Le sommet de l’Union africaine s’est achevé, dimanche 31 janvier à Addis-Abeba, sur un certain nombre de décisions qui laissent perplexes et sur quelques absences (de décisions) troublantes. Au même moment, à Ouagadougou, des organisations de la société civile, réunies dans une alliance dénommée « Tournons La Page », concluaient un séminaire panafricain par quelques questions pertinentes sur le respect, par les dirigeants, des engagements qu’ils ont ou qu’ils devraient avoir vis-à-vis de leurs peuples. En quoi Ouagadougou était-il plus intéressant qu’Addis-Abeba ?
« Tournons La Page », précisons-le, se définit comme un mouvement citoyen transcontinental. C’est une alliance de divers mouvements de la société civile, réunis pour la défense des droits humains et de la démocratie sur le continent. Au séminaire panafricain qui s’est tenu du 25 au 29 janvier à Ouagadougou, on dénombrait quelques mouvements emblématiques, tels « Y en a marre » du Sénégal, « Filimbi », de RDC et « Le Balai citoyen », du Burkina. « La Page », qu’il est question de tourner ici est aussi celle de certaines incongruités qui ponctuent régulièrement les sommets de l’Union africaine (UA). Comme, par exemple, l’élection du Burundi et de la RDC au Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA. Un choix dénoncé comme inopportun.
En quoi est-ce inopportun ? N’est-ce pas plutôt le fonctionnement normal des institutions, qui respectent une rotation dans les responsabilités qui reviennent aux pays membres ?
Le fonctionnement normal des institutions implique également un certain discernement. « Tournons La Page » s’étonne que l’on intègre dans un organe appelé à se prononcer sur les crises du continent des États dont les gouvernements ont, eux-mêmes, « sciemment trahi leurs engagements au sein de l’Union, mettant à mal la paix et la sécurité sur leurs propres territoires ». « Tournons La Page » estime, non sans raison, qu’en refusant de respecter les limitations légales de mandats, les chefs d’État du Congo et du Burundi ont, volontairement, piétiné les principes de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Pour ce mouvement, le passage en force de Pierre Nkurunzinza à l’élection présidentielle de 2015 a initié une spirale de violence de plus en plus incontrôlable, dans laquelle la menace du génocide est désormais avérée.
Vous savez bien que le gouvernement burundais réfute toutes ces affirmations sur un risque de génocide. Et à Bujumbura, on explique que c’est en raison de la structuration de l’armée, de la police comme du gouvernement…
Il n’empêche. « Tournons La Page » soutient que la population burundaise subit une répression féroce, des exécutions et des arrestations arbitraires quotidiennes, dont les auteurs et commanditaires jouissent d’une impunité totale. Si tout cela n’est pas grave, alors, oui, on peut tout relativiser ! Le mouvement évoque aussi la République du Congo (Brazzaville), où les violences du mois d’octobre 2015 auraient attisé un climat de tension et de frustration au sein d’une population dont l’opinion est systématiquement méprisée par le pouvoir.
Autant de constats qui poussent les participants au séminaire de Ouagadougou à s’interroger sur l’absence de fermeté de l’UA face aux exactions du gouvernement burundais et, plus généralement, sur l’incapacité de l’Union africaine à prendre des sanctions contre les gouvernements dont le comportement menace la stabilité du continent. Sans compter que l’attitude de l’Union dénote d’une absence totale de solidarité vis-à-vis du peuple burundais en souffrance. Ce qui, forcément, altère la confiance des autres peuples du continent envers l’organisation panafricaine.
Des constats, des condamnations. Vous savez bien, pourtant, que tout cela n’a plus aucun effet sur les dirigeants de ces pays…
Peut-être. Mais le temps est compté pour les attitudes qui consistent à se désintéresser du sort des populations. Il n’est d’ailleurs pas exclu qu’à une échéance pas si éloignée que cela, les mouvements de la société civile finissent par prendre le pouvoir au niveau des nations, parce qu’ils inspirent davantage confiance que les dirigeants politiques.
Vous n’imaginez tout de même pas des coups d’État de la société civile !
De gré ou de force, l’Afrique atteindra le moment où ce sont les populations qui choisiront comment et par qui elles veulent être gouvernées.