Qui se soucie du Cameroun? Sur la politique et les sentiments dans les États d’Exception
Par Olivier J. Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
Le CL2P comprend que parler d’amour et de compassion dans un pays comme le Cameroun dominé par des politiciens cyniques et véreux puis une population hégémonisée et dominée fera rire plus d’un Camerounais. Cependant, des érudits comme Martha Nussbaum ont noté qu’il n’y a pas de changement politique substantiel sans courage, sans abnégation, sans amour, ni compassion.
L’un des prisonniers politiques que soutient le CL2P au Cameroun, Marafa Hamidou Yaya, est en prison parce qu’il a osé demander à l’inamovible président de 85 ans, Paul Biya, de démissionner pour prendre sa retraite méritée. Ce qui a évidemment ruiné une carrière très réussie, aussi bien comme haut fonctionnaire que membre du gouvernement. Et le ministre d’état est toujours détenu de façon illégale depuis 06 ans – en violation de l’avis de l’ONU – dans l’un des cachots de Biya à Yaoundé. Cet acte qui a pu sembler stupide au début à nombre de ses compatriotes rompus au culte du chef tout puissant; est apparu au contraire assez héroïque aux observateurs étrangers, à l’instar de l’ambassadrice américaine de l’époque au Cameroun Janet Garvey qui a témoigné dans Wikileaks que l’homme Marafa Hamidou Yaya est loin d’être naïf et n’a en réalité jamais sous-estimé tout le pouvoir de représailles de Biya qu’il connaît bien.
Bref et n’en déplaise aux opposants alimentaires à la solde du régime tyrannique de Yaoundé, c’est précisément le genre de courage et d’abnégation dont nous avons besoin au Cameroun aujourd’hui. Et non ces représailles de la dictature de Paul Biya qui sont ne abomination contre les droits de l’Homme et très peu productives en tant que moyen de dissuasion politique. Car une organisation telle que le CL2P ne peut pas être et ne pourra jamais être réduite au silence à l’ère de la globalisation de l’information.
En effet, l’état d’exception ne crée que des leaders «exceptionnels» alors que la démocratie est plus coutumière au règne des gens normaux où le leader n’est rien d’autre qu’un Primus inter pares, le premier parmi les égaux. Or, dans les régimes dits « exceptionnels », l’estime de soi est valorisée plutôt que l’autodiscipline. C’est un monde de charisme et de responsabilité zéro.
Le sociologue allemand Max Weber a mis à jour le terme de charisme. Les dirigeants charismatiques, a-t-il écrit, ont « une certaine qualité de personnalité individuelle, en vertu de laquelle ils sont différents des hommes ordinaires et traités comme dotés de pouvoirs ou de qualités surnaturels, surhumains, ou du moins spécifiquement exceptionnels ». Le monopole sur les médias et l’exposition qui en résulte améliorent toutes ces qualités.
Les êtres faibles et peureux, craignant notamment de s’engager dans des conflits politiques légitimes, ont tendance à rechercher des personnes charismatiques et un leader pour les soulager de leur anxiété et pratiquement de tout leur fardeau psychique. Ce leader est investi de toute-puissance et devrait être capable de résoudre tous les problèmes. Ces individus faibles tendent à sur-idéaliser les présidents et s’attendent à ce qu’ils soient omnipotents; puis ils ont l’habitude de s’accrocher à ces figures magiques et omnipotentes. Principalement, parce qu’ils n’aiment pas penser et faire des choix, ils donnent de la sorte au leader le monopole de l’action, comme l’écrit Hannah Arendt:
« Un grand nombre de personnes ne sont tout simplement pas capables de penser par eux-mêmes ».
Eh bien, la façon traditionnelle et plus charitable de dire ceci est que la grande majorité des gens n’ont pas le temps, en raison de leurs obligations, de rechercher par eux-mêmes toutes les informations mises à leur disposition depuis le jour où ils sont nés; afin de vérifier si elles sont vraies ou fausses: ils en viennent ainsi à compter uniquement sur les « autorités ».
Aussi, les personnes dépendantes ont tendance à chercher quelque chose ou quelqu’un pour briser le malaise et faire avancer les choses. Le problème est que les problèmes systémiques ne sont pas facilement résolus, nous cherchons une solution rapide sans faire le travail difficile et laborieux de l’élaboration à la réalisation. Nous voulons et exigeons même parfois que les choses soient bien faîtes voire parfaites dès la première fois. Le système démocratique ne se prête pas à la solution miracle, mais nous sommes devenus une nation paresseuse et cherchons des solutions simples parce que Biya est exactement la définition de cela. Après 36 ans au pouvoir à 85 ans, Biya n’est pas un Superman mais essentiellement un politicien médiocre obsédé uniquement par une forme déceptive et délirante d’immortalité obscène.
En revanche, une forme d’amour productive pour le Cameroun consisterait à apprécier un ensemble d’idéaux et d’institutions spécifiquement camerounais et, en tant que tel, transcender à la fois la psychologie innée et les origines ethniques. Nous devons être plus conscients que nous sommes une invention coloniale et même pas aussi «spéciale» que le laissent entendre certains pseudo-nationalistes et panafricanistes inféodés à la dictature trentenaire en place. Parce que, à quelques exceptions près dont celle de l’Union des Population du Cameroun et de ses dirigeants assassinés, nous avons invariablement tous connus souvent sans protester ni broncher des formes de domination brutale basées sur l’exploitation coloniale.
Tout cela est pourtant la politique du fait de l’homme, qui instaure la justice brutale et les pratiques génocidaires prédatrices capitalistes, dont beaucoup d’entre nous avons souffert; et qui amènent d’autres à n’avoir pas d’autre choix que de militer en faveur d’une plus grande justice sociale et la démocratie comme pierre angulaire de notre société; en réponse ou en réaction à l’héritage des humiliations coloniales. Parce que, à l’essence, nous voulons restaurer nos droits humains autant que notre autonomie et notre dignité.
Certes dans une société cynique et cruelle comme le Cameroun, l’amour et la compassion peuvent nous rendre vulnérables et faibles; mais ils nous permettent aussi d’être ouverts à l’autre; ce qui a le mérite d’en finir avec la politique de l’ego pour installer le partage éthique de la vie en commun, de privilégier une communauté humaine au détriment du culte à une identité tribale non productive dans l’ espace public pour définitivement faire place à des modes progressistes d’organisations collectives incompatibles avec le régime d’exception, les pratiques prédatrices néolibérales, et la terreur politique soutenue par l’État.
En résumé, l’amour et la compassion comme formes d’expression créative et constructive doivent et peuvent nous aider à placer la civilité ambitieuse au dessus du modèle libéral, à faire appel à l’empathie naturelle pour ancrer l’inclusion dans le champ social et politique dans un esprit de fraternité et des formes éthiques de responsabilité dans les relations. Il s’agit d’un esprit de fraternité qui crée un environnement où la plupart des gens peuvent s’épanouir, au lieu que ce ne soit que quelques uns.
Olivier J. Tchouaffe, PhD, Porte-parole du CL2P
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English version
Who cares for Cameroon? On Politics and Feelings in State of Exception
By Olivier J. Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P
The CL2P understands that to take about love and compassion in a country like Cameroon dominated by cynical politicians and a hegemonized and dominated population will cause more than one Cameroonian to laugh. However, scholars such as Martha Nussbaum have noted that there are no substantive political change without courage, self-sacrifice, love and compassion.
One of the political prisoners that the CL2P support, Marafa Hamidou Yaya, is in prison because he told the president to his face to step down, in the process, ruins a very successful career as a high ranking civil servant and he is now sitting in one of Biya’s dungeon in Yaoundé. That act seems foolish at first but, as US ambassador Garvey testified in WikiLeaks, the man is far from being naïve and did not underestimate Biya’s power of retaliation. In short, this is the kind of courage and self-sacrifice that we need in Cameroon and not the kind of retaliation of the Biya’s regime, which is nothing but an abomination against human rights, and very unproductive as a political deterrent since organization like the CL2P cannot be silenced.
Indeed, state of exception only creates “exceptional” leader whereas democracy is really the reign of normal folks where the leader is nothing more than a primus inter pares, first among equal. In regime of exception, however, as with the “exceptional” leader, self-esteem is valued over self-discipline. It is a world of charisma and zero accountability.
German sociologist Max Weber updated the term. Charismatic leaders, he wrote, have a “certain quality of an individual personality, by virtue of which he is set apart from ordinary men and treated as endowed with supernatural, superhuman, or at least specifically exceptional powers or qualities.” More, how the monopoly on mass media and the exposure resulting from them enhance all these qualities.
Weak people, afraid to engage in legitimate political conflicts, tend to seek people with charisma and a leader to relieve them of anxiety and their entire psychic existence. This leader is invested with omnipotence and is expected to be able to solve all problems. They tend to over-idealize presidents and expect them to be omnipotent and they tend to cling to these magical and omnipotent figures. Principally, because they do not like to think and make choices, they give the leader the monopoly of action as Hannah Arendt writes.
“Large numbers of people are just not capable of thinking on their own ».
Well, the traditional and more charitable way of saying this is that the great majority of people do not have the time, due to their obligations to research by themselves every single piece of information that comes their way from the day that they are born to verify whether it is true or not: they have to rely on « authorities ».
Thus, dependent people tend to look for something or someone to break through the malaise and get things done. The problem is that is systemic problems are not easily resolved, we are looking for a quick fix without doing the difficult job of getting it right the first time. Democratic system does not lend itself to the quick fix, but we have become a lazy nation and look to simple solutions and Biya is the definition of that. After 36 years in power at 85 years of age, he is no Superman but something like a The Joker running on the self-deceiving practice of the Cameroonian savior.
By contrast, a productive form of love for Cameroon consists of an appreciation for a specifically Cameroonian’s package of ideals and institutions, and, as such, transcends both innate psychology and ethnic origins. We need to be more cognizant that we are a colonial invention and not particularly special because we all experienced forms of brutal domination based on brutal colonial exploitation and capitalist predatory genocidal practices that many of us did not even protest against the UPC.
It is that politics of nobody, however, that makes social justice and democracy the cornerstone of our society and the most effective civic infrastructure against the legacy of colonial humiliation to restore our human rights and deliver more autonomy and dignity. More, love and compassion make us vulnerable and weak but open to the other which has the merit to do away with the politics of ego to install the ethical sharing of life in common, a community of human being before un-productive identity gets attached opening up spaces for progressive modes of collective organizations that do away with regime of exception, neoliberal predatory practices and state-sponsored terror.
In short, love and compassion as forms of creative and constructive love that help to take the baton of aspirational civility or the liberal model that calls on natural empathy to ground inclusion in the social and political field that opens up into fraternity and responsible forms of ethical relationships in the spirit of goodwill. A spirit that creates an environment where most people can flourish rather than few exception.
Olivier J. Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P