Katumbi, c’est l’homme à abattre. Politiquement, et peut être pas seulement. Le procès en appel qui s’est ouvert ce mercredi 19 juillet devant le TGI de Lubumbashi pour une affaire d’escroquerie immobilière aussi obscure que rocambolesque en apporte une fois de plus la preuve. En première instance, Moïse Katumbi avait été condamné à trois ans de prison ferme, une forte amende, ainsi – pour ne pas dire surtout – qu’à une peine d’inéligibilité. Si le procès en appel vient de commencer à Lubumbashi, à Kinshasa, la garde rapprochée de Joseph Kabila prépare depuis longtemps ce deuxième round. Et pour cause, leur hantise, c’est de voir l’opposant qu’elle redoute le plus, contraint à l’exil il y a plus d’un an déjà, être innocenté et rentrer au pays.
Le retour d’un Katumbi innocenté ? La hantise du régime Kabila
Des craintes avivées par la décision de la commission des Droits de l’homme de l’ONU qui, le 16 juin dernier à Genève, a commandé aux autorités congolaises de « prendre toutes les mesures nécessaires en vue d’assurer que [Moïse Katumbi] puisse rentrer […] et participer librement et en toute sécurité, en tant que candidat, aux élections présidentielles prévues pour la fin 2017 ». Dans la foulée, l’opposant avait fait savoir qu’il comptait rentrer dans le courant du mois d’août, soit dans quelques jours en théorie. Insupportable pour Joseph Kabila et ses proches.
Du coup, à Kinshasa, ces derniers jours, c’était le branle-bas de combat. Ce fut, tout d’abord, au tour du ministre de la justice RD congolais, Alexis Thambwe Mwamba, de se rendre du 9 au 12 juillet à Lubumbashi. Officiellement, le garde des Sceaux est venu lancer les Journées du barreau en RDC. En réalité, il a surtout profité de l’occasion pour donner ses instructions aux magistrats locaux. Il s’est notamment entretenu avec le procureur général près la cour d’appel de Lubumbashi et le premier président de cette même juridiction. Serait-ce pour les « inciter » à confirmer en appel la condamnation de Moïse Katumbi ? Ensuite, ce fut au tour du président Joseph Kabila en personne de faire le déplacement dans la capitale du Haut-Katanga, la veille du début du procès. « Histoire de s’assurer que les juges prennent la bonne décision », en est persuadé un ancien bâtonnier de Lubumbashi. Bis repetita en tout cas. Le chef de l’État congolais s’était en effet déjà rendu dans la capitale du cuivre il y a un an à l’occasion du procès en première instance contre Moïse Katumbi. Enfin, l’Agence nationale de renseignements RD congolaise (ANR) n’a pas, tant s’en faut, ménagé ses efforts ces derniers temps en vue de cette échéance judiciaire…
Le cas Chantal Ramazani Wazari : l’illustration d’une justice menacée
Mobiliser le ban et l’arrière-ban du régime RD congolais pour un seul homme, ne serait-ce pas un peu trop ? Du point de vue de Kinshasa, apparemment non. Car le président Joseph Kabila le sait, le moyen le plus sûr et le plus rapide de retarder le retour au pays du redouté Katumbi, c’est d’obtenir la confirmation en appel de sa condamnation dans cette rocambolesque affaire d’escroquerie immobilière. Et peu importe que l’une des juges du Tribunal de paix de Kamalondo, qui a signé l’arrêt de première instance condamnant Katumbi, l’ait fait avec un pistolet sur la tempe avant de s’en repentir. Chantal Ramazani Wazari a reconnu par la suite devant huissier avoir signé l’acte de condamnation sous contrainte. Grâce à l’aide de la FIDH et au concours d’ONG locales, cette magistrate avait pu quitter in extremis la RDC. Depuis, elle est réfugiée en Europe « par crainte des menaces et des représailles », a-t-elle confié. Le tragique événement qui s’est déroulé quelques heures avant le début du procès de Moïse Katumbi indique que de telles menaces étaient loin, très loin d’être exagérées…
Le cas Jacques Mbuyi : l’illustration d’une justice libre à abattre
Ce mercredi 19 juillet à minuit, à quelques heures de l’ouverture du procès en appel de Moïse Katumbi, au Quartier Golfe à Lubumbashi, un drame est en train de se nouer. L’un des trois juges appelés à se prononcer sur ce dossier, est la cible de tirs par arme à feu. Huit impacts de balle ont été relevés à son domicile. Le magistrat en question, Jacques Mbuyi, est aussitôt admis dans un état critique à l’hôpital du Cinquantenaire de Lubumbashi. Quelques minutes plus tôt, plusieurs assaillants ont pénétré chez le juge, sous le prétexte de lui soutirer de l’argent. La suite est un déchaînement d’une rare violence. Plusieurs balles, logées dans le ventre et les jambes du juge, seront retirées. Sa famille, non plus, n’a pas été épargnée. Sa femme et ses filles ont en effet subi de très graves violences. Des faits de viol seraient à déplorer.
Après le juge Jacques Mbuyi, à qui le tour ?
Quelques heures après le drame, au matin, on apprend que le juge Mbuyi est remplacé par le juge Mbulayi. Or, ce dernier n’est autre que le frère de… Néhémie Mwilanya, le directeur de cabinet de Joseph Kabila. Ledit juge rejoint les deux autres magistrats qui doivent officier dans cette affaire : Manda Lupula, le président du TGI de Lubumbashi, et la juge Feza. Un remplacement de magistrat qui, décidément, intervient à point nommé pour le pouvoir. Dans la profession, en effet, le juge Mbuyi est reconnu pour son intégrité et son indépendance. Pour nombre d’observateurs, le message est clair : « Voilà ce qui vous arrivera, à vous autres juges, si vous ne prenez pas la bonne décision, autrement dit, si vous ne condamnez pas Katumbi », indique une source judiciaire. Un magistrat qui officie à Goma, dans l’est du pays, s’interroge avec inquiétude : « À qui le tour désormais ? Qui sera le prochain Jacques Mbuyi ? ». Le soir du drame, Manda Lupula, le président du TGI de Lubumbashi, est venu rendre visite au juge Mbuyi à l’hôpital du Cinquantenaire. Effondré, il a pleuré, selon plusieurs témoins. Le lendemain, jeudi 20 juillet à neuf heures, l’audience a repris au tribunal. Comme si de rien n’était… « Des pressions terribles sont exercées sur la Justice pour obtenir la condamnation de Moïse Katumbi. Pour parvenir à ses fins, le régime est prêt à tout, y compris aux pires extrémités », s’alarme un très haut magistrat RD congolais, pour qui le commanditaire du crime ne fait aucun doute.
Les raisons de croire à une justice violée
C’est donc dans ce climat très violent, dénué de toute sérénité, que justice est censé être rendue… ou pas dans ce dossier potentiellement déterminant pour l’avenir politique de la RDC. Sur le strict plan juridique, les débuts du procès ne sont guère rassurants. Dès la première journée d’audience, en effet, les règles de procédure sont particulièrement malmenées, comme le montre l’examen des exceptions soulevées par les avocats de la défense. Celles-ci sont dans un premier temps toutes rejetées. La notification de la convocation n’a pas été faite à la bonne adresse ? Exception rejetée par le tribunal. Une suspicion légitime pèse sur deux des trois juges amenés à se prononcer ? Exception rejetée également. Finalement, l’audience se conclut sur l’examen d’une troisième exception, en inconstitutionnalité, toujours en lien avec l’exception soulevée pour suspicion légitime. La séance est alors suspendue et les débats son supposés reprendre dès le lendemain, jeudi 20 juillet, à neuf heures. Ainsi en a décidé le tribunal. En attendant, même le rôle affiché le jour de l’audience est vierge de tout nom de magistrat. Une énième entorse aux règles de procédure.
Un décor de fiction d’État de droit…
Si la forme laisse à désirer, le fond, lui, est l’objet d’inquiétudes encore plus vives, en particulier de la part des principaux leaders de l’opposition. Pour eux, la cause semblerait déjà entendue. « Une parodie de procès va se jouer ce 19 juillet à Lubumbashi. Un homme va être injustement condamné. L’arbitraire est devenu la règle en RDC », prévient Felix Tshisekedi, le président du Rassemblement de l’opposition. « On en vient à faire assassiner un juge dans un procès politique », s’indigne, de son côté, Sindika Dokolo, le beau-fils du président angolais, Edouardo Dos Santos. Au-delà de la seule opposition RD congolaise, pour nombre d’observateurs, la Justice en RDC n’est plus qu’une fiction, l’institution ne brillant guère, il est vrai, ces derniers temps par son indépendance. Or, sans séparation des pouvoirs, plus d’État de droit.
Même son de cloche du côté des ONG et associations de défense de droits de l’homme congolaises qui s’inquiètent à la fois des conditions de déroulement du procès et du climat d’insécurité qui l’entoure. L’avocat George Kapiamba, président de l’Association congolaise pour l’accès à la Justice (ACAJ), s’insurge tout particulièrement contre « les pressions que le gouvernement exerce sur les juges de Lubumbashi pour qu’ils condamnent absolument Moïse Katumbi ». Quant à notre magistrat de Goma, l’issue de ce procès ne fait pour lui guère de doute. « Katumbi sera condamné tout simplement parce que le régime de Kinshasa en a décidé ainsi », nous dit-il, sur un ton sûr et définitif. À dire vrai, la défense de Moïse Katumbi ne se berce guère d’illusions quant à la possibilité d’un procès équitable. « Il ne faut pas attendre grand-chose de ce procès », a prévenu d’emblée Olivier Kamitatu, le porte-parole de Moïse Katumbi. Un propos partagé par Me Dupont-Moretti, le ténor du barreau parisien et conseil de Moïse Katumbi. « On ne rend pas la justice, on rend un service pour empêcher Moïse Katumbi d’être candidat », a-t-il déclaré. Depuis qu’il a fait acte de candidature à l’élection présidentielle, l’opposant congolais est victime d’un acharnement judiciaire visant à l’écarter de la course au fauteuil suprême. Des poursuites et des condamnations multiples qualifiées de « mascarades » par la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) et de nombreuses ONG locales et internationales.
… malgré un rebondissement inattendu
Mais l’équipe Katumbi est réputée pour sa ténacité. « On ne lâchera rien. On ira jusqu’au bout », prévient l’un d’entre eux. Ce qui va suivre leur donnera, fût-ce au moins temporairement, raison. Coup de théâtre, ce jeudi 20 juillet en milieu d’après-midi. Contre toute attente, le TGI de Lubumbashi ordonne la surséance, autrement dit la suspension des débats. C’est la conséquence de la prise en compte par les magistrats lushois de l’exception d’inconstitutionnalité soulevée par la défense. Le dossier est donc renvoyé devant la Cour constitutionnelle. À cette dernière désormais de se prononcer sur la constitutionnalité de la décision de passer outre la demande de récusation pour suspicion légitime déposée par la partie défenderesse. Sur le coup, cette décision surprend la plupart des observateurs, tant le pouvoir n’a pas ménagé ses efforts pour obtenir une confirmation rapide et ferme de la condamnation de Moïse Katumbi. Chez les proches de Joseph Kabila, c’est la stupeur et la stupéfaction. Dans les rangs de l’opposition, à l’inverse, c’est le soulagement. « Chapeau bas aux juges qui ont résisté aux pressions et dit non à la pègre qui a attenté à la vie de leur collègue », a réagi sur son compte Twitter Olivier Kamitatu. Sur Twitter toujours, Salomon Kalonda, le bras droit du dernier gouverneur de l’ex-Katanga, semble voir dans le geste des juges un possible motif d’espoir. « La décision courageuse de surséance prise par les juges de Lubumbashi sonnerait-elle le sursaut de la Justice en RDC, lasse des injonctions ? », s’interroge-t-il. Nombreux sont, semble-t-il, les Congolais à l’espérer.
Vers un sursaut de la Justice congolaise ?
Ce renvoi du dossier devant le juge constitutionnel est-il une éclaircie durable ou une accalmie passagère dans le ciel judiciaire très obscurci de la RDC ? La prudence est de mise car on ne compte plus les procès expédiés, les arrestations et détentions arbitraires. Des actes de torture, imputés notamment à l’ANR, sont régulièrement dénoncés. Cette semaine encore, on a tiré à balles réelles sur des étudiants de l’UniKin, l’université de Kinshasa, qui manifestaient leur mécontentement. Il est donc encore trop tôt pour en juger. En attendant, au-delà du procès Katumbi lui-même qui s’apparente davantage à une chasse aux sorcières, les actes ignobles commis contre le juge Mbuyi et sa famille font froid dans le dos. Mais pour cet autre haut-magistrat qui officie dans le ressort de la Gombe à Kinshasa, il y a tout aussi grave. « J’ai honte », confie-t-il, avant de poursuivre : « Ce qui s’est passé hier [mercredi 19 juillet] en RDC est gravissime », en référence à la tentative d’assassinat contre le juge Jacques Mbuyi. « Vouloir assassiner un juge pour intimider les autres magistrats et commettre l’irréparable sur sa femme et ses enfants, c’est inadmissible », explique-t-il. « Le pire dans toute cette histoire, c’est que le corps de la magistrature ne réagit pas. Aucun de nos syndicats ne s’est élevé pour dénoncer ces actes barbares », déplore-t-il. « Rien. Rien du tout. Je suis choqué. J’ai honte pour ma profession », conclut ce magistrat chevronné. Les magistrats du TGI de Lubumbashi résisteront-ils ou céderont-ils, au final, aux intenses pressions du pouvoir ? Difficile pour l’heure de le dire. En attendant, ce mercredi 19 juillet en RDC, autant que le juge Mbuyi, c’est la Justice dans son ensemble que l’on a tenté d’assassiner.