Au moins Bernard Cazeneuve aura l’occasion inespérée d’interpeller directement Paul Biya, grand pourvoyeur d’exilés/réfugiés politiques et économiques en France, pendant la visite qu’il s’apprête à effectuer au Cameroun du 14 au 15 mai.
Espérons que le ministre de l’intérieur socialiste lui fera alors part du durcissement encours devant le Sénat de la loi sur l’asile en France, puis de l’instauration projetée des quotas pour les demandeurs d’asile entre les pays membres de l’Union européenne, précisément au grand dam des principales victimes du despote de Yaoundé.
Il est permis d’en douter.
Le Comité de Libération des Prisonniers Politiques au Cameroun (CL2P)
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Reconduites à la frontière : gauche ou droite, qui expulse le plus?
Le ministre de l’intérieur assure que la gauche pratique 13 % de reconduites à la frontière de plus que la droite. Les Décodeurs ont vérifié.
Par Samuel Laurent, Les Décodeurs, Le Monde.fr
Afficher sa fermeté en matière d’immigration, telle est la ligne suivie par le gouvernement Valls. Quitte à faire dans la politique du chiffre dénoncée jusqu’à l’élection de François Hollande par les mêmes socialistes.
Manuel Valls dénonçait en 2012 à son arrivée au ministère de l’intérieur les risques de « travers statistiques » induits par une politique du chiffre. Mais son successeur ne résiste pas à la tentation d’en donner un qu’il juge bon.
Invité lundi 11 mai de RTL, alors que la loi sur la demande d’asile entre en discussion au Sénat – le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, a ainsi vanté les mérites de la fermeté en matière de reconduites à la frontière, affirmant que la gauche faisait ici « mieux » que la droite.
Ce qu’il a dit: http://www.dailymotion.
« En matière de reconduite à la frontière, nous faisons 13 % de reconduites de plus pour les déboutés du droit d’asile depuis 2012, ce qui montre que nous sommes dans une démarche où l’on a à la fois plus d’humanité et plus de fermeté dans l’application des règles. »
Pourquoi c’est exagéré?
Selon Bernard Cazeneuve, depuis 2012, le nombre de reconduites à la frontière de personnes déboutées du droit d’asile aurait donc augmenté de 13 %.
Mais de quoi parle-t-on ? En réalité, comme l’avait démontré Libération dans un autre cas, on ne connaît pas précisément le nombre de déboutés du droit d’asile reconduits à la frontière, mais le nombre de reconduits quel que soit le motif. Le ministère ne renseigne pas le passif des reconduits, et n’a pas connaissance de leur statut précis.
1. Baisse d’un quart des reconduites à la frontière depuis 2012
Le ministère dispose en fait de données sur « l’éloignement des étrangers en situation irrégulière », qui montrent l’évolution des reconduites depuis 2009, quel qu’en soit le motif.
Les 13 % évoqués par M. Cazeneuve sont bien présents, mais ne concernent qu’une seule catégorie de ce total : les éloignements forcés. Ceux-ci sont passés de 13 386 en 2012 à 15 161, soit exactement 13,26 % de hausse.
Le ministère fournit une statistique détaillée pour 2013 et 2014, avec le type d’éloignements. On peut constater que ce sont les retours forcés de ressortissants de pays tiers (hors Union européenne) qui sont en nette hausse, de 39,9 % sur les deux années.
Mais ce que M. Cazeneuve ne précise pas, c’est que les deux autres catégories, à savoir les départs « spontanés » (sans intervention policière après une mesure d’éloignement) et les départs aidés (assortis d’une aide matérielle au retour au pays), eux, sont en baisse, respectivement de 70,12 % et 5,76 %.
De façon assez cohérente, le ministre ne reprend pas le mode de calcul que critiquait la gauche en 2012 (agréger reconduites forcées, spontanées et aidées). Mais appliquer ce mode de calcul peut se révéler instructif et ne va pas tout à fait dans le sens de M. Cazeneuve : avec un total de 27 606 expulsions en 2014, contre 36 822 en 2012, le recul est de 25 %.
La gauche a donc bien augmenté le nombre d’expulsions « policières » – des demandeurs d’asile déboutés et des autres, sans qu’on en connaisse la proportion –, mais réduit, parfois fortement, le nombre des autres types d’éloignement, ou du moins la méthode de comptage.
2. Hausse des demandes et des acceptations
M. Cazeneuve oublie par ailleurs de brosser un tableau complet de la situation. En réalité, le nombre de demandes d’asile vers la France est en hausse spectaculaire depuis 2007 (malgré un léger recul sur 2014). Et le nombre de demandes acceptées tend lui aussi à augmenter.
Ainsi, depuis 2012, le nombre de demandeurs d’asile a cru de 7,34 %. Or, mécaniquement, s’il y a plus de demandeurs et si on conserve le même taux de refus, on augmente le nombre de déboutés.
Autre élément à prendre en compte dans un tableau plus global : malgré le « plus de fermeté » de M. Cazeneuve, on est passés de 9 976 demandes d’asile acceptées en 2012 à 14 512 en 2014, soit une hausse de 45,5 %.
3. Combien coûte une reconduite?
2 186 euros par « reconduit » Autre élément à rappeler : une reconduite à la frontière n’est pas gratuite, loin de là. Dans un rapport de 2009, le Sénat estimait à environ 42 millions d’euros le coût des seuls frais d’éloignement (billets d’avion, de train ou de bateau), soit 2 186 euros par « reconduit ». Pour 2014, cela représenterait donc 33,14 millions d’euros, uniquement pour les transports.
Si on compte en sus le coût de fonctionnement des centres de rétention, des policiers affectés à ces missions, etc., on parvenait en 2009 à un total d’environ 415,2 millions d’euros, pour 13 908 éloignements forcés et 29 332 expulsions au total, contre 15 161 éloignements et 27 606 reconduites au total en 2014.
Une politique de « fermeté » qui a donc un coût certain. Et que certains ont longtemps dénoncé, notamment dans un petit livre distribué par le PS en 2011, et titré La France en libertés surveillées. On peut y lire des pages de réquisitoire contre la politique de Nicolas Sarkozy en matière d’expulsions, et contre « cette politique du chiffre qui donne lieu à de nombreux drames humains, comme les défenestrations de personnes sans-papiers arrêtées par la police ».
Il est d’ailleurs amusant de retrouver dans l’ouvrage du PS une citation de Nicolas Sarkozy qui, en 2006, estimait qu’en matière d’expulsions, il fallait « de l’humanité et pas simplement de la fermeté ». Les mêmes mots que ceux employés par M. Cazeneuve.
Samuel Laurent
Journaliste au Monde
Sur le même sujet: D’où viennent les demandeurs d’asile qui arrivent en France?, Les Décodeurs, Le Monde.fr