Le procès de Laurent Gbagbo devant la Cour pénale internationale est reporté après deux jours et demi d’audience. Une pause annoncée ce mercredi suite à la demande des avocats de l’ancien président ivoirien. Ils veulent préparer leur réponse face à une accusation qui martèle que Laurent Gbagbo a joué un rôle central dans la planification des violences commises contre les partisans d’Alassane Ouattara lors de la crise post-électorale de 2010-2011.
Avec notre envoyé spécial à La Haye, Pierre Firtion
Cuno Tarfusser, le juge président, a répondu favorablement à la demande des avocats de la défense de reporter l’audience pour préparer leur réponse. L’un des conseils de Charles Blé Goudé, jugé avec l’ex-président Gbagbo, a expliqué qu’il leur fallait du temps pour analyser notamment le mémoire de 1 100 pages rédigées en anglais par l’accusation. Une demande de report à laquelle s’est associée la défense de Laurent Gbagbo. L’audience se tiendra donc du 12 au 15 et du 19 au 20 novembre prochain.
Intervention de la représentante légale des victimes
Avant cette annonce, la représentante légale des victimes est intervenue. Paolina Massidda a défendu la thèse de l’accusation, à une exception toutefois. Elle s’est dit en désaccord sur l’abandon de charges contre Charles Blé Goudé pour les crimes présumés commis à Abobo en mars 2011, à savoir la répression d’une manifestation de femmes et le bombardement d’un marché.
« Monsieur Blé Goudé a établi et organisé une structure qui permettait l’exécution d’un plan commun et qui a permis de commettre des crimes les 3 et 17 mars 2011 », a estimé la représentante légale des victimes. « En s’assurant de l’allégeance de la jeunesse et en les galvanisant, en agissant en tant qu’intermédiaire essentiel entre la jeunesse et monsieur Gbagbo, en diffusant des instructions par diverses voies », a énuméré Paolina Massidda, l’ancien ministre de Laurent Gbagbo s’est bien rendu coupable, selon elle, des crimes reprochés.
« Les victimes ont confiance »
La représentante légale des victimes qui a conclu en appelant à la poursuite de ce procès alors que la défense demande l’acquittement, avant même d’avoir présenté ses témoins : « Les victimes participant à ce procès se sont souvent plaintes du fait qu’elles avaient été abandonnées par le gouvernement ivoirien, et que la procédure judiciaire entreprise en Côte d’Ivoire contre les auteurs allégués des crimes dont ils ont souffert pendant la crise post-électorale n’ont pas eu comme conséquence la vérité ou la justice. Ils ont maintenant l’impression qu’ils pourraient connaître le même sort devant cette Cour. Les victimes font confiance en l’aptitude de la Cour à rendre justice. Toutefois, si ce procès ne se poursuit pas, une fois de plus les victimes seront abandonnées. Une fois de plus, elles se sentiront trahies ».
L’accusation a, de son côté, achevé ce matin de présenter ces arguments.
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Procès Gbagbo et Blé Goudé: l’accusation en difficulté
A La Haye, au procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, la parole est depuis deux jours à l’accusation, qui a répété mardi qu’un plan commun, destiné à Laurent Gbagbo, avait été mis en place pour éliminer des civils pro-Ouattara. Mais l’accusation se heurte à une difficulté : parvenir à prouver que les exactions commises sont un crime contre l’humanité.
Avec notre envoyé spécial à La Haye, Pierre Firtion
Le substitut du procureur avait certes marqué des points mardi matin, lorsqu’il avait lu un extrait du discours prononcé à Divo par Laurent Ggagbo le 27 août 2010. Discours dans lequel le président ivoirien en exercice avait lancé aux CRS, « s’il y a des dégâts, les juges après rétabliront ».
« Laurent Gbagbo a incité les forces qui lui étaient loyales à commettre des crimes », en a alors conclu Eric MacDonald. Mais malgré cela les éléments mis en avant par l’accusation pour tenter de prouver le crime contre l’humanité sont apparus plus fragiles. Car, pour caractériser un tel crime, il faut démontrer l’existence d’un plan concerté du pouvoir pour éliminer les civils pro-Ouattara.
Or, sur ce dernier point, Eric MacDonald est en apparu en difficulté, ayant du mal à démontrer que ces éliminations de civils avaient un caractère systématique. Quant à une présumée planification de ces exactions, le substitut du procureur a admis qu’il n’existait pas de preuve écrite de son existence. Et l’argument selon lequel ce plan aurait été concocté lors de réunions régulières entre Laurent Gbagbo et son entourage immédiat est apparu pour le moins léger.
La défense avait d’ailleurs répondu il y a quelques mois qu’il était normal que le président ivoirien réunisse ses proches en période d’instabilité.
L’accusation maintient ses accusations envers Charles Blé Goudé
Le substitut du procureur a confirmé qu’il retirait ses accusations contre Charles Blé Goudé pour les crimes commis à Abobo en mars 2011, à savoir la répression d’une manifestation de femmes et le bombardement d’un marché. Mais Eric MacDonald a aussitôt ajouté que cela ne modifiait pas de façon substantielle les crimes reprochés à l’ancien ministre de Laurent Gbagbo.
Aux yeux de l’accusation, ce dernier s’est non seulement engagé dans un effort soutenu pour mobiliser les jeunes afin qu’ils commettent des actes violents, mais les instructions qu’il leur a données avant plusieurs incidents ont eu un effet direct sur la commission des crimes.
« Le 24 février 2011, monsieur Blé Goudé prononce un discours pour les jeunes, sur la télévision nationale, à 20h. Dans ce discours, il appelle tous les jeunes de la Côte d’Ivoire d’empêcher les convois des Nations unies de sortir de la commune d’Abidjan », rappelle Eric MacDonald. « Puis, le 25 février 2011, monsieur Blé Goudé, sur la RTI, exhorte les jeunes pro-Gbagbo à monter sur des barricades et à commettre des actes de violence. On note que monsieur Blé Goudé demande aux jeunes de contrôler les allées et venues dans leur quartier. Ils ont pour mission de rapporter toute présence ou arrivée d’étrangers. »
Pour le substitut du procureur, Charles Blé Goudé était un intermédiaire essentiel entre le président ivoirien de l’époque et les jeunes pro-Gbagbo. Mais, là encore, la démonstration de l’accusation s’est fragilisée au moment de prouver que les exactions commises contre les civils pro-Ouattara étaient systématiques et qu’elles résultaient d’un plan concerté.
L’accusation avancera ses derniers arguments ce mercredi matin, avant que n’interviennent les représentants des victimes.
- (Re)lire : Procès Gbagbo, selon Stéphanie Maupas, « il n’y aura pas de décision avant plusieurs mois »