Conseiller technique n01 au ministère de la Communication, Félix Zogo s’est amusé, lorsque Mutations le contacte par téléphone hier pour recueillir son avis sur l’édition en kiosque de Jeune Afrique, qui consacre son supplément « Le plus de J.A » au Cameroun, à dire de manière lapidaire : « Ils ont peut-être mieux fait leur travail cette fois-ci que par le passé ! » C’est que, dans ce dossier de 20 pages, l’hebdomadaire panafricain basé à Paris fait un dossier sur un Cameroun de Paul Biya, confronté à une « agression historique, à la chute des cours du pétrole, etc., mais qui malgré tout poursuit son programme de développement ».
Une sortie qui tranche net avec le brûlot de décembre 2014 sur « le péril jeune» au Cameroun, l’article qui avait été à l’origine d’un spectaculaire coup de sang à Etoudi, d’autant qu’il avait été précédé d’un « polar » sur l’assassinat présumée de l’ex-capitaine putschiste Guerandi Mbara par les services secrets du Cameroun. Il n’en a pas fallu plus au ministre de la Communication, Issa Tchiroma Bakary, pour qu’il « convoque » à Yaoundé, toute la presse nationale pour dénoncer un complot contre le Cameroun, son chef et son peuple.
Surtout que, entre-temps, la presse occidentale, notamment française, effectuait une sorte de tir groupé sur Paul Biya. Dans sa levée de boucliers, le porte-parole du gouvernement semble soutenir que le « double raid » de Jeune Afrique sur Etoudi participait d’une stratégie bien huilée visant à déstabiliser le Cameroun. Le journal de Béchir Ben Yahmed présente un monde des affaires camerounais plus que par le passé, à la recherche de son expansion, autant qu’il fait l’éloge d’une jeunesse particulièrement portée vers l’innovation. En juge la conception entière par la société Kiro Games, propriété d’un groupe de dessinateurs camerounais, du jeu vidéo « Aurion », qui pourrait séduire les marchés américain et européen.
Le rap représente également, selon J.A, un domaine qui réussit plutôt bien aux jeunes camerounais. Dans ce registre, il cite pêle-mêle Stanley Enow, Tilla, Jovi, etc. Bref, face à ce qu’il qualifie de péril Boko Haram, Jeune Afrique affirme qu’au Cameroun, « l’heure est à la mobilisation générale ». Celle-ci est « sécuritaire, mais aussi économique et sociale ». En fait de mobilisation, le journal plaque à la Une de cette « édition Cameroun » (le dossier sur ce pays n’a droit qu’à une petite fenêtre à la Une de l’édition internationale), un photomontage présentant un adolescent, l’air naïf, le regard absent, tenant entre ses mains une grosse ardoise avec à ses extrémités deux drapeaux aux couleurs nationales, sur lesquels il est inscrit en lettres capitales : « Touche pas à mon pays ». Les chauvins et les «ennemis venus d’ailleurs» apprécieront !
Il est suivi par une foule de personnes qui marchent, en soutien aux troupes camerounaises engagées au front à l’Extrême-Nord. Ces images quelque peu sublimées éloignent, comme par un coup de baguette magique, notre pays du « cocktail explosif, sur fond de chômage galopant » qu’il constituait il y a encore quatre mois, en raison de la confiscation par une gérontocratie régnante de l’appareil dirigeant, et du niveau de pauvreté endémique de la plupart des Camerounais. Jeune Afrique doit certainement avoir déjà oublié tous ces problèmes par lui relevés, et ne semble avoir vu cette fois le démon que du côté l’opposition camerounaise, dont il se gausse sans retenue. Parlant de Ni John Fru Ndi, Dakolé Daïssala, Bello Bouba Maïgari, Adamou Ndam Njoya, etc., J.A dit que ces « chefs de l’opposition n’ont pas la moindre intention de laisser leurs places aux jeunes ». « Le Sdf a gardé au fil des ans une organisation sclérosée. Cramponné à un fauteuil de chairman, Fru Ndi résiste au changement. A plusieurs reprises, des jeunes ambitieux ont bien failli lui confisquer la présidence du parti. Mal leur en a pris », écrit le journal.
Dakolé Daïssala, « lui, n’a confiance en personne. A 72 ans, le président du Mouvement démocratique pour la défense de la République (Mdr) s’impose comme le seul meneur de ses troupes. Malgré une forte baisse du nombre d’adhérents, il continue à régner sans partage. Cet homme à poigne, qui ne convoque jamais de congrès permettant l’élection d’un nouveau chef, dirige crânement sa petite affaire ». Quant au flegmatique Bello Bouba Maïgari, affirme le journal de la rue d’Auteuil, « il subit sans sourciller la mauvaise humeur de ses jeunes cadres (…) Il a vu sa popularité s’éroder au fil des années sans, visiblement, tirer les leçons de ses défaites successives ».
Par Jean De Dieu Bidias, Mutations