Régimes autoritaires et Théorie du complot: L’étincelle qui fait toujours éclater la Poudre
Par Olivier Tchouaffe, PhD, Porte-Parole du CL2P
L’un des combats incessants du CL2P est d’exposer les connections entre les théories du complots et les droits humains en Afrique. Le CL2P s’oppose farouchement contre la fabrication et l’opérationnalisation de la théorie du complot qui a conduit l’équivalent de tout un gouvernement en prison et concourt désormais au pourrissement du problème Anglophone au Cameroun.
La vraie question est pourquoi les théories du complot sont-elles si répandues dans les régimes autoritaires?
Comme William d’Occam, un philosophe Franciscain du 14ème siècle, William est célèbre pour avoir développé la «loi de parcimonie», mieux connue aujourd’hui sous le nom de «rasoir d’Occam». Selon le principe du rasoir, l’explication la plus simple est presque toujours la meilleur; raser toutes les hypothèses étrangères, et ce qui vous reste est généralement la vérité. Par conséquent, pourquoi les explications les plus simples ne sont-elles presque jamais des valeurs prisées dans les régimes oppressifs?
Pour répondre à ces questions, il faut analyser la «pensée magique» du dictateur confronté à des faits empiriques, comment l’arrogance et le sentiment de toute puissance souvent non justifiés, d’ayant droit perpétuel avec un style impérieux pour des personnages qui finalement prennent le pouvoir comme un dû ( en lieu et place d’une responsabilité)…mènent toujours à un certain désastre. Une catastrophe qui est symptomatique d’un régime qui a perdu l’initiative il y a belle lurette, ouvrant ainsi la boîte de Pandore de la théorie de complot où les faits et les conjectures sont traités comme des égaux, transformant les coïncidences en causalité et les conjectures en certitudes.
Tout d’abord, l’ironie avec la théorie du complot est que cela démontre que même les dictateurs ont une lune de miel politique et des marqueurs politiques qu’ils essaient d’accomplir. En effet beaucoup de tyrans qui ont été élus démocratiquement et de nombreux d’autres peuvent ou ont même pu effectivement remporter des élections démocratiques, ce qui rend le cas de Paul Kagamé au Rwanda plausible et très intéressant. Cette donnée est importante pour comprendre les revers de fortune dans les régimes tyranniques, et notamment quand la culture du secret, du doute, et de l’opacité entrent en jeu.
Dans l’histoire politique camerounaise avec seulement deux présidents en près de six (06) décennies – onze (11) pour les États-Unis et huit (08) pour la France- on peut identifier deux événements matricielles dans cette histoire. D’abord en 1972, lorsque le premier président Ahmadou Ahidjo a échoué dans sa tentative de transformer le pays en État-nation moderne et de le mettre au centre la carte africaine: C’était l’échec de la Coupe d’Afrique de football.
Il est important de noter que dans la politique mondiale et locale, le sport a toujours été plus qu’un jeu. En effet le sport participe à la fois à la gloire romantique et au caractère scientifique de l’État-nation. Aussi le nombre de médailles olympiques et de victoires sportives sont systématiquement transformés en événements promotionnels nationaux fétichisés parce qu’ils constituent une réserve pour des politiques fondées sur des preuves dont les réalisations constituent une amélioration aisément démontrable, qui présuppose des politiques rationnelles et fondées sur des principes indiquant un progrès national unifié et donc des vérifiables baromètres de compétence nationale qui donnent une légitimité à la propagande du gouvernement en tant que gardien de l’intérêt public et de la fierté patriotique bien méritée.
Par conséquent les réalisations sportives sont utilisées par les gouvernements pour revendiquer l’autorité et l’expertise scientifiques. D’où l’échec de la Coupe d’Afrique en 1972 où le pays n’a pas réussi à remporter une coupe malgré les ressources entières affectées à l’équipe, ce qui a évidemment stupéfié le régime. Après cet échec il y a eu une chasse aux sorcières massive et le nom “Tchollire” est entrée dans la légende macabre du Cameroun, comme le lieu où tous les “traîtres” devaient et ont été torturés puis emprisonnés. Certains d’entre eux n’en sortiront pas, et on n’entendra plus parler d’eux. L’échec de 1972 a ainsi ouvert les vannes pour de vastes théories de complot et le régime d’Ahidjo n’a plus jamais été le même.
L’histoire est en train de se répéter avec la CAN 2019 de Paul Biya.
En ce qui concerne Paul Biya, des érudits comme Achille Mbembe datent la descente dans l’enfer de la théorie du complot au coup d’État manqué d’avril 1984 contre son régime. D’autres, comme le réalisateur Jean-Pierre Bekolo et son film Le Président, semblent la remonter à la mort de la première dame Jeanne Irène Biya en juillet 1992, et marquent à partir de ce drame la fin de l’expérimentation par le régime Biya – pourtant plébiscitée par l’opinion publique – du concept du «Renouveau et de la rigueur dans la gestion».
Ainsi brutalement ramené à la réalité en 1984 au lendemain d’une tentative sanglante de coup d’État qui coûta la vie à des centaines de mutins originaires pour la plupart du nord du pays, le dictateur rangea opportunément très vite au placard les velléités de réforme dont il s’était fait, pour un temps, le porte-parole. Puis, s’appuyant en partie sur les dispositifs et techniques de répression hérités de son prédécesseur, il entreprit de mettre en place l’un des systèmes de gouvernement parmi les plus opaques, les plus centralisés et les plus prosaïques de l’Afrique postcoloniale.
À la place d’un État de droit, il privilégia un mode de gouvernement personnel dont on constate, trente-cinq (35) ans plus tard, l’étendue des dégâts, alors même que s’esquisse la possibilité d’une dislocation pure et simple du pays.1
La théorie du complot devient donc symptomatique des régimes qui voient dans le pouvoir une opportunité privée à laquelle ils ont indéfiniment droit, plutôt qu’un acte de confiance publique. La théorie du complot devient un outil pour se détourner toutes les formes de responsabilités et blâmer les autres de l’échec du régime. De plus, la théorie du complot fonctionne comme un tatouage de gangs où les affiliations de groupes, Nous contre Eux, deviennent centrales et incontournables dans la politique.
Dans ce contexte totalitaire camerounais, la théorie du complot nous aide à analyser la crise anglophone et à questionner si finalement la guerre civile n’est pas ou ne serait pas le seul et unique véritable horizon dessiné par le régime de Yaoundé?
Car à force de rechercher le pourrissement en installant une impasse répressive, les faucons du régime dictatorial de Yaoundé obtiennent le glissement lent et progressif du Cameroun vers une guerre civile à l’issue incertaine dans les deux régions anglophones.
Ils auront donc beau émettre tous les mandats d’arrêts internationaux contre de supposés sécessionnistes, présentés opportunément comme des terroristes, sans pour autant être en mesure d’apporter les preuves aux partenaires internationaux de l’implication de ces derniers dans les attaques regrettables et condamnables perpétrées contre les forces de l’ordre et les édifices publics au Cameroun.
En réalité toute cette gesticulation sécuritaire voulue judiciaire participe d’une stratégie bien comprise du pourrissement de la crise anglophone par une dictature qui considère le dialogue national tant souhaité et proposé par la communauté internationale, comme un risque d’immixtion de celle-ci dans ses multiples violations et restrictions des libertés au Cameroun, dont celle du pluralisme des opinions et des votes réellement exprimés au prochain scrutin présidentiel de 2018.
Les Camerounais doivent donc s’attendre à voir s’installer (peut-être durablement) un front de guerre civile dans le Nord-Est et le Sud-Ouest anglophones, avec comme objectif principal de permettre à Paul Biya (85 ans, 35 de règne) de se maintenir à vie au pouvoir.
Inutile de chercher plus loin que cela!
Olivier Tchouaffe, PhD, Porte-Parole du CL2P
Lire aussi : Au Cameroun, le crépuscule d’une dictature à huis clos
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English version
Authoritarian regimes and Conspiracy Theory: The straw that always break the camel’s back.
By Olivier Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P
One of the CL2P relentless exposure is the relationship between conspiracy theory and human rights. One of the CL2P’s goal is to fight against the manufacturing and operationalization of conspiracy theory that has led an entire government in prison and the slow rotting of the Anglophone problem in Cameroon.
The real question is why are conspiracy theories so prevalent in authoritarian regimes? As with William of Occam, a 14th-century philosopher and Franciscan friar, William is celebrated for developing the “law of parsimony,” better known today as “Occam’s razor.” According to the razor principle, the simplest explanation for an event is almost always the best; shave away any extraneous assumptions, and what you’ve got left is usually the truth.
Therefore, why don’t simplest explanations have almost no currency in oppressive regimes?
To answer that question requires an analysis of the dictator’s “magical thinking’ when confronted with empirical facts and how arrogance, entitlement and imperious style for people who come to see their office as due rather than responsibility always lead to certain disaster. A disaster which is symptomatic of a regime losing the plot opening the Pandora’s Box of conspiracy theory where facts and conjectures are treated as equals, turning coincidences into causality and conjectures into certainties
First, the irony with conspiracy theory is that it demonstrates that even dictators have political honeymoon and markers they are trying to accomplish. Actually, the list of tyrants that were democratically elected is very large. In addition, many more that can actually win democratic election, which make the case of Paul Kagame in Rwanda very interesting. This knowledge is important to understand reversal of fortune in authoritarian regime and when the culture of secrecy, doubt and opacity come into play.
In Cameroonian political history with only two presidents in close to six decades, when the USA had 11 and France 8, one can pinpoint two matricidal events. First, 1972 when the first president Ahmadou Ahidjo failed in his bid to transform the country into modern nation-state and put it on the African map. This was the failure of the African soccer Cup. It is important to note that in global and local politics, sport has always been more than a game. Sport participates both in the romantic glory and the scientific character of the nation-state. Hence, the number of Olympic Medals and sport victories are routinely turned into fetishized national promotional events because they are cache that stand up for evidence-based politics which achievements constitute demonstrable improvement enshrining rational and principled politics that indicate an unified and verifiable national progress and a barometer of national competence that give legitimacy to the government’s propaganda as guardian of public interest and well deserved patriotic pride.
Hence, sport achievement are used by governments to claim scientific authority and expertise. Then the failure of the African cup in 1972 where the country failed to win a cup despite of the entire resources lavished at the team stunned the regime. After that failure, there was a massive witch hunt and the name “Tchollire” became a household name where all the “traitors” where tortured and jailed, some of them, never to be heard of again. The 1972 failure opened up vast conspiracy theories and the Ahidjo’s regime was never the same.
History is repeating itself with Biya’s 2019 CAN.
When it comes to Paul Biya, scholars such as Achille Mbembe points to the failed coup of April 1984 against the Biya’s regime. While others, such as Jean-Pierre Bekolo’s The president, seems to point to the death of the Biya’s regime first lady in July 1992 to mark the end of the Biya’s regime’s experimentation in the concept of “Renewal, Rigor, and Continuity.”
As such. Mbembe writes that Brutally brought back to reality in 1984 in the aftermath of a bloody coup attempt that cost the lives of hundreds of mutineers, most of them from the north of the country, he [Paul Biya] quickly put away the attempts of reform that he was the spokesperson for a time. Then, relying in part on the devices and techniques of repression inherited from his predecessor [Ahmadou Ahidjo], he undertook to establish one of the most opaque, centralized and prosaic systems of government in postcolonial Africa. Instead of the rule of law, he favored a mode of personal government which, thirty-five years later, one can see the extent of the damage, even as the possibility of a pure and simple dislocation of country.2
Conspiracy theory, therefore, becomes symptomatic of regimes which come to see power as private opportunity to which they are entitled rather than public trust. Conspiracy theory becomes a tool to deflect all forms of responsibility and blame others from the regime’s failure. More, conspiracy theory performs as gang tattoos where group affiliations, us versus them, become central to politics.
This notion of conspiracy theory, therefore, is important to appreciate the English-speaking crisis and this central question: So the civil war is seen as the only horizon?
By dint of looking for rotting by installing a repressive impasse, the hawks of the dictatorial regime of Yaoundé obtain the slow and progressive shift of Cameroon towards a civil war with the uncertain outcome in the two English-speaking regions.
They will therefore issue all the international arrest warrants against alleged secessionists, opportunely presented as terrorists, without being able to provide any single evidence to international partners of the involvement of the latter in the regrettable and reprehensible attacks perpetrated against the police and public buildings in Cameroon.
In fact, all this judiciary security gesticulation is part of a well-understood strategy of the decay of the Anglophone crisis by a dictatorship that considers the national dialogue so much desired and proposed by the international community, as a risk of interference with it in its multiple violations and restrictions of freedoms in Cameroon, including the pluralism of opinions and votes actually cast in the next presidential election of 2018.
Cameroonians must therefore expect to see a (possibly long-lasting) civil war front in the Anglophone North-East and South-West, with the main objective of allowing Paul Biya (85, 35 years reign) to stay in power for life.
No need to look further than that!
Olivier Tchouaffe, PhD, Spokesman of the CL2P
Lire aussi : Au Cameroun, le crépuscule d’une dictature à huis clos