Des Camerounais témoignent : « En Libye, on nous vendait comme des légumes »
La voix rauque, les yeux rougis par « la souffrance », Raïssa*, tout juste débarquée de l’avion qui vient de la rapatrier, mardi 21 novembre, au Cameroun a de la peine à raconter le calvaire vécu pendant les deux années passées « chez les monstres libyens ». « J’ai été torturée et violée, murmure-t-elle en larmes. Je voulais aller en Italie mais je suis tombée dans le plus horrible des pièges. En Libye, on nous vendait comme des légumes, on nous violait comme des putes. »
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En 2015, cette commerçante camerounaise âgée d’une vingtaine d’années a pris « la route de l’aventure pour sortir sa famille de la pauvreté ». De Douala, capitale économique du Cameroun, elle a rejoint le Nigeria, puis le Niger où, dit-elle, elle a été kidnappée dans le désert par six hommes qui l’ont dépouillée de vêtements, de ses deux téléphones portables et de son pécule de 925 000 francs CFA (1 406 euros).
« On nous violait comme des putes »
Conduite dans la ville libyenne de Sebha, Raïssa a été emprisonnée avec plus de 300 autres migrants. « J’étais battue, violée à tour de rôle par mes geôliers et torturée. Ils m’ont dit : “Pour te libérer, on a besoin d’argent. Appelle ta famille.” Lorsque mon grand frère a entendu mes pleurs, il a vendu sa moto pour leur envoyer 500 000 francs CFA (760 euros) », raconte la jeune femme.
Libérée un matin, elle est vendue dans la soirée par « le soldat chargé de la mettre en lieu sûr », à un autre groupe de kidnappeurs. Ces derniers la transfèrent à Sabratha, ville située à l’ouest de Tripoli, la capitale de la Libye. Ils réclament une rançon de 1 000 euros à sa famille.
« J’ai passé quatre mois dans cette prison. On me servait du pain et des spaghettis à moitié cuits. Je buvais de l’eau salée. J’ai fait des semaines sans faire de selles. Je pensais que j’allais mourir. Ma mère a réuni la famille, tout le monde a contribué. On a payé ma rançon. Je suis sortie de prison en août et je suis partie à Tripoli où je vivais cachée jusqu’à mon retour. »
La chaîne de télévision américaine CNN a diffusé le 14 novembre des images d’un marché aux esclaves en Libye où étaient vendus des migrants subsahariens, provoquant un tollé général en Afrique et au-delà. D’après Roger Charles Evina, chargé de programme Protection et réinsertion des migrants de retour au Cameroun à l’Organisation internationale pour les Migrations (OIM), environ 1 700 migrants camerounais se trouvent en Libye.
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Mardi 21 novembre, un vol spécial en provenance de Tripoli a atterri à l’aéroport international de Yaoundé avec à son bord 250 migrants camerounais. Parmi eux, neuf femmes enceintes et six enfants âgés de moins de 3 ans.
Comme Raïssa, ces hommes et femmes sortis de l’enfer libyen ont bénéficié d’un projet de l’OIM financé par l’Union européenne et dont le but est de « favoriser le retour volontaire de 850 migrants camerounais ».
Morts au désert
Assis dans un coin de l’aéroport où des médecins, psychologues et policiers leur prodiguent des premiers soins et conseils, yeux hagards, barbe de plusieurs jours et cheveux en bataille, Eddie exhibe ses cicatrices sur la main et l’épaule droite. Kidnappé à trois reprises, cet ancien pompiste a été « torturé, frappé avec des barres de fer et sodomisé ». En 2014, il a quitté la ville de Douala avec quinze amis. Il est le seul « réel survivant » à sa connaissance.
« Trois ont été vendus pour aller travailler sur des chantiers. Leurs parents n’avaient pas d’argent pour payer leur rançon et du coup, les Arabes ont décidé de les vendre pour se faire de l’argent. Deux sont morts au désert. Deux ont été tués par les kidnappeurs, car ils étaient malades. Je ne sais pas où les autres se trouvent. Je suis en vie. C’est l’essentiel », soupire-t-il.
Après « l’enfer », ces migrants sont-ils prêts à tenter à nouveau l’aventure ? « Plus jamais la Libye. Je ne veux plus partir », jure Roland Bella, 26 ans, kidnappé deux fois en Libye. « Je repartirai dès que j’aurai récupéré. Il n’y a pas de travail pour nous au Cameroun », assure Eddie. Il rêve d’Espagne où, veut-il croire, « il y a du travail pour tous les jeunes ».
*Le prénom a été changé.
Par Josiane Kouagheu (Yaoundé, correspondance) – LE MONDE