Au Congo Kinshasa, la nomination de Bruno Tshibala au poste de Premier ministre suscite beaucoup de critiques, à la fois dans l’opposition et dans la communauté internationale. Du coup, est-ce que l’accord du 31 décembre entre le pouvoir et l’opposition tient toujours ? Est-ce que la présidentielle aura lieu d’ici la fin de l’année ? Le professeur Bob Kabamba enseigne les sciences politiques à l’Université de Liège, en Belgique. Il répond aux questions de RFI.
RFI : Professeur Bob Kabamba, en nommant un nouveau Premier ministre issu des rangs de l’opposition, est-ce que Joseph Kabila a aidé à la sortie de crise ou est-ce qu’il l’a compliquée un petit peu plus ?
Bob Kabamba : On ne peut pas dire qu’il a aidé à la résolution de la sortie de crise, il l’a beaucoup plus compliqué. D’autant plus qu’il y a deux dynamiques claires. D’une part vous avez la dynamique de l’opposition, d’autre part vous avez la dynamique du pouvoir. Celle de l’opposition se projette avec l’accord du 31 décembre dans une dynamique après-Kabila avec un autre candidat pour le remplacer, tandis que du côté de la majorité on a plus l’impression que c’est avec Kabila et pas de dauphin désigné, à sept mois de l’échéance de décembre 2017. Et ces deux dynamiques à mon point de vue sont tout à fait incompatibles.
Le nouveau Premier ministre Bruno Tshibala insiste sur le fait qu’il est issu de l’opposition, mais le principal parti de cette opposition, l’UDPS, dit que c’est un traître.
Bruno Tshibala a été exclu de l’UDPS il y a quelque temps déjà et la prise de position du Rassemblement semble avoir été consolidée et appuyée par la communauté internationale. Parce que quand on lit effectivement les différents communiqués émanant notamment de la France, des Etats-Unis, de l’Union européenne et de la Belgique, on se rend bien compte qu’ils ne prennent pas en considération le fait que Bruno Tshibala vienne du Rassemblement. Et de ce fait ce n’est pas une mise en application de l’accord.
L’Union européenne déclare en effet que la nomination de Bruno Tshibala n’a pas été consensuelle et qu’elle est contraire à la lettre et à l’esprit de l’accord du 31 décembre, d’où d’ailleurs une vive réaction des autorités congolaises contre cette « ingérence ». Est-ce qu’on va vers un bras de fer entre Bruxelles et Kinshasa ?
On va effectivement vers un bras de fer et ça c’est incontestable. Il n’y a pas d’ailleurs que Bruxelles. Il y a aussi New York et il y a aussi Washington qui vont certainement s’inviter dans la bagarre. C’est qu’il reste maintenant la pression de la communauté internationale qui peut amener à modifier les lignes et surtout à essayer que les deux dynamiques se rapprochent. Et dans les prises de position des uns et des autres on semble ne pas aller jusqu’à la rupture et on voudrait encore une fois refaire appel à la Cenco pour essayer de ramener ces deux dynamiques vers une espèce de lecture commune et arriver à dégager un consensus.
Vous dites qu’il va falloir faire appel à nouveau aux évêques de la Cenco. Voulez-vous dire que l’accord du 31 décembre dernier sur un partage du pouvoir entre la majorité et l’opposition est désormais caduc ?
L’accord n’est pas caduc tant que des deux côtés – aussi bien du côté du Rassemblement que du côté de la majorité présidentielle – on n’a pas encore franchi la ligne rouge, c’est-à-dire désavouer de manière très claire l’esprit et aussi la lettre de cet accord. Tant qu’on n’est pas arrivé là il y a toujours de l’espoir. Et c’est pour ça que la Cenco, de mon point de vue, est l’ultime acteur qui peut amener ces dynamiques, d’autant plus que la résolution du Conseil de sécurité semble confirmer ce rôle de médiation de la Cenco pour arriver à ce consensus. Dans les prochains jours on ne sera pas étonné de voir que la Cenco va être à nouveau sollicitée pour arriver à résoudre ces deux problèmes : la nomination d’un Premier ministre consensuel et aussi la nomination d’un président du Conseil national de suivi des accords qui soit aussi consensuel et accepté par les deux parties.
On pensait que Donald Trump serait plus compréhensif que Barack Obama à l’égard de Joseph Kabila, et pourtant il y a deux semaines sa représentante aux Nations unies Nikki Haley a eu des mots très durs contre son gouvernement. Elle l’a accusé d’être corrompu et d’avoir rendu le travail de la Monusco impossible. Elle a promis de lui faire rendre des comptes, soit par un embargo sur les armes, soit par des sanctions. Vous êtes surpris par cette attitude américaine ?
Pas du tout surpris par l’attitude américaine. En fait c’est une mauvaise lecture que le gouvernement congolais avait de la dynamique politique américaine. Ce n’est pas une position qui est surprenante, d’autant plus que vous savez très bien que la Monusco est la plus grosse mission des Nations unies qui a coûté beaucoup d’argent – plusieurs milliards – et dont l’évaluation n’est pas du tout positive par rapport aux missions qui lui ont été données, dont notamment la grande question de la protection de la population civile, où la Monusco a failli malgré la mobilisation importante des Etats-Unis.
Et le fait de demander de rendre des comptes – nous sommes dans la dynamique Trump – je ne serais pas étonné que d’ici la première évaluation, si la Monusco dit que la mise en œuvre traîne, il va de soi que si l’ONU ne prend pas de sanctions contre le régime de Kabila, les Etats-Unis, de mon point de vue, prendront des mesures unilatérales contre le régime qui iront vers des sanctions et aussi vers le durcissement, je pense, de certaines opérations du Congo vers les Etats-Unis.
Oui, mais en même temps, Bob Kabamba, c’est sous la pression de Donald Trump qui veut faire des économies que les effectifs de la Monusco sont réduits sur le sol du Congo.
L’un ne va pas sans l’autre. Et cette politique restrictive va s’accompagner bien sûr de directives et de mesures très dures vis-à-vis du régime, puisque c’est le régime de Kabila qui sera rendu responsable de la non-mise en application, non seulement de l’accord, mais aussi de ne pas avoir facilité le travail de la Monusco sur le terrain. Donc il y aura double sanction : la réduction des casques bleus, mais aussi des sanctions individuelles qui vont frapper, non seulement les proches du président, mais aussi les sociétés qui seront liées d’une façon ou d’une autre au régime de Kabila.
Une élection présidentielle avant la fin 2017, vous y croyez encore ?
Non, il n’y aura pas d’élection avant fin 2017, ça c’est tout à fait clair. D’autant plus que nous sommes à sept mois de l’échéance. Du côté de la majorité présidentielle il n’y a pas de dauphin qui soit désigné, alors je vois mal comment le gouvernement Kabila pourrait accepter d’aller à des élections d’ici sept mois, sans avoir un dauphin qui soit désigné et qui puisse préparer un plan d’action pour être sûr de pouvoir remporter ces élections
Par Christophe Boisbouvier – RFI