusation. Deux officiers des forces de sécurité ont été entendus. Tous deux sont revenus sur les évènements du 08 décembre à Bamenda.
L’officier de police principal Yenkong Housseni et le colonel Beyene Guy ont été entendus, sur les violences survenues dans les régions anglophones du pays entre novembre et décembre. Ils ont comparu en qualité de témoins du ministère public et sont revenus sur la journée du 08 décembre 2016, au cours de laquelle, une montée de violence avait empêché la tenue d’un meeting du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
La situation s’était envenimée dans le chef-lieu de la région du Nord-Ouest. Des actes de vandalisme, d’une «rare violence», selon des sources sur place, avaient animé la ville anglophone où, deux mois plus tôt, avocats et enseignants avaient engagé des mouvements d’humeur corporatistes. Des dizaines de jeunes y avaient dressé des barricades sur les principales artères de Bamenda, mettant symboliquement le feu à des tenues du RDPC.
L’officier de police Yenkong Housseni se trouvait ce jour-là au lieu-dit «commercial avenue», censé accueillir la marche du parti au pouvoir. Il a relaté ces évènements devant 27 manifestants – dont deux leaders du Consortium de la société civile du Cameroun occidental – jugés pour des faits de terrorisme.
«À ce moment-là, j’assumais les charges de commissaire par intérim au 3e arrondissement. Donc le matin du 08 décembre, je suis arrivé à la commercial avenue à 8h45. Il y avait des manifestants qui tentaient de perturber la réunion du RDPC. Donc les éléments des forces de défense et de sécurité présents tentaient de les empêcher d’investir les lieux. Les gens lançaient toutes sortes de projectiles sur nous. J’y suis resté jusqu’à ce qu’on m’annonce, à 10h15, que notre poste est attaqué. J’ai décidé d’y aller, mais les gens m’ont conseillé de ne pas le faire de peur de me faire lyncher par la foule. J’ai emprunté un raccourci et je suis arrivé au poste. Sur place j’ai trouvé une foule de plus de 600 personnes attroupées, le poste avait été vandalisé et les deux éléments qui s’y trouvaient étaient retenus en otage. Les manifestants exigeaient qu’ils ouvrent les cellules pour libérer tous les prisonniers.
J’ai sorti mon arme et j’ai commencé à tirer en l’air pour tenter de disperser les manifestants. Ça a marché, les gens fuyaient et moi je me suis mis à courir pour entrer dans le bâtiment malgré que les manifestants continuaient à me lancer des cailloux. Une fois à l’intérieur j’ai ouvert la porte de la salle qui contenait les armes et c’est ainsi que moi et les deux éléments on a commencé à tirer en l’air pour décourager la foule. Nous avons constaté que les premiers rangs étaient formés des enfants de 13 ou 14 ans. Les adultes étaient derrière nous avons continué à tirer en l’air. Pendant qu’on en était là, près de deux cent personnes sont arrivées en renfort à la foule tenue dehors. Ils portaient un corps, ce qui a fait que les gens sont devenus encore plus hystériques, ils lançaient toujours des projectiles et nous à un moment on a manqué de munitions. J’ai donc fait appel à une couturière qui a son atelier juste à côté du poste. C’est elle qui nous a fait parvenir des kabas (tenue traditionnelle féminine), nous avons enlevé nos uniformes et nous nous sommes habillés comme des femmes. C’est ainsi qu’on a pu sortir et échapper aux assaillants. Tout le poste a été saccagé, les assaillants ont volé tous les objets de valeur, des véhicules et huit motos, ensuite ils ont mis le feu», raconte-t-il.
Le colonel Beyene Guy a également livré son expérience des mêmes évènements. Au moment des faits, il officiait en qualité de commandant de région de gendarmerie du Nord-Ouest. Il était sorti aux premières heures de la matinée pour la revue de ses troupes afin de s’assurer que le dispositif sécuritaire prévu était effectif.
«C’était le cas. Je suis remonté dans ma voiture pour aller à Grand stade. Sur la route j’ai été attaqué par des manifestants. Il y avait plus de 1000 personnes, C’était tous des bandits, des agresseurs, comme ils étaient un peu loin nous avons pu amorcer un virage et leur avons échappé. Ils lançaient des projectiles et criaient «Na them that (les voilà, NDLR». Ma voiture a été endommagée au niveau de la carrosserie, les vitres étaient cassées, moi-même j’ai été blessé. Ils avaient pété les plombs, tout le monde sait que je suis le commandant de la région mais ces gars m’ont agressé, ils m’ont humilié. Ce sont eux qui ont provoqué les éléments des forces. C’est grâce à Dieu que j’ai survécu», se souvient-il.
Selon des confrères présents au tribunal militaire jeudi dernier, le témoignage du colonel Beyene Guy a été ponctué par l’identification de Mancho Bibixy, alias Macho BBC, animateur radio initialement jugé aux côtés de Fontem Neba et Nkongho Agbor Bala, les leaders du Consortium, avant la jonction de procédure. «Je ne le connaissais pas avant, j’avais entendu parler de lui. Les gens disaient qu’il était un véritable phénomène. Je crois même que c’est Mancho qui a occasionné tout ce désordre en sortant avec son cercueil. D’ailleurs, je détiens même encore son cercueil dans mes services».
Quinze autres témoins de l’accusation doivent encore être entendus. Ils vont se soumettre, à leur tour, à l’interrogatoire du commissaire du gouvernement et de la partie civile – composée des victimes de cette crise et de la Délégation générale de la sureté nationale – avant de subir le contre-interrogatoire du conseil de la défense. L’audience est reportée au 31 août prochain pour poursuite des auditions des témoins.
Par Otric NGON | Cameroon-Info.Net
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Crise anglophone – Eric Chinje: «Si on avait appliqué la décentralisation en 1996 le problème anglophone n’aurait jamais existé»
L’ancien rédacteur en chef de la télévision nationale croit que seule l’implication personnelle du président Paul Biya peut mettre un terme à la tension qui a cours dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest.
Quand Eric Chinje parle de la crise anglophone, il est triste. L’ancien rédacteur en chef de la télévision a dit son amertume jeudi 27 juillet 2017 dans « Entretien avec » le programme que la télévision privée diffuse tous les jeudis à 22 heures. « Je parle du fond de mon cœur. J’aimerais que le Cameroun reste comme a dit le chef de l’Etat un et indivisible. Ceux qui vous disent que les anglophones sont des Camerounais à part entière vous racontent des histoires. Il y a des plaies des problèmes assez fondamentaux qu’il faut régler. Ce sont des problèmes qui durent depuis des décennies. Ne tournons pas en rond. Je vais aider ce pays. Si on avait appliqué la décentralisation en 1996 je suis convaincu que le problème anglophone n’aurait jamais existé. Je sais à quel point le premier ministre Philemon Yang s’est battu pour régler ce problème », a-t-il déclaré au moment d’aborder le sujet « crise anglophone ».
Eric Chinje a dit que le ministre Paul Atanga Nji n’avait pas raison lorsqu’il a affirmait que les ressortissants du Sud-Ouest et du Nord-Ouest n’ont pas de problèmes. Il se désole du fait que les anglophones n’aient pas souvent occupé des postes ministériels importants. Eric Chinje relève que la vingtaine de mesures prises pas le pouvoir de Yaoundé dans le but d’atténuer la colère des anglophones ne les satisfait pas entièrement. L’ancien communicateur de la banque mondiale explique que la question anglophone « est structurelle et peut-être sociale et culturelle ».
Le diplômé de la prestigieuse université d’Harvard croit que seule une intervention de Paul Biya dans la crise anglophone peut permettre de la résoudre. « Tant que le président de la République ne s’est pas impliqué de manière directe, ouverte je suis sûr que les anglophones vont continuer à revendiquer. Parce que tout ce qu’ils veulent c’est que le père de famille leur dise « ok il y a un problème j’ai pris acte revenez et on va le régler ». Il suggère au chef de l’Etat soit d’aller sur place rencontrer les mécontents soit de les inviter au palais de l’unité.
Eric Chinje relève que depuis 1984 et l’instauration de la « République du Cameroun » en lieu et place de la « République unie du Cameroun », les anglophones se sentent marginalisés. Ce qui donne aux partisans de la sécession basés pour la plupart à l’étranger des arguments qui trouvent l’assentiment de ceux qui sont restés au pays. Eric Chinje croit que « la détention des leaders anglophones aggrave chaque jour un peu plus la situation ». Les arrestations sont selon lui une des nombreuses erreurs commises par le gouvernement dans la gestion de cette crise. C’est pourquoi il demande la libération immédiate des personnes détenues. L’ancien journaliste pense que si rien ne change les anglophones n’iront pas voter l’année prochaine.
Par Pierre Arnaud NTCHAPDA | Cameroon-Info.Net