‘‘C’est dans l’intérêt de la défense que je le fais. J’ai mis mon égo de côté. Et au-delà, le temps accordé à mes confrères – Me Alice Nkom et Me Ashu – pour s’imprégner du dossier était assez court’’
Quelques unes des raisons de sa déconstitution sont vraisemblablement contenues dans la lettre ouverte qu’il a adressée au Président de la République du Cameroun M. Paul BIYA le 30 Avril 2015, et que nous reproduisons ici dans son intégralité:
LETTRE OUVERTE À MONSIEUR LE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE – PAR MAÎTRE CLAUDE ASSIRA ENGOUTE*
Excellence, Monsieur le Président de la République,
Fils d’un ancien haut magistrat qui a fait honneur à la Justice de ce pays, j’ai, après des études couronnées par un Doctorat en Droit pénal et Sciences criminelles de l’Université Panthéon-Assas (Paris 2), l’une des plus prestigieuses universités de droit françaises, exercé comme Avocat au Barreau de Paris de janvier 1998 à novembre 2009, avant de décider, alors que rien ne m’y contraignait, de rentrer au Cameroun, pour tenter d’y apporter ma modeste contribution à la reconstruction du Cameroun que j’aime par-dessus tout, parachevant ainsi le processus initié avec mon inscription au Barreau (du Cameroun) en Mars 2004.
De fait, depuis 2007-2008, j’interviens comme Avocat de plein exercice au Cameroun. A cet égard, par la présente, j’ai le devoir d’attirer l’attention du Président de la République sur la détresse et la désolation dans laquelle se trouvent actuellement les citoyens épris de cette Justice dont vous êtes le Garant constitutionnel de l’indépendance.
Correspondance similaire vous ayant été adressée sans suite, sous la forme conventionnelle le 30 mai 2012, j’ai choisi de vous faire parvenir la présente sous forme de lettre ouverte. Alors que, en conformité avec vos discours qui appellent à une Justice juste, indépendante et objective, vous avez fait adhérer le Cameroun aux différentes Conventions qui consacrent et instituent l’indépendance de la magistrature comme un principe républicain sacré, notre Justice n’a pas cessé, au fil des années, sans qu’aucune des autorités instituées ne semble s’en inquiéter, de se muer en instrument de règlement de comptes, au service de certains.
A titre d’illustration, dans certains dossiers, notamment, ceux concernant les atteintes à la fortune publique encore appelés dossiers de l’«Opération Épervier », la Justice est tant devenue ferment de l’absurde, de l’incompréhension et de l’arbitraire, que seule compte la condamnation de ceux qui sont désormais présentés à la vindicte.
Comment convaincre l’opinion que seule la Justice est recherchée lorsque dans certains dossiers – souvent les mêmes dossiers d’atteintes à la fortune publique – les condamnations paraissent imposées d’avance, dictées par des paramètres étrangers aux griefs imputés aux personnes poursuivies?
Comment justifier juridiquement et légalement que lorsque ces personnes sont acquittées par la Justice qui a été mise en œuvre pour les juger, elles ne sont pas remises en liberté ? Le Président de la République et le Ministre de la Justice, garde des Sceaux, dûment interpellés le 30 mai 2012 sur une de ces anomalies criardes sont restés muets alors qu’il s’agissait d’une violation grave de droits individuels, imputable à des autorités ayant précisément le devoir et la mission de faire respecter la Justice.
Comment peut-on expliquer que lorsque certains magistrats veulent faire correctement leur travail, ils sont muselés ou indirectement sanctionnés ? Tel a été le cas pour tous les magistrats qui, au bout de procédures contradictoirement menées, agissant selon leur conscience et selon la loi, ont acquitté en instance ou devant la Cour suprême les personnes qui leur étaient déférées à tort. Cette façon de faire crée, et cela est perceptible, démotivation et auto-dévalorisation.
Comment expliquer que lorsque la plus haute juridiction de ce pays fait une proposition d’arrêt susceptible d’être favorable à un accusé, la machine et les moyens colossaux de l’État sont mis en œuvre pour empêcher cette occurrence(modification de la composition de la juridiction, mise à l’écart martiale de magistrats irréprochables, compétents et audacieux,etc.)?
Comment expliquer que des règles élémentaires garantissant l’éthique et l’équité soient si allègrement foulées aux pieds, de sorte que des magistrats qui ont été principaux accusateurs comme procureurs généraux de Cour d’appel, se retrouvent désormais à juger ceux qu’ils accusaient naguère? Quelle impartialité peut-elle être attendue d’eux?
Et que dire de l’arbitraire des décisions d’arrêt de poursuites, malgré la restitution du « corpus delicti »?
Que dire enfin de la perception que le citoyen camerounais a de sa Justice ainsi malmenée ?
Par tout temps et dans tous les pays, la Justice a été le ciment de l’Unité nationale à laquelle le Gouvernement camerounais dit tenir. Or, toutes les anomalies ci-dessus décriées sont caractéristiques d’injustice et de violence. Pour Jean-Baptiste-Henri Dominique Lacordaire (1802-1861), religieux dominicain considéré comme un précurseur du catholicisme moderne et de la démocratie chrétienne, L’injustice appelle l’injustice ; la violence engendre la violence. C’est donc le ciment de la haine et de la discorde que nous sommes en train de mettre en place et dont notre pays risque, à l’instar de certains, de pâtir si le Garant de l’unité nationale que vous êtes n’en a pas conscience.
Enfin, pour la profession d’Avocat que j’ai choisie et que j’ai choisi de venir exercer au Cameroun, conformément à l’invitation au retour contenue dans vos discours, quel espoir d’épanouissement, dès lors que les dés sont d’avance pipés ? J’ai conscience que le principe de la séparation des pouvoirs est susceptible d’empêcher le Président de la République, Chef de l’Exécutif, d’intervenir directement dans les affaires relevant intimement du Pouvoir judiciaire, mais, dans le même temps, la Constitution institue le Président de la République Garant de l’indépendance de la Justice et, comme tel, garant des droits individuels de chaque citoyen camerounais.
J’ai donc le respectueux honneur de soumettre à votre bienveillante attention cette préoccupation et de solliciter votre intervention pour que nous revenions à la justice juste et équitable que ce grand pays qu’est le Cameroun mérite. En portant à votre connaissance ces faits, je souhaite, selon mon serment de défense et d’auxiliaire de justice m’assurer de votre complète information, mais je mesure et accepte, par avance le prix de cette démarche.
J’en appelle donc à votre haute autorité, pour que les institutions républicaines séculaires soient respectées. J’en appelle à votre haute autorité pour que les auteurs de violations graves au bon fonctionnement de nos institutions soient invités à respecter les décisions de l’autorité judiciaire.
J’en appelle surtout au Président de la République, chargé de veiller au respect de la Constitution, Président du Conseil Supérieur de la Magistrature,Garant des Institutions et de l’institution judiciaire, pour que la Justice soit respectée et mise en œuvre, dans toute sa force, qu’elle ait puni ou acquitté.
On ne peut substituer à la Justice de notre pays la vindicte, même si elle prend les allures de mesures juridico-judiciaires. Tous les justiciables, y compris les anciens collaborateurs du Chef de l’État aujourd’hui poursuivis dans le cadre de l’Opération Épervier et plus particulièrement Jean-Marie ATANGANA MEBARA dont j’assure spécifiquement la défense, doivent pouvoir bénéficier de la présomption d’innocence et être jugés, conformément au seul Code de procédure pénale récemment entré en vigueur dans notre Pays, lequel proclame solennellement que le juge se prononce selon sa conscience et selon la loi.
J’appelle de tous mes vœux à une Justice honorable, qui agit avec probité, juge avec célérité, respecte les verdicts, traite ses détenus avec humanité et dignité, garantit à tous ses Magistrats la noblesse due à leur lourde mission et notamment un exercice libre et indépendant de la fonction de juger.
Comptant sur votre compréhension habituelle. Je vous prie de bien vouloir agréer, Excellence, Monsieur le Président de la République, l’expression de ma considération distinguée.
Me Claude-Assira-Engoute – Avocat
Lire également: “Cameroun: Kafka sous les tropiques”, par Etienne Kunde, Slate Afrique 02/06/2012