Arrêtons nous un instant sur les silences, mieux sur des silences camerounais.
Silence 1: celui de Paul Biya
Il s’agit d’un silence intimement lié à la psychologie politique de l’entrepreneur politique Paul Biya. C’es un homme qui est arrivé au pouvoir en se montrant le plus discret des prétendants à ce pouvoir. Il l’a ensuite exercé par l’absence et très souvent à distance si on s’en tient à ses multiples séjours hors du Cameroun et à la rareté de sa parole publique. Paul Biya est donc un spécialiste du pouvoir panoptique dont le besoin de voir sans être vu se renforce avec l’âge et le contexte Covid-19. Puisque le Cameroun dont il hérita en paix en 1982 est désormais en guerre civile et en proie à une crise multiforme (politique, économique, sociale, sécuritaire, nationale, sanitaire…), on peut conclure que la silence de Paul Biya n’a pas été une méthode de gouvernement et de gouvernance bénéfique au Cameroun même si elle été très efficace à titre personnel pour garder le pouvoir.
Silence numéro 2. Celui des intellectuels Camerounais par rapport à la séquestration de Kamto.
Analyser ce silence revient à analyser le rapport entre les intellectuels camerounais et le pouvoir en place. Dès lors l’absence d’une prise de position collective et officielle des intellectuels Camerounais dénonçant le baillonnement de l’opposition politique par le régime, montre qu’exercer sa fonction critique et tribunitienne est très difficile dans un environnement où votre statut, votre carrière et votre bien-être dépendent du pouvoir politique en place. En d’autres termes, il est difficile d’être un intellectuel critique dans un environnement qui ne vous permet pas de l’être sans courir un risque très élevé de nature économique et statutaire. La seule possibilité de l’être est de devenir un héros, quelqu’un qui sacrifie beaucoup de choses qui comptent dans la société camerounaise. Il nous faut donc des intellectuels héros, espèces particulières, pas évidentes dans des contextes où l’intellectuel héros n’est rien dans la nomenclature des valeurs politiques économiques et sociales mais perd tout malgré une gloire médiatique éphémère.
Ce silence des intellectuels est aussi un silence stratégique parce que comptable de la trajectoire de Kamto. Ils se disent qu’il a lui même participé au régime en place où il fit fortune et carrière. D’où le refus d’être des instruments d’une ambition politique individuelle s’ils deviennent solidaires de Kamto alors qu’ils veulent aussi faire carrière comme lui: “nous allons aussi d’abord faire carrière comme lui, après on verra.” c’est cela une conclusion à laquelle renvoie ce silence.
Silence numéro 3: le silence du peuple camerounais par rapport à la situation de Kamto et au pouvoir.
C’est un silence qui en dit long sur plusieurs aspects. On peut se dire que le peuple camerounais a peur de la répression du régime de Yaoundé qui coffre à tours de bras. Mais c’est aussi un silence qui peut signifier que ce peuple est plus favorable au pouvoir qu’à l’opposition MRC et/ ou qu’il préfère un statu quo dans lequel il a déjà ses repères à un changement qui mènerait vers un monde inconnu demandant de nouveaux investissements pour stabiliser sa situation. C’est aussi un silence qui peut envoyer un message critique tant au régime qu’à son opposition. Ce message consisterait à dire que l’élite camerounaise dans l’opposition ou au pouvoir ne lui sert à rien et qu’il ne va pas se sacrifier ni pour le pouvoir, ni pour l’opposition. En conséquence ceux qui sont au pouvoir et ceux qui y prétendent n’ont pas avec eux le peuple camerounais. La preuve, ce peuple ne vote pas.
Silence numéro 4. Le silence des autres opposants par rapport à Kamto.
Ici le leader du MRC paie trois choses. Il paie en premier sa stratégie solitaire et méprisante des autres opposants Camerounais qui le lui rendent par leur silence devant sa séquestration. Il paie ensuite le fait qu’il avait combattu l’opposition étant ministre de Biya et qu’il a ainsi participé à l’affaiblissement du combat contre Biya. Il paie enfin le fait que de nombreux vieux opposants, à savoir ceux qui sont dans la lutte contre Biya depuis 1990,voient d’un mauvais œil le fait qu’il vienne rafler la mise sans avoir souffert et travaillé autant qu’eux dans l’opposition politique au régime.
Par Thierry Amougou