333 adolescents sont toujours portés disparus au Nigeria, depuis l’attaque de leur pensionnat à Kankara, dans l’Etat du Katsina, dans le nord-ouest du pays, dans la nuit de vendredi à samedi. Plus d’une centaine d’hommes armés à moto ont attaqué cette école publique rurale. Alors que certains lycéens ont réussi à s’échapper, d’autres ont été rattrapés, séparés en plusieurs groupes et emmenés par des assaillants, selon des habitants. Certains d’entre eux ont réussi à s’échapper lors de l’attaque.
Que sait-on des auteurs de cet enlèvement de masse ?
Le groupe jihadiste Boko Haram a revendiqué mardi l’enlèvement, par la voix de leur chef de file, Abubakar Shekau, dans un message vocal diffusé sur les canaux traditionnels du groupe. Selon des sources concordantes citées par l’AFP mercredi, l’attaque a été perpétré par trois gangs criminels locaux pour le compte du groupe jihadiste. Le rapt a été coordonné par le chef de gang Awwalun Daudawa en collaboration avec deux autres bandits renommés, Idi Minoriti et Dankarami, selon ces sources sécuritaires.
«Depuis plusieurs mois, des affrontements très violents ont lieu entre la police locale et des groupes de bandits dans la région de Kankara», détaille Corentin Cohen, chercheur post-doctoral au CNRS et à l’université d’Oxford, spécialiste du Nigeria et de Boko Haram, interrogé par Libération. Ces bandits, aux revendications peu claires, sont à l’origine de nombreuses attaques ou d’enlèvements contre rançons. «Les autorités locales ont tenté de négocier avec eux. En août 2019, un accord de paix a même été conclu avec le gouverneur de l’Etat du Katsina», souligne-t-il. Une partie de ces bandits auraient renoué avec une vie plus stable pendant qu’une autre, refusant l’accord, aurait rejoint les rangs de Boko Haram.
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«Nous avons vu certains groupes de bandits prêter allégeance à Shekau ces derniers mois», affirme Idayat Hassan, du Centre pour la démocratie et le développement (CDD-West Africa), un think-tank basé à Abuja. «En s’alliant avec le groupe de Shekau, ils peuvent bénéficier d’une nouvelle visibilité. Cet enlèvement les met au centre de l’actualité internationale. Ils sont en meilleure position pour négocier des rançons importantes», ajoute Corentin Cohen. Bulama Bukarti, analyste pour l’Afrique subsaharienne à l’Institut Tony Blair, explique en effet que «Shekau n’a pas déployé de combattants, mais a tissé des liens avec les bandits pour s’implanter dans le nord-ouest du pays», à des centaines de kilomètres de leur bastion, sur les pourtours du lac Tchad.
Pourquoi les enlèvements de masse sont-ils aussi courants au Nigeria ?
En 2014, la communauté internationale s’était fortement mobilisée après l’enlèvement, attribué à des «bandits», de 276 jeunes filles à Chibok, dans leur internat. «Mais les enlèvements étaient déjà pratiqués régulièrement bien avant Chibok», précise Corentin Cohen. Selon lui, la pratique du kidnapping au Nigeria «vise la médiatisation». «Ce nouvel enlèvement va permettre au groupe de Shikau et aux bandits d’exister. Ou ils vont pousser l’Etat à ouvrir un nouveau front militaire, ou ils vont pouvoir négocier une rançon importante», ajoute-t-il.
Comment les autorités locales ont-elles réagi ?
Le président, Muhammadu Buhari, qui est lui-même originaire de Katsina et qui était d’ailleurs en visite chez lui au moment de l’enlèvement, a condamné l’attaque et ordonné le renforcement de la sécurité dans toutes les écoles. Les établissements scolaires ont également été fermés. «Les responsables de l’enlèvement de nos enfants ont pris contact avec le gouvernement et des discussions sont engagées pour assurer leur sécurité et leur retour dans leur famille», a déclaré Aminu Bello Masari, le gouverneur de l’Etat de Katsina, sur Twitter.
Que traduit cet enlèvement du contexte actuel au Nigeria ?
La situation sécuritaire s’est largement détériorée dans le nord du Nigeria depuis l’élection de Muhammadu Buhari en 2015. Réélu en 2019, ce musulman originaire du nord du pays avait pourtant assuré faire de la lutte contre Boko Haram sa priorité. Pour Corentin Cohen, les mouvements des «bandits» vers Boko Haram démontrent que «les élites gouvernantes n’ont pas réussi à réintégrer ces groupes sociaux en marge», ce qui aurait permis de les canaliser.
Le groupe jihadiste d’Abubakar Shekau a commis de nombreuses atrocités ces dernières semaines. Il a notamment revendiqué le massacre de dizaines de travailleurs agricoles près de Maiduguri, la capitale de l’Etat du Borno.